Le général des troupes allemandes [en Namibie] envoie cette lettre
au peuple Héréro:
"Les Héréros ne sont
dorénavant plus sujets allemands… Tous les Héréros doivent quitter
leurs terres. S' ils n'acceptent pas, ils seront contraints
par les armes. Tout Héréro aperçu à l’intérieur des frontières
allemandes [namibiennes] avec ou sans arme, sera exécuté. Femmes
et enfants seront reconduits hors d’ici – ou seront fusillés…
Aucun prisonnier mâle ne sera pris. Ils seront fusillés. Décision
prise pour le peuple Héréro.”
Signé :
le grand général du tout puissant Kaiser [Guillaume II],
Lieutenant général Lothar Von Trotha. 2 octobre 1904
(traduction TMF)
C’est par cet ordre que les autorités coloniales allemandes décidèrent
l’extermination de tout un peuple. Nous sommes en 1904 dans le
sud-ouest africain, région que l’on nomme aujourd’hui la Namibie.
Aux origines du génocide
Avant même le Togo ou la Tanzanie qui figurent parmi les toutes
premières colonies allemandes datant de 1884, la Namibie a vu
dès 1870 l’arrivée d'une poignée de colons allemands qui formeront
très tôt une solide communauté.
En janvier 1894, de fantastiques gisements de diamants furent
découverts en Namibie. L’Allemagne d’Otto Von Bismarck réalisa
qu’il y a là un extraordinaire potentiel financier. Le Major
Théodor Leutwein fut alors envoyé sur place en tant que suprême
représentant des Terres Africaines allemandes. Peu après, une
politique de déplacement et de confiscations systématiques des
terres fut initiée dans le Héréroland (Région centrale namibienne
où vivent les Héréros). De multiples actes de violences et d’exécutions
sommaires furent alors commis par les autorités coloniales allemandes.
Le harcèlement colonial devenant insupportable pour la population
locale, une tentative de rébellion du peuple héréro fut conduite
par le Chief Samuel Mahéréro en janvier 1904. On dénombra plusieurs
dizaines de morts de part et d’autres. La rébellion arriva aux
oreilles du Kaizer Guillaume II qui décida de limoger sur le
champ le Major Leutwein, - considéré comme “trop faible”- pour
lui substituer un homme dur, expérimenté et “extrêmement résolu”
: le général Lothar Von Trotha.
Le changement de politique militaire ne se fit pas attendre :
Le 2 octobre 1904 avec 10 mille hommes, le général Von Throta
força les héréros dans le désert d’Omaheke (l’actuel désert de
Khalarari), ferma les frontières et envoya ses troupes sur une
population sans défense et déjà accablée par la soif ou les maladies
infectieuses. Sur 80 000 Héréros que comptaient la Namibie, 10
000 survécurent tant bien que mal. La civilisation Héréro venait
quasiment de disparaître.
Génocide héréro : première répétition avant l’holocauste
Le célèbre docteur Eugène Fisher, anthropologue à l’université
de Freibourg, et un des principaux théoriciens du génocide juif,
étudia de près les héréros depuis leur découverte par les colons
allemands en 1870. Il fut particulièrement intéressé par les " méfaits " de
la mixité raciale induite par les rapports héréros-allemands
– résultant le plus souvent de violences sexuelles pratiquées
par les militaires teutons. Travaux qu’il poursuivra dans les
camps de concentration héréros en Namibie jusqu’aux événements
de 1904. Le généticien racialiste publia conséquemment en 1921 " The
principles of Human Hereditary and Race Hygien" dans lequel
il élaborait ce que l’idéologie nazie n’allait pas tarder à mettre
en pratique sur une tout autre échelle. On rapporte qu’en 1923
Adolf Hitler lors de son emprisonnement lut avec grand intérêt
les travaux de Fischer et en fut fort influencé lors de la rédaction
de Mein Kampf. Hitler au pouvoir, le docteur Fischer ami intime
d’Heidegger, fut d’ailleurs très vite promu recteur de l’université
de Berlin et dès 1934 donna ses premiers cours racialistes aux
docteurs SS. Un de ses étudiants n’étant autre que le criminel
contre l’humanité et tristement célèbre Mengele. Fisher fut de
1927 à 1942 directeur du prestigieux Kaiser Wilhelm Institute
for anthropology et resta jusqu’à sa mort à Freibourg en août
1967, membre d’honneur de la prestigieuse association anthropologique
allemande…
La reconnaissance génocidaire aujourd’hui
L’Allemagne fut interpellée à plusieurs reprise sur le sujet.
Reconnaît-elle la réalité des atrocités passées ? À ce jour rien
n’est moins sûr.
Déjà en 1995 le président Kohl sommé de s’exprimer sur le génocide
par des familles héréros lors d’une visite diplomatique, refusa
de se prononcer. Roman Herzog aura une posture plus ouverte en
1998 en admettant l’existence "d’actes incorrects ".
Geste limité puisqu’il objectera que toute action judiciaire
est impossible, du fait qu’à l’époque aucun texte légal ne permettait
de qualifier juridiquement l’extermination. L’argument semble
pourtant omettre la 4ème convention de la Haye de 1899 sur la
protection des populations civiles.
Après ces tergiversations diplomatiques, les représentants héréros
décidèrent de faire appel à la communauté internationale. C’est
à ce moment que j’appris leur existence et décidais de m’engager
à leur côté. J’ai pu ainsi organiser en octobre 2000 une rencontre
au Haut Commissariat aux droits de l’homme à Genève. Avec le
chef des Héréros, Paramount Chief Riruako et un représentant
de l’ONG allemande "Peuple en Danger", docteur Andreas
Selmeci. Notre objectif : alerter les instances internationales
sur le génocide oublié et permettre aux Héréros une reconnaissance
symbolique essentielle à leur reconstruction identitaire.
Les enjeux d’une reconnaissance
Il y a dans cet épisode une leçon importante à tirer. Si le premier
génocide du siècle a eu lieu en Namibie, c’est qu’il est apparu
dans l’espace colonial. C’est donc le procès du colonialisme
qui se joue à travers la cause Héréro. Il faut rappeler à travers
l’extermination Héréro que le colonialisme fut la soupe originelle
qui a permis le déclic psychologique ouvrant la porte aux génocides
majeurs de notre temps. Il est par conséquent essentiel de reconnaître
cet épisode, de le réintégrer dans l’historiographie du XXe siècle
et de tirer les origines des génocides dans l’espace colonial.
La reconnaissance du génocide Héréro devrait pouvoir nous y aider.
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• Source : http://www.lautresite.com/new/edition/explo/hereros/
< Programme du séminaire organisé par Aircrige "Les Formes du
déni : approches évenementielles et transversales" >