Qu'est-ce que l'Ivoirité ? Quels sont ses buts,
ses causes et ses conséquences ? Que peut faire
un syndicat français face à la situation
actuelle en Côte d'Ivoire ? Depuis les débuts
de l'insurrection dans ce pays, la Confédération
Nationale du Travail s'est engagée sur ce terrain
pourtant glissant sur lequel aucun syndicat français
ne s'est prononcé au même titre que la quasi-totalité des
organisations françaises
"progressistes". Si la CNT a été présente
aux manifestations de l'ADDL à Paris, si elle
a édité
des tracts en commun avec des associations ivoiriennes
en France, si elle a ouvert les pages de son journal à ce
sujet, ce n'est pas dans le vide. C'est pour deux raisons
principales. Tout d'abord une solidarité effective
avec des camarades syndicalistes ivoiriens en exil, ancien
militants de la FESCI notamment, pourchassés pour
leurs opinions autonomistes vis-à-vis de la main-mise
du FPI de Gbagbo sur leur organisation. Ensuite, parce
que notre combat antifasciste et antiraciste existait
avant le "choc" des dernières élections
présidentielles et existera au delà des évènements
d'un jour. C'est donc naturellemnt que la CNT s'est investie
sur ce terrain de lutte selon trois axes précis
: une dénonciation de l'Ivoirité ; les
conditions économiques et sociales qui se cachent
derrière cette notion et les responsabilités
des Etats et entreprises face à
cette situation ; la déviation du syndicalisme
dans ce pays et les conséquences dramatiques pour
les travailleurs qui s'en suivent aujourd'hui.
Mais qu'est-ce donc alors que cette Ivoirité ?
C'est avant tout une notion xénophobe et raciste
utilisée
à des fins ploitiques. Loin d'être un phénomène
récent, les divisions ethniques datent de sous
Houphouët-Boigny même si à l'époque
elles restaient officieuses. En effet, ce dernier fit
reposer son pouvoir sur son ethnie, les Baoulés
contre les autres ethnies du pays. Ce qui ne l'empêcha
pas de suivre l'exemple des anciens colons français
en faisant venir des Burkinabés, Maliens, Sénégalais
, Guinéens, etc., pour construire la Côte
d'Ivoire et défricher puis cultiver les terres.
Arme politique de domination pour une ethnie minoritaire
sur toute une population, l'ethnisme est repris par le
successeur de Houphouët-Boigny, Henri Konan-Bédié qui
l'édicte en principe officiel, l'Ivoirité,
dès 1994, puis repris à son compte par
Laurent Gbagbo en 1999. depuis son accession à l'indépendance
en 1960, la Côte d'Ivoire n' a toujours pas connu
de régime de liberté : élections
faussées, syndicats réprimés, gouvernements
corrompus...Et dans ce cadre, l'Ivoirité, en divisant
les ivoiriens permet à
chaque gouvernement de se maintenir malgré les
conditions sociales et économiques du pays. Car
depuis la fin des années 80, la Côte d'Ivoire,
ancienne vitrine économique et sociale de l'Afrique
francophone post-coloniale, connaît une crise économique
plus que dévastatrice. La division ethnique et
l'éxacerbation des sentiments xénophobes
et nationalistes deviennent alors le moyen le plus sur
de diriger et de contrôler toute gronde sociale.
Le phénomène est connu, utilisé par
le Front Ntaional (et les autres partis d'ailleurs) en
France : les immigrés, les étrangers sont
la cause de tous les problèmes. Les groupes sociaux
ne se déterminent plus selon des critères économiques
et sociaux mais selon les pays d'origine. Et voilà qui
sonne le glas de toute lutte idéologique, qui
permet de détourner les regards et les discours
des vrais responsables. Pourtant, avec un cynisme très
pragmatique, les capitaux et les patrons quant à eux
continuent de pouvoir se promener sans trop de problèmes.
La boucle est fermée : les trvailleurs se divisent
et se combattent sous l'oeil contenté
de leurs exploiteurs.
En effet, pendant que l'ivoirité règne
en maître sur le débat politique ivoirien,
les gouvernements assurent leur rôle économique
d'aide de camps du patronat. Alors que les conditons
de vie ne cessent de se détériorer, Bédié comme
Gbagbo, n'ont jamais cessé
de privatiser encore et encore. Plus de soixantes entreprises
publiques ont ainsi été vendues de 1994 à
1999 sous Bédié. Et le " socialiste" Gbagbo
-le FPI, notons-le est membre de la deuxième internationale,
en compagnie du PS français- continue dans cette
même logique, prévoyant de privatiser le
pétrole, les transports, le textile, etc. Les
services minimums - eau électricité, gaz,etc.-
sont aux mains des multinationales françaises
comme Bouygues, Bolloré, la SNCF, EDF, PPR qui
offrent
" gracieusement " leurs services
contre de beaux bénéfices dans un pays
ou le salaire minimum, lorsqu'il est respecté
ce qui est plutôt rare, n'excède pas 56
euros par mois. Ajoutons à cela, pour noircir
encore un peu ce tableau déjà très
sombre, qu'un nouveau code du travail a été adopté en
1995 et qu'il a mis en place afin d'adapter le pays à la
libéralisation de l'économie, des mesures
aussi sociales que : faciliter les licenciements économiques
; légaliser l'intérim et développer
les contrats précaires ; renforcer l'autorité des
chefs d'entreprise. Mais ce n'est pas fini. En 1998,
face à la crise économique et à
la montée du chômage, l'Etat ivoirien trouve
une solution dont les relents ivoiritaires sont évidents
: un code foncier qui restreint le droit de propriété
foncière et d'exploitation des terres aux " vrais
ivoiriens ". Conséquence : les Burkinabés
sont évacués par des milices de jeunes
gens armés jusqu'aux dents par le gouvernement
et s'en suivent des massacres de villages entiers. L'illustration
parfaite de l'utilisation de l'ivoirité comme
arme d'un gouvrenement pour conserver le pouvoir.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Car qu'ils
soient burkinabés, ivoiriens, maliens ou je ne
sais quoi, les travailleurs ont à leur service
trois centrales syndicales. L'UGTCI tout d'abord, créée
en 1960 comme un syndicat unique d'accompagnement du
parti unique de Houphouët-Boigny, le PDCI. Etant
donnée son histoire, on peut comprendre son inaction
mais que penser des deux autres centrales créées
audébut des années 90, la FESACI et la
CISL-Dignité
? Ces trois confédératons rassemblent plus
de 560 000 travailleurs sur 6 millions d'actifs environ,
soit environ 10% ce qui n'est pas si mal et pourtant,
jamais elles n'ont pu -ou voulu ?- enrayer l'évolution
de la situation. Seraient-elles complices ? Simples syndicats
d'accompagnement de l'Etat ? Pourtant, la FESACI fut
connue pour ses luttes héroïques sous le
régime de Houphouët-Boigny. En réalité,
le problème de ces organisations est leur totale
dépendance politique : toutes ces centrales sont
liées aux partis de pouvoir. La FESACI notamment
par le SYNARES, principal syndicat de cette confédération,
s'est d'ailleurs fendue d'un communiqué très
pro-Gbagbo à la suite de l'insurrecton du 19 septembre
dernier : don d'argent aux forces armées, appel à souscription
de ses militants dans ce même sens, dénonciation
de l'agression extérieure du Burkina Faso... La
FESACI est le syndicat du FPI et ne s'en cache que très
peu, pusiqu'elle avait défendu la notion d'Ivoirité lors
du Forum de réconciliation en 2000-2001 et avait
invité la femme du président au dernier
congrès du Synares. Quant à Dignité,
le cas est plus complexe. Membre de la Confédération
Mondiale du Travail, internationale syndicale d'inspiration
chrétienne, ce qui pose un problème dans
la configuration religieuse de la Côte d'Ivoire
et dans ses engagements syndicaux tout-court d'ailleurs,
elle n' a jamais rien dit sur l'Ivoirité et s'est
toujours refusée
à se mouiller véritablement. Des rumeurs
font même état des liens de son dirigeant,
Basile Mahan Gahé, avec le chef de file des jeunes
du FPI, Charles Blé Goudé. Quoi qu'il en
soit, la seule déclaration officielle de ce syndicat
a été d'appeler à
la paix et à l'unité nationale... Et l'ivoirité
dans tout cela, et les meurtres de militants politiques
associatifs et syndicaux, et les massacres d'étrangers,
et le charnier de Yopougon, et les destructions des quartiers
précaires d'Abidjan ? Aucun syndicat n' a joué son
rôle de défense des intérêts
des travailleurs et si certains militants ou sections
ont essayé, ils ont
été tués ou contraints à l'exil.
Ainsi en a-t-il été des militants autonomistes
de la FESCI qui ont été pourchassés
-et le sont encore à l'heure actuelle dans les
zones sous contrôle gouvernemental- par l'armée
et les milices des jeunesses du FPI. Seules aujourd'hui
ont résisté
quelques ONG indépendantes comme la MIDH qui continue
bon gré mal gré de dénoncer.
Quelles perspectives donc, et quelles issues possibles
? A court terme, la CNT s'est engagée auprès
des ivoiriens qui luttent contre l'Ivoirité et
pour les droits à
la liberté d'expression et d'organisation de tous
quelques soient leurs origines ethniques ou religieuses.
Le gouvernement de Gabgbo est un régime dictatorial,
raciste et liberticide qui ne peut et ne doit pas être
défendu mais doit au contraire être dénoncé et
combattu. Il ne revient pas à un syndicat français
de juger des moyens que les ivoiriens se donnent pour
instaurer les libertés
élémentaires dans leur pays mais, en tant
que syndicat de classe, internationaliste nous pensons
que :
- la lutte doit être menée conjointement
avec tous les travailleurs de Côte d'Ivoire quelques
soient leurs nationalités ou leurs religions
;
- la France doit cesser immédiatement tout soutien
logistique ou militaire au gouvernement ivoirien ;
- le remède à tous ces maux ne pourra
se trouver que dans la lutte contre les inégalités économiques
et sociales et le développement d'un syndicalisme
de lutte, indépendant de l'Eta, des partis politiques
et des ethnies ou religions ;
La CNT soutient par ailleurs la déclaration de
la Confédération Générale
des Travailleurs du Burkina Faso (CGT-B) sur la situation
en Côte d'Ivoire qui " invite les travailleurs,
et d'une manière générale, les peuples
de la sous-région, particulièrement ceux
du Burkina faso et de la Côte d'Ivoire, à
une solidarité active, dans une lutte commune
contre leurs exploiteurs communs que sont la bourgeoisie
et l'impérialisme qui sont à la base de
leurs vrais poblèmes "
et " exige ds uatorités de Côte
d'Ivoire et du Burkina Faso, la protection de l'intégrité
physique et morale de tous ceux qui vivent dans leurs
pays respectifs et ceux qui sont contraints au déplacement."
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