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Intervention de Frédéric Siméon

Texte présenté lors des Rencontres de La Villette, "Côte d'Ivoire: le piège ethnique", en novembre 2002.

Qu'est-ce que l'Ivoirité ? Quels sont ses buts, ses causes et ses conséquences ? Que peut faire un syndicat français face à la situation actuelle en Côte d'Ivoire ? Depuis les débuts de l'insurrection dans ce pays, la Confédération Nationale du Travail s'est engagée sur ce terrain pourtant glissant sur lequel aucun syndicat français ne s'est prononcé au même titre que la quasi-totalité des organisations françaises "progressistes". Si la CNT a été présente aux manifestations de l'ADDL à Paris, si elle a édité des tracts en commun avec des associations ivoiriennes en France, si elle a ouvert les pages de son journal à ce sujet, ce n'est pas dans le vide. C'est pour deux raisons principales. Tout d'abord une solidarité effective avec des camarades syndicalistes ivoiriens en exil, ancien militants de la FESCI notamment, pourchassés pour leurs opinions autonomistes vis-à-vis de la main-mise du FPI de Gbagbo sur leur organisation. Ensuite, parce que notre combat antifasciste et antiraciste existait avant le "choc" des dernières élections présidentielles et existera au delà des évènements d'un jour. C'est donc naturellemnt que la CNT s'est investie sur ce terrain de lutte selon trois axes précis : une dénonciation de l'Ivoirité ; les conditions économiques et sociales qui se cachent derrière cette notion et les responsabilités des Etats et entreprises face à cette situation ; la déviation du syndicalisme dans ce pays et les conséquences dramatiques pour les travailleurs qui s'en suivent aujourd'hui.

Mais qu'est-ce donc alors que cette Ivoirité ? C'est avant tout une notion xénophobe et raciste utilisée à des fins ploitiques. Loin d'être un phénomène récent, les divisions ethniques datent de sous Houphouët-Boigny même si à l'époque elles restaient officieuses. En effet, ce dernier fit reposer son pouvoir sur son ethnie, les Baoulés contre les autres ethnies du pays. Ce qui ne l'empêcha pas de suivre l'exemple des anciens colons français en faisant venir des Burkinabés, Maliens, Sénégalais , Guinéens, etc., pour construire la Côte d'Ivoire et défricher puis cultiver les terres. Arme politique de domination pour une ethnie minoritaire sur toute une population, l'ethnisme est repris par le successeur de Houphouët-Boigny, Henri Konan-Bédié qui l'édicte en principe officiel, l'Ivoirité, dès 1994, puis repris à son compte par Laurent Gbagbo en 1999. depuis son accession à l'indépendance en 1960, la Côte d'Ivoire n' a toujours pas connu de régime de liberté : élections faussées, syndicats réprimés, gouvernements corrompus...Et dans ce cadre, l'Ivoirité, en divisant les ivoiriens permet à chaque gouvernement de se maintenir malgré les conditions sociales et économiques du pays. Car depuis la fin des années 80, la Côte d'Ivoire, ancienne vitrine économique et sociale de l'Afrique francophone post-coloniale, connaît une crise économique plus que dévastatrice. La division ethnique et l'éxacerbation des sentiments xénophobes et nationalistes deviennent alors le moyen le plus sur de diriger et de contrôler toute gronde sociale. Le phénomène est connu, utilisé par le Front Ntaional (et les autres partis d'ailleurs) en France : les immigrés, les étrangers sont la cause de tous les problèmes. Les groupes sociaux ne se déterminent plus selon des critères économiques et sociaux mais selon les pays d'origine. Et voilà qui sonne le glas de toute lutte idéologique, qui permet de détourner les regards et les discours des vrais responsables. Pourtant, avec un cynisme très pragmatique, les capitaux et les patrons quant à eux continuent de pouvoir se promener sans trop de problèmes. La boucle est fermée : les trvailleurs se divisent et se combattent sous l'oeil contenté de leurs exploiteurs.

En effet, pendant que l'ivoirité règne en maître sur le débat politique ivoirien, les gouvernements assurent leur rôle économique d'aide de camps du patronat. Alors que les conditons de vie ne cessent de se détériorer, Bédié comme Gbagbo, n'ont jamais cessé de privatiser encore et encore. Plus de soixantes entreprises publiques ont ainsi été vendues de 1994 à 1999 sous Bédié. Et le " socialiste" Gbagbo -le FPI, notons-le est membre de la deuxième internationale, en compagnie du PS français- continue dans cette même logique, prévoyant de privatiser le pétrole, les transports, le textile, etc. Les services minimums - eau électricité, gaz,etc.- sont aux mains des multinationales françaises comme Bouygues, Bolloré, la SNCF, EDF, PPR qui offrent " gracieusement " leurs services contre de beaux bénéfices dans un pays ou le salaire minimum, lorsqu'il est respecté ce qui est plutôt rare, n'excède pas 56 euros par mois. Ajoutons à cela, pour noircir encore un peu ce tableau déjà très sombre, qu'un nouveau code du travail a été adopté en 1995 et qu'il a mis en place afin d'adapter le pays à la libéralisation de l'économie, des mesures aussi sociales que : faciliter les licenciements économiques ; légaliser l'intérim et développer les contrats précaires ; renforcer l'autorité des chefs d'entreprise. Mais ce n'est pas fini. En 1998, face à la crise économique et à la montée du chômage, l'Etat ivoirien trouve une solution dont les relents ivoiritaires sont évidents : un code foncier qui restreint le droit de propriété foncière et d'exploitation des terres aux " vrais ivoiriens ". Conséquence : les Burkinabés sont évacués par des milices de jeunes gens armés jusqu'aux dents par le gouvernement et s'en suivent des massacres de villages entiers. L'illustration parfaite de l'utilisation de l'ivoirité comme arme d'un gouvrenement pour conserver le pouvoir.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Car qu'ils soient burkinabés, ivoiriens, maliens ou je ne sais quoi, les travailleurs ont à leur service trois centrales syndicales. L'UGTCI tout d'abord, créée en 1960 comme un syndicat unique d'accompagnement du parti unique de Houphouët-Boigny, le PDCI. Etant donnée son histoire, on peut comprendre son inaction mais que penser des deux autres centrales créées audébut des années 90, la FESACI et la CISL-Dignité ? Ces trois confédératons rassemblent plus de 560 000 travailleurs sur 6 millions d'actifs environ, soit environ 10% ce qui n'est pas si mal et pourtant, jamais elles n'ont pu -ou voulu ?- enrayer l'évolution de la situation. Seraient-elles complices ? Simples syndicats d'accompagnement de l'Etat ? Pourtant, la FESACI fut connue pour ses luttes héroïques sous le régime de Houphouët-Boigny. En réalité, le problème de ces organisations est leur totale dépendance politique : toutes ces centrales sont liées aux partis de pouvoir. La FESACI notamment par le SYNARES, principal syndicat de cette confédération, s'est d'ailleurs fendue d'un communiqué très pro-Gbagbo à la suite de l'insurrecton du 19 septembre dernier : don d'argent aux forces armées, appel à souscription de ses militants dans ce même sens, dénonciation de l'agression extérieure du Burkina Faso... La FESACI est le syndicat du FPI et ne s'en cache que très peu, pusiqu'elle avait défendu la notion d'Ivoirité lors du Forum de réconciliation en 2000-2001 et avait invité la femme du président au dernier congrès du Synares. Quant à Dignité, le cas est plus complexe. Membre de la Confédération Mondiale du Travail, internationale syndicale d'inspiration chrétienne, ce qui pose un problème dans la configuration religieuse de la Côte d'Ivoire et dans ses engagements syndicaux tout-court d'ailleurs, elle n' a jamais rien dit sur l'Ivoirité et s'est toujours refusée à se mouiller véritablement. Des rumeurs font même état des liens de son dirigeant, Basile Mahan Gahé, avec le chef de file des jeunes du FPI, Charles Blé Goudé. Quoi qu'il en soit, la seule déclaration officielle de ce syndicat a été d'appeler à la paix et à l'unité nationale... Et l'ivoirité dans tout cela, et les meurtres de militants politiques associatifs et syndicaux, et les massacres d'étrangers, et le charnier de Yopougon, et les destructions des quartiers précaires d'Abidjan ? Aucun syndicat n' a joué son rôle de défense des intérêts des travailleurs et si certains militants ou sections ont essayé, ils ont été tués ou contraints à l'exil. Ainsi en a-t-il été des militants autonomistes de la FESCI qui ont été pourchassés -et le sont encore à l'heure actuelle dans les zones sous contrôle gouvernemental- par l'armée et les milices des jeunesses du FPI. Seules aujourd'hui ont résisté quelques ONG indépendantes comme la MIDH qui continue bon gré mal gré de dénoncer.

Quelles perspectives donc, et quelles issues possibles ? A court terme, la CNT s'est engagée auprès des ivoiriens qui luttent contre l'Ivoirité et pour les droits à la liberté d'expression et d'organisation de tous quelques soient leurs origines ethniques ou religieuses. Le gouvernement de Gabgbo est un régime dictatorial, raciste et liberticide qui ne peut et ne doit pas être défendu mais doit au contraire être dénoncé et combattu. Il ne revient pas à un syndicat français de juger des moyens que les ivoiriens se donnent pour instaurer les libertés élémentaires dans leur pays mais, en tant que syndicat de classe, internationaliste nous pensons que :

  • la lutte doit être menée conjointement avec tous les travailleurs de Côte d'Ivoire quelques soient leurs nationalités ou leurs religions ;
  • la France doit cesser immédiatement tout soutien logistique ou militaire au gouvernement ivoirien ;
  • le remède à tous ces maux ne pourra se trouver que dans la lutte contre les inégalités économiques et sociales et le développement d'un syndicalisme de lutte, indépendant de l'Eta, des partis politiques et des ethnies ou religions ;

La CNT soutient par ailleurs la déclaration de la Confédération Générale des Travailleurs du Burkina Faso (CGT-B) sur la situation en Côte d'Ivoire qui " invite les travailleurs, et d'une manière générale, les peuples de la sous-région, particulièrement ceux du Burkina faso et de la Côte d'Ivoire, à une solidarité active, dans une lutte commune contre leurs exploiteurs communs que sont la bourgeoisie et l'impérialisme qui sont à la base de leurs vrais poblèmes " et " exige ds uatorités de Côte d'Ivoire et du Burkina Faso, la protection de l'intégrité physique et morale de tous ceux qui vivent dans leurs pays respectifs et ceux qui sont contraints au déplacement."

Confédération Nationale du Travail
33 rue des Vignoles, 75 020 Paris
Tél : 01 43 72 09 54 - Fax : 01 43 72 71 55
Internet : www.cnt-f.org