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Lettre ouverte à Kofi Annan,
aux chefs d'état et de gouvernements africains et occidentaux

Nous demandons une force de police internationale sur toute l'étendue du territoire pour protéger tous les civils en Côte d'Ivoire.

Cette lettre ouverte ainsi que la liste des signataires a été publiée dans la presse africaine, européenne et américaine.

La terreur s'est abattue sur la population de Côte d'Ivoire. Des charniers sont découverts, des civils non combattants sont exécutés sommairement, les rues de plusieurs villes sont jonchées de centaines de cadavres, des listes de gens à abattre circulent, des milices et des escadrons de la mort raflent et tuent toutes les nuits, les combats s'étendent, la peur est partout. Un de nos correspondants écrit "Où aller, où se cacher quand le tueur est le voisin qui vous dénonce ?" Combien de pogroms sont perpétrés aujourd'hui à huis clos en Côte d'Ivoire ? Combien de découvertes macabres demain ?

Malgré le cessez-le-feu, malgré la présence de la force d'interposition française sur la ligne de front, les exactions, les disparitions, les assassinats se multiplient quotidiennement en dehors de la ligne de front. Selon tous les observateurs, le risque de massacres à grande échelle est aujourd'hui réel en Côte d'Ivoire.

Depuis deux ans, l'ONG belge Prévention Génocides a tenté d'attirer l'attention sur la situation politique en Côte d'Ivoire, qu'elle a dépeint comme une véritable poudrière identitaire.

Aujourd'hui, les esprits sont chauffés à blanc. La peur de l'autre est à son paroxysme, la haine de l'autre est telle que le passage à l'acte et les tueries apparaissent comme des mesures nécessaires pour préserver la vie de ses proches. Terrible dialectique de la victime et du bourreau. Inversion des sens. C'est là, le spectre du Rwanda. Un scénario comparable est à l'oeuvre en Côte d'Ivoire. Il est intolérable de le voir se dérouler sous nos yeux en restant au balcon ! Dès à présent, les victimes civiles non combattantes pourraient accuser la communauté internationale de non-assistance à personnes en danger.

 Nous, soussigné(e)s, demandons fermement aux autorités internationales d'agir sans attendre.

Pour mettre fin aux exactions, réduire l'insécurité, protéger les civils non combattants (occidentaux et bien sûr africains) et empêcher de nouveaux crimes contre l'Humanité, nous demandons instamment la mise en place d'une force de police internationale sur l'ensemble du territoire ivoirien et pas seulement sur la ligne de front. Cette force de police doit être mandatée clairement pour imposer le cessez-le-feu et doit être autorisée à faire usage de ses armes pour protéger tous les civils et pas uniquement pour se protéger elle-même. Il s'agit d'une mission "peace making" plutôt que "peace keeping" .

Depuis quelques jours, les autorités ivoiriennes exhortent la communauté internationale "à intervenir, au besoin militairement". La force que nous demandons ne peut donc pas être perçue comme inacceptable par les autorités du pays. Mais il est évident que le mandat de cette force de police internationale doit se limiter à la protection des civils non combattants et à imposer le cessez-le-feu sans servir la stratégie de l'une ou l'autre des parties en conflit.

Pour lutter contre l'impunité, condition préalable à toute réconciliation durable, nous demandons aux instances internationales d'exhorter les plus hautes autorités ivoiriennes à utiliser tous les moyens juridiques existants pour faire la lumière sur les crimes perpétrés récemment en Côte d'ivoire. Très précisément, l'Assemblée nationale ivoirienne devrait ratifier sans délai sa reconnaissance de la Cour Pénale Internationale et porter plainte auprès de cette Cour pour qu'elle enquête immédiatement sur le charnier de Monoko-Zohi et sur toutes les autres exactions. Ne pas agir en ce sens et sans délai, devant de tels crimes, serait donner caution aux semeurs de troubles et correspondrait à favoriser l'impunité.

Pour que ceux qui commettent des crimes et ceux qui incitent à les commettre sachent qu'ils devront, tôt ou tard, rendre des comptes, nous encourageons fermement le Conseil de Sécurité des Nations unies et toutes victimes à saisir d'urgence la Cour Pénale Internationale.

 Au delà des mesures urgentes pour rétablir l'ordre et la sécurité,
Au-delà du pré-requis indispensable qu'est la lutte contre l'impunité,

Il est urgent d'exiger de l'ensemble des forces politiques ivoiriennes et de leurs leaders au plus haut niveau de s'asseoir autour d'une table et de négocier ensemble les conditions d'une réconciliation durable.

Enfin, nous exhortons les bailleurs de fonds institutionnels à conditionner les futures aides à l'absence de propos incitant à la haine et à la violence tant dans les médias officiels que dans les discours des responsables politiques.

Il est très tard. Le pire est peut-être encore évitable. Il est urgent d'agir. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas !

Les premiers signataires sont ::

Gerald KAPLAN, Coordinator Remembering Rwanda - CanadaPr. Israel W. CHARNY, Executive Director, Editor-in-Chief, Encyclopedia of Genocide", Institute on the Holocaust & Genocide, Jerusalem - Israël
Jean CORNIL, sénateur (Parti Socialiste), ancien président du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme - Belgique. Georges DALLEMAGNE,sénateur (CdH), ancien directeur général de "Médecins Sans Frontières", ancien directeur général de "Handicap International" - Belgique. Josy DUBIE, sénateur (Ecolo) - Belgique. Kelly FISH, Intern researcher, Survivors' Rights International - USA. Guy HAARSCHER, professeur à l'Université Libre de Bruxelles - Belgique. Ben KIERNAN, Director, Genocide Studies Program, Yale University - USA. Joëlle LIBERMAN , sociologue - Belgique. Pierre MERTENS, écrivain, membre de l'académie Royale de Langue et de Littérature française - Belgique. Michel MOLITOR, vice-recteur de l'Université Catholique de Louvain - Belgique. Jacky MORAEL, sénateur (Ecolo), ministre d'Etat - Belgique. John MORAVEC, Treasurer, Czech and Slovak Cultural Center of Minnesota - USA. Alex PARISEL, ancien directeur général de "Médecins Sans Frontières" - BelgiqueAlexandre PYCKE, sociologue - Belgique. Benoit SCHEUER, sociologue, fondateur de "Prévention Génocides" - BelgiqueGregory H. STANTON, founder of the International Campaign to End Genocides - USA. Marie STENBOCK-FERMOR, sociologue - Belgique. Teresa TAYLOR, Executive Director, Survivors' Rights International Inc. - USA. Dominique TREMBLOY, sociologue - Belgique.

L'ONG belge "Prévention génocides", fondée en 1999 par des chercheurs en sciences humaines a notamment réalisé un film il y a deux ans : "Côte d'Ivoire, poudrière identitaire".Durant plus de six mois, une équipe de sociologues a tenté de comprendre, grâce à des centaines d'entretiens, les origines, la dynamique et les conséquences d'un concept de pureté identitaire : l'ivoirité. Ce film montre le danger des discours d'exclusion, ethnicistes et xénophobes qui se développent depuis une dizaine d'années dans ce pays, sur fond d'une grave crise économique.

Depuis la mort d'Houphoët Boigny, une lutte acharnée pour le pouvoir a amené les dirigeants politiques à créer une puissante propagande pour faire naître dans les esprits l'idée de deux blocs identitaires : " les vrais Ivoiriens, à 100%, de souche et d'origine multiséculaire " et les "Ivoiriens douteux", assimilés aux étrangers et présentés comme impurs, menaçants et même "assaillants". Ce film témoigne de la violence d'une situation, et cela bien avant que celle-ci ne fasse la une de l'actualité. Il a été diffusé par la télévision ivoirienne en août 2001 et a contribué au débat dans cette société.

Fin octobre 2002, " Prévention Génocides" a encore envoyé deux équipes de sociologues sur place. Elles ont filmé des quartiers précaires d'Abidjan incendiés par les forces de l'ordre, laissant dans la rue nombre de civils non combattants. Elles ont recueilli des témoignages accablants de civils en fuite à la frontière du Burkina Faso et du Ghana.

L'ONG "Prévention génocides" compte actuellement dans son Conseil d'Administration des sénateurs de plusieurs partis démocratiques belges, un ministre d'État, des intellectuels et professeurs d'universités. L'ONG est membre de la campagne internationale contre les génocides (ICEG).

(la liste complète des signataires est consultable sur le site : www.prevention-genocides.org)