La "Francafrique" n'est plus ce qu'elle était.
Notre gouvernement de droite, qui en a reçu l'héritage,
semble fort embarrassé. Les troupes françaises
sont intervenues en Côte d'Ivoire, non seulement pour
"protéger nos ressortissants" mais aussi,
bien sur, pour défendre "nos" intérêts, économiques
ou politiques. Malheureusement, les choses ont bien changé
et les soldats français sont fort embarrassés.
Au nord, les rebelles accusent l'armée française
et de les avoir empêchés de mener une offensive
décisive vers le sud pour protéger le pouvoir
de Laurent Gbagbo. A Abidjan, les partisans de ce dernier
conspuent la même armée française qui
protège Allassane Ouattara, présenté comme
le mentor des rebelles...
L'embarras n'est pas seulement, en France, du coté du
gouvernement. Les militants de gauche semblent tout aussi
perplexes, et donc pour la plupart, silencieux. Certes, ils
expriment les condamnations rituelles - et fondées
- sur les responsabilités, générales,
de la mondialisation néolibérale et, particulières,
de la gestion passée néocoloniale du pré carré africain
par la France. Mais cela ne donne guère de guide quant à l'attitude à
avoir présentement. Ce texte n'a pas pour ambition
de répondre à toutes les questions que se posent,
mais à fournir quelques compléments pour la
réflexion.
Ne comptez pas alors sur une Côte
d'Ivoire encore existante
Certains d'entre nous ont bien connu Laurent Gbagbo, exilé
en France dans les années 80, alors qu'il travaillait
avec le Cedetim et le journal Libération Afrique (2).
Par la suite, il a crée le Front Populaire Ivoirien
(FPI), adhérent à l'Internationale Socialiste
et entretenu des rapports suivis avec des responsables de
la gauche française. Dans l'ensemble ce passé proche
n'a heureusement pas empêché la critique par
les militants - et notamment ceux du Cedetim -de la grave
dérive ethno-nationaliste du FPI.
En 1989, l'opposant en exil Laurent Gbagbo, tout juste rentré
dans son pays, venait de créer le FPI. L'une de ces
premières apparitions en Europe en tant que leader
du parti avait été
de participer à la VIIIe Convention pour le Désarmement
Nucléaire en Europe (Convention END (3))
à Vittoria-Gasteiz au Pays Basque (Etat Espagnol).
Nous
étions en pleine effervescence démocratique,
non seulement en Europe de l'Est ou en Chine mais aussi en
Amérique latine ou en Algérie et Laurent Gbagbo
voulait absolument que le mouvement de démocratisation
africain soit perçu dans ce contexte et soutenu par
les militants d'Europe. Expliquant les conditions de son
retour au pays il précisait qu'il faudrait être " débile
pour aller créer un pari sur une base ethnique " compte
tenu " des spécificités de la
Cote d'Ivoire " .et
il avait invité les participants à
la convention à tenir une grande assemblée
de paix à Abidjan quand il serait devenu président
de la République ! Ironie de l'histoire...
Hélas, la vague de démocratisation, une génération
après les indépendances, était, pour
paraphraser René Dumont, elle aussi " mal
partie "...Et notamment en Côte d'Ivoire.
En fait , avant même la mort du " père
de la nation " d'Houphouet Boigny, le pays était
entré dans un processus de crise comparable à certains égards à
celui de la Yougoslavie. L'état patrimonial, mais
relativement redistributeur construit par le " vieux " était
en train de perdre sa légitimité. Sa légitimité
historique, une génération après l'indépendance,
et sa légitimité économique minée
de l'extérieur par les effets dissolvants des politiques
néolibérales et de l'intérieur par la
corruption. Aux frontières, le Liberia, puis la Sierra
Leone et dans une moindre mesure la Guinée connaissaient
un processus d'implosion dramatique. L'incertitude des lendemains
nourrissait les fantasmes, phobies et peurs de " l'autre " et
les affirmations ethniques. Les leaders candidats à la
succession allaient, par leurs discours, accentuer la dérive
" ethnique ". Ainsi " l'Ivoirité "
revendiqué par Bedié et le PDCI (l'ancien parti
unique) appel raciste aux gens du Sud contre les " allogènes "
venus du nord, et que le FPI allait reprendre à son
compte.. De même, la " Yougoslavité " avait été
instrumentalisée par le nationalisme serbe à la
même époque à des milliers de kilomètres
de là.
En février 1994, l'essayiste américain Robert
D. Kaplan publiait un article dans The Atlantic Monthly :
" The coming anarchy ". Kaplan y répondait
en à ses collègues Francis Fukuyama et Samuel
P. Huntington, comme lui familiers des " think
tanks "
du pentagone américain. La théorie du premier,
la " fin de l'histoire " n'est restée à
la mode que le temps de l'euphorie de la fin de la guerre
froide, celle du second, " la guerre des civilisations " est
abondamment utilisée pour justifier n'importe quoi ,
même en Côte d'Ivoire ou certains ont tout intérêt
à présenter le conflit comme la lutte du " bien "
chrétien contre le " diable " musulman.
La troisième thèse " l'anarchie qui
vient "
est moins connue en France. Et c'est sans doute dommage car
Kaplan a écrit son article après plusieurs
mois d'observation de la situation en Afrique de l'Ouest,
en particulier du Liberia, en pleine guerre civile, mais
aussi de la Côte d'Ivoire, présentée
encore alors, jusque dans les manuel scolaires français,
comme la " success story " de la Francafrique.
La Côte d'Ivoire, constate Kaplan, compte " 13,5
millions d'habitants qui seront 39 millions en 2025, quand
l'essentiel de la population sera constitué de paysans
urbanisés comme ceux de Chicago (l'un des principaux
bidonvilles d'Abidjan). Mais ne comptez pas alors sur une
Côte d'Ivoire encore existante. Chicago qui est plus
significatif du présent démographique de
l'Afrique et du Tiers Monde - et plus encore du futur -
que les images exotiques et idylliques de femmes portant
des jarres de terre sur leurs têtes, est l'illustration
de la manière dont la Côte d'Ivoire, jadis
un modèle de succès pour le Tiers Monde,
est devenu un cas d'école de la catastrophe du Tiers
Monde (5)"
Pour Kaplan la situation africaine, et plus particulièrement
celle de la conurbation côtière qui va de Lagos
à Abidjan est emblématique de la nouvelle situation
planétaire. Une situation ou se développent à
nouveau des " blancs sur les cartes ",
des zones " d'anarchie "
livrés aux gangs, qui concernent d'abord les déshérités
des villes, mais aussi de vastes zones de campagnes sans
ressources (d'ou proviennent souvent d'ailleurs les immigrés
néo-urbains). Cette situation, bine plus que les menaces " civilisationnelles "
des islamistes par exemple, constitue le dangereux horizon
du XXIe siècle, bien au delà de l'Afrique de
l'Ouest. Il est fort intéressant de prendre en considération
les observations d'un homme très familier aussi des
Balkans et du Moyen Orient, il est l'auteur de best-sellers
aux USA comme " Balkan Ghosts " (un voyage
dans l'histoire) ou " Soldiers of God " (avec
les moudjahidin d'Afghanistan), qui développe une
vision " réaliste "
cynique du monde, aussi ironique contre les "croisades
pour le bien " de Bush que contre un certain idéalisme
Wilsonnien de ses opposants (6).
Toutes les caractéristiques
des nouvelles guerres sont présentes en Côte
d'Ivoire
La britannique Mary Kaldor travaille depuis des années
sur les guerres et la paix. Fondatrice des conventions END
pour le désarmement nucléaire et la fin de
la guerre froide dans les années 80, et de la Helsinki
Citizens' Assembly (représentée en France par
l'Assemblée européenne des Citoyens) dans les
années 90, elle connaît bien, elle aussi, les
Balkans, (ainsi que le Caucase), mais, quand elle a voulu
comprendre comment fonctionnaient les guerres de l'après
guerre froide, elle a naturellement du se pencher sur les
conflits africains. Dans son livre sur les " nouvelles
guerres " elle propose une sorte de modélisation (7).
Ce que Mary Kaldor appelle " nouvelles " guerres
diffèrent des " anciennes " à la
fois en ce qui concerne les buts, les méthodes, les
financements.
Les nouvelles guerres ont des motivations " identitaires ".
Cette dimension ne constitue pas une régression vers
le passé, par exemple dans le cas de la Côte
d'Ivoire vers un " tribalisme " pré-colonial,
mais une conséquence de l'ère globale de la
mondialisation. On assiste à des " reinventions " du
passé
dans le contexte de la délégitimation des états,
accentué par le néolibéralisme et du
discrédit des idéologies libératrices
globales antérieures du socialisme, ou, dans le cas
de la Cote d'ivoire, de la construction nationale," des
projets politiques rétrospectifs viennent remplir
le vide laissé par les projets prospectifs (8)"
constate Mary Kalor. Loin d'être pré-modernes,
les nouvelles guerres sont post-modernes et les phénomènes
contemporains de la médiatisation (c'est le cas en
Côte d'ivoire) ou de l'influence des diasporas (comme
ce fut le cas en Croatie), jouent un rôle important.
jouer un rôle essentiel.
Deuxième caractéristique, l'évolution
de la manière de combattre. Les nouvelles guerres
ont des points communs avec les guerres de guérillas
et de contre-guérillas de la période précédente,
mais s'en distinguent profondément. S'il s'agit toujours
d'éviter les batailles frontales ce n'est plus pour
gagner, par la persuasion ou la contrainte, le contrôle
de la population. Il s'agit au contraire en général
d'obtenir l'expulsion, ou au moins la marginalisation d'une
partie importante de la population. Le déplacement
de population n'est pas un dégât collatéral
d'une contre-guérilla mais le plus souvent un objectif
de " purification ethnique " légitimé
par des considérations idéologiques (nationalisme
raciste) ou simplement par la nécessité, pour
des seigneurs de guerres, de contrôler un territoire
peuplé
par leurs seuls obligés (comme au Liberia). Les crimes
de guerres et les crimes contre l'humanité à l'encontre
des civils sont des conséquences logiques de cette
situation, la menace de génocide, comme moyen ultime,
presque toujours présente.
Troisième caractéristique, l'émergence
de ce que Mary Kaldor appelle la nouvelle économie
de guerre globalisée, caractéristique de notre
phase de mondialisation néolibérale. Traditionnellement,
l'économie de guerre tendait vers un maximum de centralisation,
de rationalisation de la production, d'autarcie et donc d'étatisation.
L'économie des nouvelles guerres est au contraire
ouverte, décentralisée, privatisée.
Les combattants se financent par le pillage et les trafics
lucratifs sur le marché mondial (drogue, prostitution
ou diamants comme en Sierra Leone), à travers les
organisations privées des mafias locales ou transnationales.
Les interventions internationales ont en général
pour effet d'accentuer le phénomène (détournement
de l'aide, accaparement de rentes par des mafias, etc..).
Bien entendu aux armées classiques, nationales ou étrangères
s'ajoutent les milices plus ou moins identifiées avec
toutes les formes intermédiaires de forces plus ou
moins armées.
Dès lors la guerre ne devient pas " la
politique par d'autres moyens " comme l'entendait
Clauzevitz et comme elle l'a été plus ou moins
du traité de Westphalie jusqu'à la chute du
mur de Berlin. Elle devient un état économique
et social endémique dans certaines de ces zones " blanches " dont
parlait Robert Kaplan. Significativement, on ne sait pas
très bien quand commence une nouvelle guerre :
pas de déclaration de guerre bien sur, ni de proclamation
de la lutte armée par la guérilla, mais une
dégradation continue, une crise qui s'amplifie et à un
moment donné
on se rend compte que le point de non-retour est atteint
comme en Côte d'Ivoire avec le soulèvement des
militaires du . Et l'on ne sait évidemment pas quand
la guerre se termine, il n'y a plus de traité de paix
ou d'indépendance ; mais, après moult
cessez-le-feu sans suites, un " processus de paix " qui
prolonge le processus de guerre et dans lequel ceux des seigneurs
de guerres qui se sont le mieux sorti de la phase précédente
cherchent à stabiliser leur pouvoir sur les " entités " qu'ils
contrôlent. La stabilisation de la situation " gèle "
souvent le conflit plus qu'elle ne la règle et certaines
" entités " acquirent des caractéristiques
de proto-état (comme la Nagorno Karabagh, le Kurdistan
Irakien, l'Abkhazie, etc... et demain la Côte d'Ivoire
Nord ?
Toutes les caractèristiques des nouvelles guerres
sont présentes en Côte d'Ivoire, à ceci
près, si l'on compare à d'autres drames, que
le processus de dégradation évolue relativement
lentement. Les chefs de factions demeurent encore des chefs
politiques, qui ont cherché à négocier,
sans doute d'abord du fait des pressions françaises,.
On était déjà
au bord de la guerre civile au moment de l'invalidation de
la candidature de Ouatarra et de l'élection de Laurent
Gbagbo
à la présidence, et puis le pays a connu une
sorte de rémission. Une tentative de gouvernement
d'union nationale, avec réintégration d'Allasane
Ouatara dans le jeu, a été esquissée.
Le soulèvement du 19 septembre 2002 vient d'y mettre
fin dans des conditions qui demeurent partiellement obscures
(à l'évidence les rebelles ont bien disposé d'un
appui Burkinabé,
à l'évidence des dirigeants du FPI en ont profité
pour régler des comptes notamment en assassinant le
général Guei).
La division Nord Sud du pays pourrait, aux yeux de certains,
être le premier pas vers une fédéralisation.
Les exactions commises par les forces armées, rebelles
et loyalistes demeurent, si l'on compare à ce qui
s'était passé en Sierra Leone ou au Liberia,
encore limitées. Si le processus de privatisation
de la guerre, avec mercenaires et milices est déjà entamé,
les choses demeurent relativement encore sous contrôle.
La catastrophe humanitaire guette la zone rebelle, enclavée
et manquant de ressources alimentaires. Mais l'apocalypse,
si elle doit survenir, ne viendra pas de la savane du nord
mais des villes et des villages du Sud. Là se trouve
la majorité
de la population. Là vivent aussi par millions des " nordistes "
musulmans dioulas ivoiriens ou burkinabés ou d'autres
origines, dans des villages d'ouvriers agricoles de la zone
du Cacao et surtout dans les " chicagos " et
autres bidonvilles d'Abidjan. Là, on s'arme pour se
défendre contre la milice ou la police du voisin.
Là des prêcheurs enflamment les églises
et les mosquées (les militants des droits de l'homme
ivoiriens soulignent de ce point de vue le rôle incendiaires
de certaines sectes évangéliques). Là,
des médias (du FPI notamment) empoisonnent les esprits
et la peur se répand au fur et à mesure que
la situation économique se dégrade.
Les peuples de la région ont
une expérience fort mitigée des interventions "humanitaires"
de ces dernières années
C'est alors qu'intervient la cavalerie... : l'interposition
armée et la médiation diplomatique de la " communauté
internationale ". Nous ne sommes pas, en Côte
d'Ivoire aujourd'hui dans une situation ou il faudrait soutenir
un camp contre un autre, au motif que ce camp, progressiste,
proposerait une vraie solution nationale conforme aux intérêts
du plus grand nombre. Ce n'est pas le cas, même si,
nous l'avons déjà dit, la situation n'a pas
(encore ?) atteint le niveau de dégradation qu'ont
connu le Liberia ou la Sierra Leone pour ne parler que des
voisins.
Mais nous savons aussi qu'une intervention " humanitaire "
internationale n'est pas ipso facto synonyme de retour à
la paix. Bien entendu dans ce genre de situation les " vraies "
forces d'intervention, celle qui disposent de moyens conséquents,
ne sont pas animées que par des bons sentiments et
de la probité candide. Les français en Côte
d'Ivoire, les Britanniques en Sierra Leone, les Nigérians,
au Liberia et en Sierra Leone, sans parler des américains
partout... ne perdent pas de vue leurs intérêts
économiques, politiques, symboliques. Nous avons toutes
les raisons pour surveiller de près une intervention
française dans son " pré carré "
compte tenu de précédents historiques fâcheux...
Mais cette indispensable vigilance ne signifie pas que le
mot d'ordre juste, pour un démocrate français
aujourd'hui, soit de demander le retrait immédiat
des troupes françaises impérialistes.
Les peuples de la région ont une expérience
fort mitigée des interventions " humanitaires "
de ces dernières années. Dans le Liberia a
feu et à sang des années, une partie des forces
armées de l'ECOMOG (9) (la force
de la communauté
des pays d'Afrique de l'Ouest CEDEAO), est très vite
devenue...une faction guerrière supplémentaire
pratiquant pillage et racket voire trafic et alliance avec
certaines milices. En Sierra Leone après des années
de guerre civile (1991-99) et une intervention de l'ECOMOG,
un " accord de paix ", laissant la part
belle aux seigneurs de guerre, a été conclu
en juillet 1999, et censé
être garanti par une force de paix de 11 000 hommes
sous l'égide de l'ONU, l'UNAMSI, composée principalement
de contingents africains. Mais bien avant que celle-ci soit
réellement en place les rebelles du RUF (10) ont
pris en otage 500 employés de l'ONU en mai 2000. Ceci
a entraîné une intervention musclée des
troupes d'élites britanniques, débouchant sur
un nouvel accord " de paix " sous les
auspices de la CEDEAO, tandis que le contingent de l'UNAMSI était
(théoriquement) porté à 17500 hommes.
La " paix " est loin d'être établie
au Liberia comme en Sierra Leone, mais un calme relatif prévaut...
avec bien sur maintenant des " zones blanches " hors
des zones sécurisées. Le bilan des interventions
internationales reste à faire. Pourtant aujourd'hui
nombreux sont ceux qui, en Côte d'Ivoire pensent qu'une
telle intervention demeure indispensable mais sont légitimement
inquiets quand à ses conséquences. La prééminence
de l'ancienne puissance coloniale dans cette intervention
a des relents de re-colonisation, mais quand les français
eux-mêmes expliquent qu'ils ne sont là qu'a
titre provisoire avant de laisser la place à une force
de la CEDEAO le bilan négatif de l'ECOMOG dans les
pays voisins est dans toutes les mémoires et certains
ne sont pas loin de penser qu'il vaudrait mieux...que les
français restent.
Mais, nonobstant les intérêts de Bolloré,
Bouygues et autres capitalistes francafricains, l'armée
française n'est pas très enthousiaste. La " projection
humanitaire " fait certes partie de la panoplie
des actions qu'une puissance soucieuse de conserver un rang
mondial doit
être capable de mettre en oeuvre mais en la matière,
comme le remarque le " Débat
Stratégique ", le journal d'Alain Joxe : " La
doctrine française s'élabore avec la mémoire
des échecs. Les échecs du Rwanda de Bosnie
et du Kosovo servent de garde-fou. Plus jamais le Rwanda
signifie ne pas prendre part au jeu génocidaire d'une
crise identitaire pour intervenir ensuite en interposition.
Plus jamais Srebrenica signifie ne plus jamais laisser prendre
en otages les casques bleus en mission humanitaire dans la
dépendance d'une alliance hétéroclite.
C'est bien parce que les casques bleus français! étaient
attachés au piquet par les troupes de Mladic et Karadzic
que les Européens ont laissé faire ce massacre.
Plus jamais le Kosovo, c'est refuser la punition des actes
de guerre génocidaires et pratiquer l'intervention
préventive, donc avec action terrestre empêchant
l'organisation sans trouble du nettoyage ethnique "
Politiquement, il est nécessaire d'intervenir au
nom d'un multilatéralisme le plus africain possible.
La France va donc favoriser la médiation de la CEDEAO.
Militairement, il faut intervenir sans être embarrassé par
ce même multilateralisme, et, au mieux retirer les
forces d'interpositions françaises une foi la solution
politique bien engagée, au pire les retirer si cette
solution parait hors de portée mais sans risquer d'être
accusé
par les opinions publiques africaines, et surtout françaises,
à la foi de non-assistance à peuple en danger
et d'ingérence au profit d'une faction (ce qui est
arrivé
au Rwanda). Et le tout si possible en préservant les
intérêts économiques et surtout politiques
de la France dans son pays d'Afrique préféré.
Pas facile...
Mais certains barons de la Francafrique ont leur idée
là dessus. Bongo le roi-pétrolier du Gabon
s'est proposé comme médiateur, mais c'est le
général-président togolais Eyadéma
qui a occupé la fonction. Et leur message est clair : " regardez
ou mènent ces lubies de pluralisme de droit de l'homme
et de démocratie en Afrique, laissez donc faire les
chefs pour ramener les peuples
à la raison ! " Ils profitent de surcroit
du fait que les dirigeants démocratiquement élus
du Sénégal et du Mali sont considérés
par les sudistes chrétiens ivoiriens comme des alliés
objectifs des nordistes musulmans et donc récusés.
Ainsi finalement, à l'occasion de la crise ivoirienne,
la vieille Francafrique des réseaux Foccart-Pasqua
serait de retour avec la bénédiction de Chirac.
C'est d'ailleurs aussi ce que pense notre avisé, mais
cynique, observateur américain Robert D Kaplan
Le maintien de " l'ordre " par des régimes
autoritaires qui ne bénéficient pas de la légitimité
des anciens despotes éclairés pères
des indépendances, permet peut-être de sécuriser
quelques zones utiles aux intérêts occidentaux,
mais certainement pas d'apporter la paix et la prospérité
aux peuples de la région. L'aspiration à la
démocratie et à l'ouverture qui s'est exprimée
depuis vingt ans en Afrique n'était pas une lubie
d'intellectuel parisien et son enterrement dans " le-monde-tel-qu'il-est "
une fatalité.
L'éditorial déjà cité du Débat
Stratégique nous rappelle opportunément à
nos responsabilités, quand les forces armées
de notre pays interviennent " pour la paix " : " Si
on décide l'envoi de forces d'intervention humanitaire,
d'interposition ou de protection , il est logique de prendre
ces précautions : être vraiment invité sur
place, respecter les souverainetés locales, et ne
dépendre de personne pour certaines actions défensives
minimum, se donner un cahier des charges éthiquement
transparent pour le peuple français et pour les peuples
concernés ".
Ce " cahier des charges " doit prendre
en considération quelques éléments essentiels.
Premièrement, l'interposition militaire doit avoir
pour objet la protection des populations civiles et en premier
lieu de celle qui sont menacées de purification ethnique
et non, comme on a vu en Bosnie, et jusqu'à un certain
point en Sierra Leone la protection... des intervenants.
Deuxièmement , toute intervention doit être
contrôlable et contrôlée, notamment quand
il s'agit de la France dans une de ses ex-colonies, au travers
des institutions internationales adéquates (ONU, CEDEAO,
Union Européenne), troisièmement politiquement
toute intervention doit favoriser les facteurs de paix et
non conforter les fauteurs de guerre.
Mais qui sont les facteurs de paix ? Lors de l'intervention
britannique en Sierra Leone diverses voix s'étaient
faite entendre pour justifier ou condamner l'ingérence
internationale. Comme le remarque Mary Kaldor dans une étude
faite en 2001 sur le sujet : " l'opinion
dominante au sein des groupes de la société civile à l'intérieur
de la Sierra Leone se situait quelque part entre la position
de la " guerre juste " et celle de " l'imposition
de la paix " (peace enforcement) " mais
dans l'ensemble ces mouvements, groupes de femmes, mouvements
d'églises, etc. étaient en faveur d'une intervention
permettant d'empêcher les exaction du RUF. Par la suite,
et c'est là toute la difficulté, se pose le
problème du processus de réconciliation à l'intérieur
de la société pour lesquels la garantie de
sécurité
apportée par l'intervention extérieure et loin
d'être une condition suffisante.
Ce même débat, nous devons l'avoir en France,
avec les Ivoiriens en Côte d'Ivoire et dans la diaspora.
Les forces de la société civile qui s'oppose
au déchirement ethnique existent sur le terrain, mais
sont actuellement faibles et peu audibles, plus faible qu'en
Bosnie en 1991 par exemple et là justement l'intervention
militaire extérieure a été conduite
d'une manière qui n'avait pas pour objet d'élargir
leur capacité
d'action. Mais ces forces existent et ont un écho
qui ne se limite pas au seul territoire ivoirien. La question
concerne en effet toute la région et les protagonistes
ne se limitent pas aux chefs ivoiriens (Gbagbo, Ouatarra,
Bedié et les inquiétants personnages qui vont
surgir dans la crise actuelle) ni aux dictateurs comme Compaoré et
Eyadéma. L'autre Afrique existe tout autant, à travers
des artistes, des intellectuels, des militants des organisations
de droits de l'homme, des groupes de femmes, etc. et même
de certains leaders politiques. C'est à celle-là que
nous devons apporter notre concours, c'est celle-là qui
doit faire qu'il y ait assistance aux peuples en dangers
et non opération de police néo-coloniale.