La situation des droits de l'homme a connu
une nette dégradation depuis le début des années
80 avec l'arrivée au pouvoir du Colonel Maawiyya Ould
SidAhmed Taya (12/12/1984). En effet, pour asseoir son pouvoir,
il va s'employer à semer la graine de la haine et
de la discorde au sein du peuple Mauritanien n'hésitant
pas à exacerber les malentendus entre les deux races
qui coexistent en Mauritanie.
I - L'HISTOIRE
Dès 1986, un groupe de negromauritaniens
attire l'attention sur la marginalisation de la population
noire. En septembre 1986, plus d'une trentaine parmi eux
vont être arrêtés pour avoir distribué un
document intitulé le Manifeste des Negro-mauritaniens
Opprimés . Ce document qui, preuves à
l'appui, démontrait la discrimination raciale dont étaient
victimes les negro-mauritaniens tout en demandant l'ouverture
d'un dialogue avec le pouvoir, va donner le coup d'envoi
d'une vendetta qui se révélera comme la période
la plus sombre et la plus sanglante de l'histoire du pays.
De septembre à octobre 1986, une
série de procès conduira plus de vingt personnes
en prison après avoir été jugées
coupables d'avoir tenu des réunions non autorisées
et d'avoir affiché et distribué des publications
préjudiciables
à l'intérêt national, et mené une
propagande à caractère racial et ethnique.
De graves irrégularités ont émaillé
ces procès au cours desquels aucun des droits des
prévenus n'a été respecté. Les
condamnations allaient de 6 mois à 5 ans de prison
accompagnées d'amendes et de 5 à 10 ans de
relégation interne.
Le 28 octobre 1987, le ministre de l'intérieur
annonce la découverte d'un complot contre le régime
de Taya (1). Les accusés
appartenaient tous aux communautés noires du sud
du pays et principalement les Haalpularen. Plus de 50 d'entre
eux vont être gardés au secret avant d'être
jugés par un tribunal présidé
par un officier qui n'avait aucune qualification assisté d'assesseurs
qui en avaient moins. Sous prétexte qu'ils avaient été pris
en flagrant délit, ils vont être jugés
par un tribunal d'exception et les peines furent lourdes
: Trois accusés sont condamnés
à mort et exécutés sans avoir eu droit
à interjeter appel. Selon des témoins, les
bourreaux ont prolongé leur mort de façon à les
soumettre
à une lente agonie. D'autres accusés ont écopé
de la prison à vie ou des peines de travaux forcés.
Ils ont été conduits à la prison de
Oualata qui sera connue sous le nom célèbre
de Mouroir de Oualata.
C'est là en effet que rendront l'âme l'écrivain
Tene Youssouf Gueye, Bâ Alassane Oumar, Bâ Abdoul
Ghoudouss et Djigo Tabsirou (anciens ministres) détenus
dans des conditions abominables.
En 1989, la crise qui éclate entre
le Sénégal et la Mauritanie donne l'occasion
au régime de Taya de résoudre à sa façon
la question de la cohabitation. Des dizaines de milliers
de negro-mauritaniens sont expulsés vers le Sénégal
et le Mali après avoir été dépouillés
de tous leurs biens. Des centaines d'exécutions extrajudiciaires
vont être commises, ainsi que des arrestations injustifiées...
Le sud du pays va être sous régime d'exception
durant plusieurs années. Le régime va également
mettre à profit cette période pour réduire
de façon drastique la place des negro-mauritaniens
dans les rouages de l'Etat. Une purge est opérée
au sein des forces armées qui vont être le théâtre
d'une gigantesque chasse à l'homme noir. Les militaires
sont parqués dans des camps de concentration, soumis
à toutes sortes de tortures, écartelés
entre deux voitures, traînés derrière
des voitures, brûlés, soumis à des décharges
électriques sur leurs parties génitales ...
Le 28 novembre 1990, 28 d'entre eux ont été pendus
pour commémorer l'anniversaire de l'accession du pays
à l'indépendance. Plusieurs autres vont être
achevés la même nuit. En tout plus de 500 militaires
vont être exécutés à Inal , Azzlat,
Jreida... (2)
Aucune poursuite ne sera engagée
contre les coupables. Pire encore, une loi d'amnistie à été
votée en 1993 pour les absoudre de leurs fautes. Pourtant
officiellement le régime continue de nier ces évènements.
Les députés (tous du parti au pouvoir) ont
ainsi voté une loi d'amnistie pour des crimes qui,
selon le régime, n'ont jamais été commis.
II - L'ACTUALITE
En 1991, sous la pression des évènements
et d'amis occidentaux soucieux de rendre le régime
formellement présentable, Taya promet la démocratie
aux Mauritaniens. Il se taille une constitution sur mesure
qu'il fait adopter sans concertation ni explications et ne
se gène pas du boycott massif que le peuple réserve à cette
pseudo-consultation.
Les élections qui s'en suivent sont organisées
par le ministère de lintérieur sans garantie
de transparence. Elles donnent l'occasion à la plus
grande farce électorale de l'histoire de la démocratie.
Des campements de 800 habitants voient leurs populations
passer virtuellement à plus de 30000 et toutes les
voix vont au parti au pouvoir. Le parlement est naturellement
monocolore et dans le camp du pouvoir personne ne s'en offusque.
Malgré la confiscation du pouvoir
et le règne de la terreur, l'opposition s'organise
pour jouer son rôle de contre pouvoir et renforcer
l'ancrage du pays dans la démocratie. Mais le régime
trouve une façon de ramener tout le monde "à la
raison"
par le chantage alimentaire : le baromètre du mérite
sera désormais le degré d'appartenance au parti
au pouvoir.
En dépit de cette répression
insidieuse, l'opposition occupe la scène au point
d'inquiéter sérieusement le régime qui
réagit en interdisant en toute illégalité deux
partis d'opposition At-talia (Parti de l'Avant Garde Nationale,
pro-Irakien) et plus récemment l'Union des Forces
Démocratiques/Ere Nouvelle (principal parti dopposition).
Les manifestations des partis sont toujours réprimés
dans le sang et leurs leaders sont régulièrement
emprisonnés.
La presse pour sa part résiste tant
bien que mal aux assauts répétitifs du pouvoir.
Si en effet le régime s'est trouvé dans l'obligation
d'accepter la naissance de journaux indépendants,
il va systématiquement imposer la censure comme arme
absolue pesant comme une épée de Damoclès.
La presse passée sous le contrôle paternaliste
du ministère de l'intérieur se voit pratiquement
réduite à
n'évoquer que des sujets de peu d'intérêt.
Le journal Mauritanie Nouvelles croulant sous le joug de
la censure a déjà mis la clef sous la porte.
Le journal le Calame ne compte plus le nombre d'interdictions
de paraître dont il a été l'objet. La
censure na pas non plus
épargné la Nouvelle Expression, l'Eveil Hebdo,
la Tribune... tous des titres reconnus pour leur sérieux
et leur objectivité. Dautres comme El Alam ont été
définitivement interdits sans autre forme de procès.
Ces abus ont provoqué l'indignation
de certains Mauritaniens qui se sont organisés dans
le cadre d'associations de défense des droits de l'homme.
Ils sont régulièrement victimes de la pression
du régime : arrestations, tortures, licenciements,
mise sur écoute téléphonique... En 1998,
un retentissant procès est intenté à certains
d'entre eux qui avaient osé (sacrilège suprême)
évoquer la pendante question de l'esclavage en Mauritanie.
En effet devant les cameras de la chaîne France 3,
ils ont démontré l'existence de cette pratique
moyenâgeuse encore de nos jours.
La lutte contre l'esclavage est également
un domaine dans lequel le régime a eu tout le loisir
de démontrer son incurie et son mépris. Plutôt
que de mettre en oeuvre une politique courage tendant à
éradiquer ce fléau, il a choisi de jouer sur
les '"maux'" et parler de "séquelle
de l'esclavage". Or malgré
l'interdiction de l'esclavage par un communiqué du
Comité
Militaire de Salut National (CMSN) le 5 juin 1980 confirmé
par l'ordonnance n 81-234 du 9 novembre 1981 (le décret
d'application n'a d'ailleurs jamais suivi) les anciennes
populations se0viles restent livrées à elles
mêmes. Aucune mesure de réinsertion na été envisagée
pour leur permettre de trouver en plus de leur liberté,
les moyens de s'émanciper économiquement. Pire
encore, dans les coins reculés du pays, loin de l'anonymat
des grandes villes, des hommes et des femmes continuent à
être vendus par leurs semblables malgré les
affirmations contraires du gouvernement qui tente de dissimuler
la pratique aux yeux de l'Humanité. Malgré leur
récurrence, les discours officiels ne pourront nullement
faire oublier la situation de ces parents séparés
de force de leurs enfants qui n'ont pas accès à leur
héritage. Ni encore que des hommes travaillent en
forçats sans
être rémunérés de quelque façon
que ce soit.(3)
Que faire face à un régime
peu scrupuleux du bien-être de ses administrés
et faisant peu de cas des préoccupations majeures
de ses citoyens ? Un régime peu respectueux des droits
des citoyens tels que définis par les traités
dont pourtant il est pour la plupart signataire ? Ses abus
sont-ils rattrapables ? Peut-on parvenir à une réconciliation
nationale et à un retour à la confiance mutuelle
?
Les militants des Droits de l'Homme ont
la difficile mission de rechercher la vérité au
sujet de tous les abus et de la porter à la connaissance
de l'opinion publique nationale et internationale. Ils auront également
à maintenir la pression pour que soit traquée
l'impunité partout dans le monde. Ils veillent à
ce que les libertés garanties par la constitution
soient respectées et que jamais plus ne se reproduisent
les
événements vécus par les mauritaniens
ces dernières années.
Quant à la réconciliation
nationale et au retour de la confiance elles supposent d'abord
la reconnaissance des faits, l'identification des coupables
et leur traduction devant les juridictions compétentes
qui devront statuer en toute indépendance. Enfin si
un pardon est souhaitable, il ne peut survenir sans la volonté expresse
des principaux concernés qui doivent seuls y être
habilités. Peut être alors, pourront nous espérer
que les blessures se referment et que les mauritaniens aient
le regard tourné vers le futur et ses nouveaux défis.
DIAGANA Abdoulaye.
NOTES