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Les Causes internes et externes de la persistance de l'esclavage en Afrique.

Par Garba DIALLO.

En dépit de la persistance à une échelle massive de ce crime séculaire et brutal contre l'humanité, l'esclavage dans le Sahel africain n'a pas bénéficié de l'attention qu'il mérite. Il existe trop peu d'experts, de livres ou d'autres sources de documentation sur le sujet. Pratiquement aucune connaissance fiable de la résistance et des combats menés par les victimes contre les pirates du désert, cupides et sans scrupules, qui depuis le 9ème siècle après J.C. font la chasse à leurs frères humains à la peau plus noire. L'esclavage et le commerce des esclaves imposés par les Arabo-berbères à travers le Sahara, dans cette région infortunée, a précédé d'environ un demi-siècle l'esclavage et le commerce des esclaves pratiqués par les Européens à travers l'Atlantique, et leur ont survécu jusqu'à ce jour. Il y a cependant eu trop peu de recherches sur ce crime, ou de campagnes pour éradiquer le fléau de ces pratiques scandaleuses. Cette conspiration internationale de l'indifférence a fait de l'esclavage au Sahel peut-être le plus ancien, le plus raciste et le plus cruel des crimes contre l'essence même de l'humanité. Après plus de mille ans de réduction en esclavage systématique et d'exploitation des Africains noirs par les arabo-berbères, l'esclavage s'est si profondément imprimé dans la structure socio-économique de la société que, dans les esprits des maîtres comme dans ceux de leurs esclaves, cette relation inégale apparaît comme la création de Dieu. A l'aide d'un mésusage et d'une interprétation abusive de l'Islam pour justifier leurs buts criminels, une dépendance mutuelle s'est instaurée qui fait du maître à la fois le père et le terme de référence, tandis que l'esclave est le moyen de production, la source de subsistance, l'index du statut social et une arme de défense loyale et durable contre les menaces réelles ou potentielles.

Ainsi, cette forme ancienne d'esclavage classique est encore un phénomène si répandue qu'elle est acceptée comme un fait de nature à la fois sur place et dans la communauté internationale. Comme le confirme Samba Kane (Samuel Cotton), "Il est devenu évident que la réduction en esclavage d'Africains noirs n'a pas pris fin avec l'abolition de la traite atlantique des esclaves. Qu'aujourd'hui même, à cette même heure où vous lisez ceci, des Africains noirs sont achetés et vendus dans deux pays d'Afrique du Nord. Dans la République islamique de Mauritanie, des Africains noirs continuent à être maintenus en esclavage par leurs maîtres arabo-berbères. Bien que l'esclavage ait été officiellement aboli depuis l'indépendance de la Mauritanie en 1960, il persiste. Des esclaves sont offerts en cadeau de mariage, échangés contre des chameaux, des fusils ou des camions, et reçus en héritage. Les enfants d'esclaves appartiennent au maître et les esclaves qui déplaisent à leurs maîtres ou qui essaient de s'enfuir sont torturés de la façon la plus brutale qu'on puisse imaginer" (The City Sun, févr. 1995).

Pourquoi l'esclavage est-il encore pratiqué et prospère ici ?

Comme le dit Joseph R. Gregory, ces faits (l'existence de l'esclavage) sont bien connus des gouvernements occidentaux et des Nations Unies, et des reportages concernant l'esclavage paraissent de temps à autre dans les media occidentaux. Ils ont cependant échoué à déclencher l'indignation publique qui avait animé les mouvements abolitionnistes et le mouvement contre l'apartheid. "Il y a deux éléments essentiels dans l'histoire de l'esclavage au vingtième siècle", dit Charles Jacobs, directeur de recherches au Groupe américain de lutte contre l'esclavage. "Le premier est simplement qu'il existe. L'autre est ce que j'appelle le scandale du silence - le fait que les gens ne veulent même pas reconnaître qu'il existe." Le relativisme culturel explique en partie cette réticence. Les conflits en Mauritanie et au Sahel sont obscurs. Ils ne se produisent pas dans un contexte de modernisation économique comme en Afrique du Sud, ni ne reflètent les tensions entre Blancs et Noirs du conflit autour de l'apartheid, qui touchait les Américains de si près. Les raisons qui expliquent la persistance de l'esclavage au Sahel sont nombreuses, complexes et enchevêtrées. Dans les pages qui suivent, je vais essayer d'identifier et d'analyser brièvement les facteurs qui expliquent le maintien de l'esclavage dans cette région.

I. Facteurs internes

L'utilisation abusive de l'Islam pour des buts criminels combinée avec le conformisme d'une conception du monde traditionnelle semble être la raison pour laquelle les gens continuent à accepter et à pratiquer l'esclavage. L'esclavage était une pratique invétérée dans la plupart des sociétés, pratique que l'Islam n'est pas encore parvenu à modifier. Par rapport à l'esclavage l'Islam a adopté une tactique graduelle et réformiste pour limiter, réduire et améliorer le traitement des esclaves musulmans et peut-être y mettre fin à l'avenir. Cependant, dans la réalité, le statut d'esclave reste héréditaire et dès lors il se maintient par lui-même. Les maîtres se sont convaincus eux-mêmes, ainsi que leurs victimes, qu'accepter et respecter l'esclavage est une obligation religieuse pour ces derniers. Satisfaire les besoins du maître précède le devoir de satisfaire les demandes de Dieu. Le statu quo est mutuellement accepté et intégré à la structure verticale de la société du désert. Dans cette société la division des rôles et du travail est claire. C'est pourquoi la proclamation de l'abolition de l'esclavage était incompatible avec l'imposition des lois de la Charia en Mauritanie et au Soudan au début des années 1980.

Auto-reproduction

L'étendue et la persistance de l'esclavage de la Mauritanie jusqu'au Soudan, à travers le Sahel, ne s'expliquent pas comme un simple accident. L'Islam a pénétré le Sahel et s'y est répandu à partir du 9ème siècle principalement grâce au commerce. Il n'y eut pratiquement pas de guerres de djihad à la suite desquelles des prisonniers non musulmans faits dans des guerres saintes auraient pu être réduits en esclavage. C'est pourquoi le nombre énorme d'esclaves dans des pays comme la Mauritanie ne peut être attribué à des guerres islamiques. De même l'enlèvement occasionnel d'enfants noirs réduits en esclavages, ni les razzias d'esclaves, ne peuvent être responsables du fait que près de la moitié des 2,5 millions d'habitants de la Mauritanie appartiennent à la communauté des esclaves, les "haratine". Cela fait des "haratine" le groupe ethnique le plus important du pays. Nous devons donc chercher et trouver ailleurs les raisons de l'existence de cette énorme quantité d'esclaves.

A partir de mon expérience sur le terrain, il est évident que le nombre d'esclaves en Mauritanie est la conséquence d'une reproduction massive et systématique de la population esclave. En vertu à la fois de la tradition et des croyances locales, le maître a le droit de reproduire directement ses esclaves lui-même à travers la pratique répandue du concubinage. Ce droit est refusé aux femmes propriétaires d'esclaves. Comme le maître n'est pas légalement tenu de reconnaître les enfants qu'il a engendrés avec ses esclaves femelles, il peut maintenir ou augmenter le nombre de ses esclaves par ce type de reproduction. Dès lors le maître se retrouve dans la situation étrange d'être le propriétaire d'esclaves qui sont ses propres enfants. Dans la région de Mauritanie où j'ai grandi, je connais nombre d'esclaves qui n'ont connu ni leur père ni leurs grands-pères. J'avais un ami dont la grand-mère était une esclave qui portait des scarifications bambara visibles sur le visage. Elle nous raconta que le père de mon ami avait un jumeau qui était mort en bas âge, et qu'ils avaient la peau très pâle parce que leur grand-père était aussi le maître blanc de son père, qui appartenait à la tribu Lemtuna. S'il reconnaissait l'enfant, il devrait affranchir à la fois la mère et ses enfants. Un autre moyen sûr de se fournir en esclaves est d'épouser et d'engrosser d'anciennes esclaves pour le seul but de produire des esclaves. Comme des animaux domestiques, les enfants d'esclaves suivent leur mère et deviennent dès lors directement la propriété du maître de leur mère.

Crise d'identité dans la société sahélienne

Dans cette zone de transit, les gens ont du mal à vivre avec leurs identités multiples. Sont-ils Arabes, berbères, africains, ou une combinaison des trois? L'Islam et le thé vert sont des valeurs acceptées en commun, mais il existe toujours une sérieuse confusion entre le panarabisme, l'expansionnisme économique et territorial en direction du Sud, et l'Islam. L'imposition de la langue arabe en Mauritanie dans les premières années de l'indépendance fut fondée sur l'argument que le pays était musulman à 100%, argument qui justifia aussi l'adhésion à la Ligue arabe. La crise d'identité poussa certains à essayer de prouver leur arabité en arguant du fait qu'ils possédaient des esclaves. Du début au milieu des années 1980, j'ai rencontré des diplomates mauritaniens qui se vantaient d'avoir des esclaves dans les Emirats comme pour prouver qu'ils représentaient un pays arabe mono-culturel, qui avait le malheur d'avoir été mal placé, trop près de l'Afrique noire.

Le conflit ethnique

Utiliser des armées d'esclaves est une pratique ancienne à la fois en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En vertu du mouvement bien connu et arbitraire consistant à arabiser depuis l'indépendance de 1960, les dirigeants Mauritaniens successifs ont été prompts à reprendre la vieille tradition consistant à utiliser des esclaves comme armée de répression dans le conflit entre les Maures blancs dominants et la communauté noire libre. La stratégie a consisté tout d'abord à compter les "haratine" en même temps que les Maures blancs dans le groupe arabe, tout en niant systématiquement, en manipulant et en déformant les statistiques, l'histoire, la réalité multi-culturelle, et les chiffres de la population du pays. En conséquence, les Africains noirs en Mauritanie sont considérés comme une petite minorité constituant moins de 25% de la population. En conséquence de cette stratégie, la Mauritanie est présentée comme un pays arabe homogène avec une petite minorité de Noirs, essentiellement des étrangers. Ces étrangers représentent un obstacle formidable à l'intégration de la Mauritanie dans la nation arabe. C'est pourquoi, dans la violence inter-communautaire récurrente, les maîtres utilisent leurs esclaves comme une armée toute prête et loyale pour réprimer leurs adversaires noirs. Noirs contre noirs ("al abd bil abd") semble survivre en même temps que le maintien de l'esclavage dans cette partie du monde.

II. Facteurs externes

Les facteurs externes de la persistance de l'esclavage dans la zone du Sahel ont beaucoup à voir avec les dimensions afro-arabes et tiers-mondistes du problème, combinées avec les intérêts français coloniaux et néo-coloniaux. Ces facteurs sont l'hypocrisie des régimes africains et leur désir de pétro-dollars, les dictatures de la région et l'héritage de la traite trans-atlantique dans la société occidentale, de plus, la fascination occidentale pour la société du désert et l'idéal de conservation de l'homme naturel dans son mode de vie traditionnel. Examinons brièvement chacun d'eux.

Les régimes africains

Comme mentionné plus haut, il existe une profonde confusion entre Islam et arabisme. De surcroît, les pays africains voisins comme le Sénégal et le Mali sont musulmans. Cependant, du fait de leur éducation française, les élites au pouvoir ont une faible connaissance de l'Islam, ce qui leur rend difficile d'argumenter contre l'esclavage pratiqué dans des pays comme la Mauritanie et le Soudan. De plus, les dictateurs africains qui ont si peu de respect pour les droits de l'homme de leurs propres citoyens ne risquent pas de se soucier de ceux des autres Africains. La charte et la pratique de l'OUA rendent difficile pour les Africains de se critiquer entre pays. Cela ajoute au manque catastrophique d'informations sur ce qui se passe dans les autres pays africains. L'information d'un pays africain à l'autre est insuffisante et souvent déformée.

La dimension afro-arabe et tiers-mondiste

La dimension raciale de l'esclavage dans le Sahel la rend trop sensible pour les élites aussi bien africaines qu'arabes. Ils veulent ainsi concentrer tous leurs efforts sur le discours Nord-Sud, le Nord impérialiste contre le Sud opprimé. Au dernier sommet mondial contre la xénophobie en Afrique du Sud, certaines élites africaines déployaient des efforts pour empêcher qu'on s'intéresse à l'esclavagisme en Mauritanie et au Soudan. Leur argument était que les problèmes internes au Tiers-Monde ne devaient pas être traités dans les forums internationaux. Ma position est que nous devons nettoyer devant notre porte si nous voulons que les autres nous prennent au sérieux.

Les sociétés occidentales

Les chercheurs et les officiels occidentaux préfèrent enterrer et oublier le problème de l'esclavage. Discuter le problème de l'esclavage au Sahel pourrait engendrer une prise de conscience qui donnerait de la force au combat pour des compensations pour les crimes contre l'humanité commis en Afrique, avec les implications économiques et politiques qui s'ensuivraient. Par ailleurs, les intérêts politiques et stratégiques à court terme viennent toujours avant les droits de l'homme.

Enfin, nombre d'Européens et d'Américains du Nord sont si fascinés par la société traditionnelle du désert qu'ils veulent la conserver comme un héritage mondial, dans sa structure féodale.

Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous ramener 200 ans en arrière dans l'histoire. "Abdi" veut dire "esclave" en arabe, et le nom est réservé typiquement aux esclaves noirs. Bien que l'esclavage ait été officiellement aboli en 1980, pour la troisième fois dans la Mauritanie indépendante, l'esclavage et le commerce des esclaves sont toujours une réalité vivante. Du fait de l'exploitation sexuelle massive des esclaves femelles par les maîtres blancs, la population esclave a augmenté jusqu'à devenir le groupe ethnique le plus important du pays.

La population de la Mauritanie compte environ deux millions d'habitants: 32% d'Africains noirs d'origine ethnique Foulani, Soninke et Ouolof, 28% de Maures blancs d'origine arabo-berbère, et 40% d'esclaves noirs connus comme les "abid" ou "haratine".

Les esclaves appartiennent aux Maures blancs, qui monopolisent le gouvernement du pays depuis que le régime colonial français leur a transmis le pouvoir politique en 1960. Ceux-ci n'ont aucune intention ni aucun intérêt à abolir l'esclavage, car cela pourrait inciter les esclaves à contester la suprématie maure.

Nouvelle dimension de l'esclavage

Dans les heurts culturels entre le régime maure et les Africains noirs libres, les esclaves ont été utilisés comme tampon et escouades de la mort contre les Africains.

Les esclaves "abdi" continuent à s'identifier à leurs maîtres et à leur obéir aveuglément. Ainsi l'esclavage revêt une nouvelle et mortelle dimension. Le régime militaire actuel du colonel Taya le sait, et exploite la puissance des esclaves pour régler de vieux comptes avec les noirs libres qui s'opposent à l'hégémonie maure et la contestent.

Depuis que le conflit afro-arabe a fait éclater de violentes émeutes en 1989, les esclaves ont été organisés en milices que le gouvernement utilise pour massacrer et déporter les noirs au Sénégal et au Mali. Comme sous l'apartheid en Afrique du Sud, on les manipule en vue de produire une destruction mutuelle des noirs entre eux.

L'économie esclavagiste

Abdi, un esclave et leur maître étaient venus à Dakar il y a des années. Peut-être le maître avait-il l'intention d'utiliser ses esclaves comme capital de départ de son affaire. Les petites affaires prospèrent et donnent un profit rapide, particulièrement pour un étranger avec des travailleurs esclaves qui peuvent passer à Dakar pour des Sénégalais. Il n'y a pas d'heures d'ouverture contrôlées par l'Etat, si bien que les deux esclaves travaillent 24 heures par jour, et mangent et dorment en se relayant dans la boutique.
Il s'est trouvé que je me suis arrêté dans la boutique pour acheter une boisson. Abdi était occupé à vendre des objets de base à des clients de l'Université. Un autre homme aidait Abdi. Je reconnus en eux des esclaves mauritaniens, parce qu'ils étaient noirs et parlaient le dialecte arabe de la communauté maure blanche de Mauritanie.
Cela me donna envie de parler avec les deux hommes de leur travail à Dakar.
Sans leur dire que j'étais en fait un Mauritanien noir comme eux, nous discutions au-dessus du comptoir de la boutique. Mais ils hésitaient à répondre à mes questions sur leur vie à Dakar et la situation en Mauritanie. Cependant, après un moment, ils dirent qu'ils s'occupaient de la boutique "ensemble" avec leur maître.
Je me demandais où était le maître.
Abdi sourit et désigna quelqu'un derrière le comptoir. Il était là, un petit Maure blanc mal vêtu, qui dormait (voir la photo) pendant que ses deux esclaves noirs travaillaient pour lui.
Avant qu'il ne s'éveille, je pus prendre quelques clichés de lui et de ses deux esclaves.

J'ai rencontré Abdi dans la boutique de son maître près de l'Université Cheikh Anta Diop à Dakar le 3 août 1994. Dakar n'est pas que la capitale du Sénégal, c'est aussi l'un des centres urbains les plus actifs de l'Afrique de l'Ouest. On peut y rencontrer des étudiants, des universitaires, des dirigeants et des officiels ouest-africains, qui viennent y étudier ou participer à de nombreux forums régionaux.
Dakar est aussi le point de rencontre d'hommes et de femmes d'affaires du micro et du macro-business, qui viennent gagner ou perdre de l'argent. Une couleur supplémentaire est apportée par tous les touristes étrangers qui viennent par milliers chaque année avec leurs jambes nues et rouges.

Fondée en 1958, l'Université est l'un des centres d'éducation les plus anciens et les plus prestigieux de l'Afrique de l'Ouest. Visiblement Abdi n'est pas venu ici étudier, pour se joindre aux rares élites de la région. Il a été amené ici de Mauritanie par son maître, qui cherchait un profit. Le maître peut le faire travailler à mort, puis envoyer chercher un autre esclave.

Il est choquant que personne ne semble remarquer qu'un esclave noir est toujours gardé enchaîné, au coeur de Dakar, par son maître maure. Le chaos moderne apporte certaines libertés dans le monde souterrain des affaires parallèles. Comme dans beaucoup d'autres parties du continent, l'Etat de Mauritanie créé par les colonisateurs perd de sa force. Le rôle de l'Etat a été réduit par les conditions posées par le FMI et par la Banque mondiale, qui accordent au dictateur une protection contre les masses urbaines affamées et furieuses qui voudraient le lyncher.

Aussi le maître maure n'a-t-il pas à se soucier que ce crime capital soit découvert, ou que les gens qui passent devant sa boutique le pendent à l'arbre qui pousse juste devant. Indubitablement, les étudiants de l'Université qui sont des clients réguliers de la boutique à l'esclave, doivent avoir appris que l'esclavage a été aboli dans les anciennes colonies françaises dès 1905.

Avant l'abolition de 1980, l'esclavage avait été déclaré illégal en 1960 et en 1966, mais seulement sur le papier. Les propriétaires d'esclaves se sont si bien habitués à exploiter les Noirs comme esclaves depuis mille ans, qu'ils ne peuvent cesser comme cela de vivre sur le dos de leurs esclaves. Aussi bien les esclaves que leurs maîtres ont intériorisé le statu quo esclave-maître de telle façon qu'il faudrait plus que des décrets officiels pour éradiquer l'esclavage du pays.

Soldats esclaves

La dernière abolition était motivée par différents facteurs. Après une décennie de sécheresse catastrophique, la plupart des maîtres nomades étaient devenus si pauvres qu'ils ne pouvaient même plus se nourrir, encore moins garder et nourrir un grand nombre d'esclaves. Des milliers d'esclaves furent donc lâchés dans les centres urbains déjà surpeuplés, où leurs maîtres espéraient qu'ils pourraient gagner de quoi subvenir aux besoins des maisonnées de leurs maîtres. Les maîtres ne sont pas censés se livrer au travail manuel. Tandis que certains esclaves étaient recrutés comme soldats auxiliaires pour combattre dans la guerre du Sahara de l'Ouest de 1976 à 1979, d'autres restaient sur place et traînaient, volant ou vendant des denrées de base comme de l'eau. Quand la Mauritanie se retira de la guerre du Sahara, les soldats esclaves furent démobilisés et envoyés dans les rues.

L'échec du mouvement de libération

Des esclaves éclairés s'organisèrent et fondèrent un mouvement d'émancipation nommé "El Hor", ce qui signifie "liberté". Le but de El Hor était l'abolition totale de l'esclavage et des mesures effectives et concrètes pour aider les esclaves à devenir économiquement indépendants. C'était le seul moyen de favoriser le sentiment de dignité et l'émancipation psycho-sociale. Bien que les méthodes choisies par El Hor aient été pacifiques et non violentes, cela créa néanmoins l'affolement dans la communauté maure blanche et dans le régime militaire. L'organisation contestait à la fois l'ordre social traditionnel et la dictature militaire. Leur campagne de libération risquait de paralyser le marché des esclaves et de rendre impossible aux maîtres de vendre des êtres humains ouvertement sur le marché.

En-dehors de la Mauritanie, El Hor réussit à attirer l'attention des media internationaux et des groupes de défense des droits de l'homme sur la persistance de l'esclavage dans le pays. Il en résulta des pressions gênantes de l'extérieur sur le régime. Pour empêcher une révolution globale des esclaves menant à une émancipation réelle, et la fin du règne de la minorité, le régime du colonel Ould Haidalla décréta l'abolition le 5 juillet 1980, et l'instauration de la loi islamique de la charia.

La charia donne aux maîtres un droit de compensation pour affranchir leurs esclaves. Ainsi, le décret d'abolition stipulait que l'esclavage était aboli dans toute la Mauritanie, et qu'une commission nationale composé d'experts en droit, islamique, d'économistes et d'administrateurs serait établie pour déterminer quelle compensation les maîtres recevraient pour chaque esclave perdu du fait de l'abolition.

Rien ne fut fait pour libérer les esclaves en aucun sens du terme. Mais le régime réussit à atteindre ses objectifs, qui étaient de détourner les pressions externes comme internes, tout en satisfaisant les maîtres. Les maîtres sont ces mêmes Maures blancs qui contrôlent la machine de l'Etat à leur bénéfice exclusif. De cette façon, l'émancipation réelle avorta.

La torture du chameau

Pour Abdi il était plus sûr de rester avec son maître, qui est moralement responsable de sa maisonnée et de ses animaux. Abdi n'est pas responsable, et n'est pas un être humain avec des sentiments ou le droit de fonder une famille. Il est une machine qui travaille à mort sans salaire ni repos. Comme une machine, Abdi n'a besoin que d'être nourri pour huiler ses muscles noirs et les empêcher de grincer. Son maître peut le mener n'importe où et lui faire remplir n'importe quelle tâche. Il peur être légalement vendu, donné, utilisé pour payer la dot d'une mariée, ou châtré pour éviter qu'il ne s'accouple avec le harem du maître.

Le droit du maître vient avant celui de Dieu, et il a le droit de coucher avec n'importe laquelle des parentes d'Abdi, puisqu'elles sont légalement ses concubines. Abdi n'a même pas le droit d'aller à la mosquée si son maître a besoin de lui. S'il essaie de s'échapper, le maître lui applique la terrible torture du chameau. On fait monter Abdi sur un chameau assoiffé avec ses jambes attachées sous le ventre. Puis le vaisseau du désert est autorisé à boire. A mesure que l'énorme ventre se gonfle, les jambes d'Abdi se brisent et il ne pourra plus jamais s'enfuir.

Si Abdi utilise "trop" sa tête, le maître met des insectes dans ses oreilles. Une large ceinture autour de sa tête bloque ses oreilles, tandis que ses mains sont attachées derrière son dos. Tandis que les insectes se débattent pour sortir, Abdi devient fou. La vaste majorité des esclaves ont subi un tel lavage de cerveau, qu'ils considèreraient comme un péché d'échapper à leurs maîtres. Leurs ancêtres ont été kidnappés et rendus esclaves il y a longtemps, et leurs enfants ont été éduqués pour croire qu'Allah a créé deux types d'hommes : les esclaves et les maîtres, chaque groupe jouant un rôle spécifique et éternel dans la société.

Le silence du Nord

Les Nations Unies et les missions diplomatiques sont bien au courant de la situation en Mauritanie. Quelles sont les raisons cachées du silence de la communauté internationale concernant l'esclavage en Mauritanie? Ce n'est certainement pas pour des considérations économiques ou stratégiques que le reste du monde n'aide pas à éradiquer cette pratique abominable.

Selon moi, les facteurs déterminants sont :

  • Il y a peu de communication inter-africaine sur les problèmes culturels ou politiques. Autrement les Africains auraient compris que les propriétaires d'esclaves considèrent tous les Noirs doivent être domestiqués ou des esclaves potentiels.
  • Ce problème fait partie du conflit culturel afro-arabe, qui s'étend du Soudan sur la Mer Rouge jusqu'à la Mauritanie sur l'Océan atlantique. Ce conflit comporte un élément racial évident qui se prolonge depuis plus de mille ans. Tant les dirigeants africains qu'arabes préfèrent ne pas parler de ce sale et mortel conflit Nord-Sud au coeur du Sud, car cela suggèrerait un manque de solidarité à l'intérieur du Tiers-Monde. L'attitude traditionnelle "le Nord impérialiste contre le pauvre Sud exploité" ne pourrait pas être maintenue dans les relations internationales.
  • L'héritage de la traite trans-atlantique a laissé une culpabilité collective éternelle dans l'esprit des Européens, qui rend difficile aux nations européennes de prendre une position morale pour condamner l'esclavagisme arabe en Mauritanie.
  • La plupart des écrivains européens qui sont allés en Mauritanie appartiennent aux romantiques qui vénèrent la magie du désert et son ordre social violent et rude. Cet amour du désert et du système féodal aide à préserver le système maléfique sous sa forme raciste.

La connexion danoise

L'un des principaux défenseurs et amateurs de la société mauritanienne du désert était Henrik Olesen du Danemark. Olesen était le patron local de l'ONU, qui préférait être appelé "le patron". Il fermait ses yeux, ses oreilles et sa conscience à la plus brutale violation des droits de l'homme jusqu'à une après-midi de juin 1989, quand la police secrète mauritanienne envahit les bureaux de l'ONU pour arrêter, déshabiller, torturer et déporter son directeur financier Mauritanien noir, M. Abdoiul Diallo, et sa secrétaire personnelle, Mlle Roukhaya Ba, au Sénégal.

Quand Henrik Olesen protesta par une lettre au gouvernement, on lui dit de retirer sa lettre et de se taire - ou de foutre le camp du pays. Il partit sans délai.

Y a-t-il eu la moindre réaction de l'ONU ou du Danemark ? Le silence. Un autre Danois qui s'est compromis profondément avec le régime mauritanien est Poul Sihm de la Banque mondiale.

Quand la Norvège menaça de couper l'aide au développement de la Mauritanie en 1991 à cause de la violation raciste des droits de l'homme, M. Sihm envoya un fax au Ministère norvégien des affaires étrangères avec la défense suivante des propriétaires d'esclaves: "Cesser cette aide au développement serait une grande erreur, aux yeux de quelqu'un qui a suivi de près le secteur du bétail [possédé par les Arabes] depuis 1983 en Mauritanie et qui en tant que tel a visité le pays au moins deux fois par an" (Fax n° 2791/1, 24 octobre 1991, par M. Poul Sihm).

Lutte de libération

Ce que tout cela signifie est qu'Abdi et ses 800 000 compagnons d'esclavage ne doivent pas s'attendre à une grande solidarité et à un grand soutien des Danois, ni d'autres dirigeants du monde. Comme un autre esclave nommé Bilal l'a dit au Monde en 1990, les esclaves doivent mener leur propre lutte de libération jusqu'à l'inévitable victoire de la justice sur l'injustice. Le temps, l'histoire, la démographie et la justice sont du côté des victimes de cette pratique cruelle. Entre-temps, Abdi va continuer à travailler sans salaire et sans se plaindre, pendant que son maître dort profondément dans son Moyen-Age.

Garba Diallo, Danemark.