[ Accueil du site ]

 

Hommage à Habib Ould Mahfoud

Par Abdallah Ould HORMATALLAH. Ancien journaliste du Calame. Hommage à Habib Ould MAHFOUD, un an après le décès du père fondateur de la presse indépendante mauritanienne. Lu au Colloque d'Aircrige - Dictature et racisme d'Etat au Soudan et en Mauritanie : esclavage, répression, extermination (31 mai-1er mai 2002, Paris IV-Sorbonne).


Paris, 31 octobre 2002
Pour Habib : "J'ai aimé un pays : il y a donc un amour qui tue ?"

 

Habib tu nous as tous quittés
Et seul ton Calame est resté
Partie, disparue la beauté
La grande bonté s'est tuée
Les mots n'ont plus rien qu'à pleurer
Et l'espérance à s'ennuyer
Habib rends-nous le monde entier

 

 

Qu'il me faille passer le reste de mes jours en exil, c'est à présent une donne qui commence à s'imposer, au fur et à mesure que le rêve d'un changement recul, et cela fait partie de toutes ces choses que nous ont imposées les "comités militaires" depuis l'époque des "communiqués". Mais devoir dire adieu à Habib cinq ans avant qu'il ne s'en aille, cela je ne l'avais jamais imaginé, depuis le jour où j'ai rencontré pour la première fois le fils de Mahfoud dans son bureau, ce laboratoire d'idées véridiques et courageuses qui nourrissaient une société en voie de bouleversement. La modestie du disparu, sa distinction, ont fait sortir à la lumière une génération d'amoureux du verbe, après avoir séduit tant de lecteurs d'une presse plus coûteuse que le pain dont ils manquaient. Le père de Toutou a su rendre leur honneur aux amoureux du verbe et rendre au verbe sa beauté, même si après lui "on sera toujours en retard d'une nuit sur la caravane de l'histoire... "

Toi l'être que j'ai aimé, pardonne-moi de te pleurer. J'ai besoin de te pleurer. Je te pleurerai toute ma vie.

Je te pleurerai parce que tu n'as pas pu accompagner le Calame "cent ans" comme tu en as rêvé un jour. Je te pleurerai parce que mon pays assassine les génies, je te pleurerai parce qu'après ton départ j'ai plus qu'avant besoin de pleurer...

Toi l'aimé de tous, ne t'en fais pas, nos prières agiront auprès d'un dieu qui sera bon...

Ne t'en fais pas, le Calame restera, Takla retrouvera ses forces et redeviendra Takla. Les petites seront nos grandes protégées... Et le chameau répondra à ta lettre ouverte...

Habib, écoute-moi, au nom d'une génération qui t'a lu, que tu as convaincu : tu resteras et le Calame aussi... Voilà que je reprends ma plume "pour commencer là où terminent les autres".

 

Une année a passé et le souvenir de Habib est parmi nous. Une année à pleurer :
Sur le rivage du néant un genou est soudain tombé...
Une rage s'est éveillée, et le destin s'est retourné.
Toutes les questions se sont tues lorsque la lune s'est levée.
Toi le très ardent qu'un livre à l'aube enivre
Et qui s'envole dans la transe du refus
Vis, la vie est un miracle pur.
Vis : que tu puisses à nouveau revivre.
Ton Dieu est plus généreux que tous les destins prédictibles.
Eden était ton ambition. Et que l'enfer soit le plus loin possible.

C'est vrai Habib nous a quittés.

Après que tu aies consacré ta vie entière à la gloire d'une nation qui n'a que faire des génies, malgré l'ostracisme et l'envie tous ceux qui t'ont connu te saluent pour s'accrocher à ton souvenir, et ceux aussi, nombreux crois-moi, qui t'ont connu après ta mort.

Mon Habib, de là-bas où tu es, au Paradis, ne t'en fais pas, tes élèves pensent toujours à toi. Ils te disent que ta grandeur les retient de lâcher leurs larmes ou d'interpeller le destin.

C'est vrai ton beau corps est parti et ton bon sens s'est éteint. Mais ta sagesse est toujours là qui te gagne aux générations futures. Elle raconte : sur le rivage du néant le génie un jour est né. Sur le tapis des trahisons l'ange s'est endormi...

A ton nom on dira : "j'ai aimé un pays : il y a donc un amour qui tue ?"

Mon cher Habib, nous te referons vivre parmi nous en donnant ton nom à nos rues, à nos écoles, à nos enfants. Tu es notre moudjahid, tu as rendu aux opprimés leur droit, avec les pauvres tu as mangé ton pain, aux égorgés par ta douceur tu as rendu l'honneur...

Mais quant à nous notre drame grandit chaque jour un peu plus.

Notre empereur est monté en grade et sa cravache se durcit de jour en jour. Abdul Melik fils de Maaouia prépare son intronisation...

Nos poètes et nos sages se sont réfugiés chez César après que Kafour les ait chassés. Nos hommes d'affaires ont déposé bilan, nos officiers - ce qui en reste - ont été désarmés, nos plumes se sont brisées à l'endroit de la nostalgie, nos journaux se sont servis en pitance aux ruminants du colonel. Et tous nos intellectuels après toi lèchent les bottes de l'infirme dont les gestes ne savent pas rejoindre la parole...

Enfin mon cher Habib je te demande à présent un dernier service. Dis bonjour pour moi à ma mère, prends bien soin d'elle et que nos pensées vous rejoignent, en attendant que je sois près de vous.

 Ton Abdallah