Paris, 31 octobre 2002
Pour Habib : "J'ai
aimé un pays : il y a donc un amour qui tue
?"
Habib tu nous
as tous quittés
Et seul ton Calame est resté
Partie, disparue la beauté
La grande bonté s'est tuée
Les mots n'ont plus rien qu'à pleurer
Et l'espérance à s'ennuyer
Habib rends-nous le monde entier
Qu'il me faille passer le reste de mes
jours en exil, c'est à présent une donne
qui commence
à s'imposer, au fur et à mesure que le
rêve d'un changement recul, et cela fait partie
de toutes ces choses que nous ont imposées les "comités
militaires"
depuis l'époque des "communiqués".
Mais devoir dire adieu à Habib cinq ans avant
qu'il ne s'en aille, cela je ne l'avais jamais imaginé,
depuis le jour où
j'ai rencontré pour la première fois le
fils de Mahfoud dans son bureau, ce laboratoire d'idées
véridiques et courageuses qui nourrissaient une
société en voie de bouleversement. La modestie
du disparu, sa distinction, ont fait sortir à la
lumière une génération d'amoureux
du verbe, après avoir séduit tant de lecteurs
d'une presse plus coûteuse que le pain dont ils
manquaient. Le père de Toutou a su rendre leur
honneur aux amoureux du verbe et rendre au verbe sa beauté,
même si après lui "on sera toujours
en retard d'une nuit sur la caravane de l'histoire... "
Toi l'être que j'ai aimé,
pardonne-moi de te pleurer. J'ai besoin de te pleurer.
Je te pleurerai toute ma vie.
Je te pleurerai parce que tu n'as pas
pu accompagner le Calame "cent ans" comme tu
en as rêvé un jour. Je te pleurerai parce
que mon pays assassine les génies, je te pleurerai
parce qu'après ton départ j'ai plus qu'avant
besoin de pleurer...
Toi l'aimé de tous, ne t'en fais
pas, nos prières agiront auprès d'un dieu
qui sera bon...
Ne t'en fais pas, le Calame restera,
Takla retrouvera ses forces et redeviendra Takla. Les
petites seront nos grandes protégées...
Et le chameau répondra
à ta lettre ouverte...
Habib, écoute-moi, au nom d'une
génération qui t'a lu, que tu as convaincu
: tu resteras et le Calame aussi... Voilà que
je reprends ma plume "pour commencer là
où terminent les autres".
Une année
a passé
et le souvenir de Habib est parmi nous. Une année à
pleurer :
Sur le rivage du
néant un genou est soudain tombé...
Une rage s'est éveillée,
et le destin s'est retourné.
Toutes les questions
se sont tues lorsque la lune s'est levée.
Toi le très
ardent qu'un livre à l'aube enivre
Et qui s'envole dans
la transe du refus
Vis, la vie est un
miracle pur.
Vis : que tu puisses à
nouveau revivre.
Ton Dieu est plus
généreux que tous les destins prédictibles.
Eden était
ton ambition. Et que l'enfer soit le plus loin possible.
C'est vrai Habib nous a quittés.
Après que tu aies consacré ta
vie entière à la gloire d'une nation qui
n'a que faire des génies, malgré l'ostracisme
et l'envie tous ceux qui t'ont connu te saluent pour
s'accrocher à
ton souvenir, et ceux aussi, nombreux crois-moi, qui
t'ont connu après ta mort.
Mon Habib, de là-bas où tu
es, au Paradis, ne t'en fais pas, tes élèves
pensent toujours à toi. Ils te disent que ta grandeur
les retient de lâcher leurs larmes ou d'interpeller
le destin.
C'est vrai ton beau corps est parti
et ton bon sens s'est éteint. Mais ta sagesse
est toujours là
qui te gagne aux générations futures. Elle
raconte : sur le rivage du néant le génie
un jour est né. Sur le tapis des trahisons l'ange
s'est endormi...
A ton nom on dira : "j'ai aimé un
pays : il y a donc un amour qui tue ?"
Mon cher Habib, nous te referons vivre
parmi nous en donnant ton nom à nos rues, à nos écoles,
à nos enfants. Tu es notre moudjahid, tu as rendu
aux opprimés leur droit, avec les pauvres tu as
mangé
ton pain, aux égorgés par ta douceur tu
as rendu l'honneur...
Mais quant à nous notre drame
grandit chaque jour un peu plus.
Notre empereur est monté en grade
et sa cravache se durcit de jour en jour. Abdul Melik
fils de Maaouia prépare son intronisation...
Nos poètes et nos sages se sont
réfugiés chez César après
que Kafour les ait chassés. Nos hommes d'affaires
ont déposé bilan, nos officiers - ce qui
en reste - ont été désarmés,
nos plumes se sont brisées à l'endroit
de la nostalgie, nos journaux se sont servis en pitance
aux ruminants du colonel. Et tous nos intellectuels après
toi lèchent les bottes de l'infirme dont les gestes
ne savent pas rejoindre la parole...
Enfin mon cher Habib je te demande à
présent un dernier service. Dis bonjour pour moi à
ma mère, prends bien soin d'elle et que nos pensées
vous rejoignent, en attendant que je sois près
de vous.
Ton Abdallah