L'Ordonnance No-81 234, du 9 novembre 1981, du Comité Militaire
de Salut National "abolissant l'esclavage sous toutes
ses formes" devait être le début de la
fin de l'histoire de l'esclavage en Mauritanie. Hélas,
ce n'est pas demain la veille.
L'esclavage et les luttes anti-esclavagistes ont de beaux
jours devant eux pour alimenter l'opposition entre forces
démocratiques et tenants d'un système social
vermoulu. Un système esclavagiste qui est présent
dans toutes les formations sociales - tant négro-africaines
qu'arabo-berbères - et dont les fondements reposent
sur l'aliénation de la force de travail d'individus
qui forment le tiers de la population mauritanienne.
Le combat pour son éradication est d'autant plus
urgent à mener que nous ne rencontrons nulle part
de mesures d'accompagnement aux diverses abolitions juridiques,
plusieurs fois répétées, et aux mesures
de toutes sortes, restées sans effet depuis 1902.
Le gouvernement en place nie catégoriquement la pérennité de
l'es! clavage dans le pays. Cependant, ses abolitions successives
administrent par elles-mêmes la preuve manifeste de
son existence, de sa réalité et de son impunité.
En Mauritanie, peut-être plus qu'ailleurs, la reproduction
des rapports esclavagistes ne réside plus uniquement,
et ce depuis longtemps, dans les rapports de production et
d'échanges. Une culture esclavagiste s'y est installée
qui explique qu'un esclave, à peine affranchi, soit
tenté à son tour de reproduire ces mécanismes.
Retracer la genèse de ce problème et se prononcer
sur son actualité relèvent donc d'une gageure,
la rareté d'études d'ensemble ne formant pas
encore une masse critique satisfaisante. C'est avouer par
avance les lacunes que pourrait présenter cette contribution.
J'aborderai ici la socio-histoire de l'esclavage chez nous
en m'appuyant surtout sur la Mauritanie négro-africaine,
trop souvent occultée dans les études théoriques
sur la Mauritanie.
J'articulerai ma problématique autour de trois axes
essentiels :
I. Les formations ethniques et sociales de l'espace mauritanien "pré-colonial"
II. Un esclavage de case ancien et constamment renouvelé par
la traite esclavagiste
III. Les luttes anti-esclavagistes.
I. LES FORMATIONS ETHNIQUES ET SOCIALES
DE L'ESPACE MAURITANIEN "PRÉCOLONIAL".
L'espace géopolitique mauritanien actuel, circonscrit
entre le Mali, le Sénégal, le Sahara occidental,
l'Algérie, le Maroc et l'Océan Atlantique depuis
1900, comprend deux grandes composantes ethnico-raciales
et culturelles: les Négro-africains et les Arabo-Berbères.
1. La composante négro-mauritanienne
Elle est la première qui occupa le pays, de la préhistoire à l'arrivée
des Berbères, au IIIe siècle avant J.-Christ.
Très apparentée aux autres ethnies d'Afrique
occidentale, elle est surtout composée de sédentaires,
agriculteurs dans leur majorité. Elle serait issue
de deux anciens grands groupes culturels : le groupe tékrourien
(Hal Pulaaren, Wolof, Sérère) issu de ce que
j'appellerai le "groupe Wakoré", et le groupe
Mandé (Soninké et Bambara) issu de ce que j'appelle
le "groupe Wangara".. Ces deux groupes seraient
eux-mêmes issus d'autochtones sahariens que les traditions
mauresques et négro-africaines appellent les Bâfour.
Ce peuple - noir, selon les traditions mauresques - se serait
plus tard en partie mélangé aux Berbères
nouvellement arrivés du Maghreb au IIIe siècle
de l'ère chrétienne. Il fut à l'origine
de la plupart des palmeraies des oasis de la Mauritanie septentrionale.
Les sociétés négro-mauritaniennes issues
de ces peuples anciens sont agricoles dans leur écrasante
majorité. La redistribution et la mobilité géographiques
actuelles des populations mauritaniennes résultent
du dessèchement historique du Sahara et de l'occupation
par les Arabo-Berbères de ce Sahara abandonné par
les Noirs, dont le repli se fera vers le sud, dans la vallée
du Sénégal. Les modes et systèmes de
productions fondamentaux chez les Négro-mauritaniens étant
agraires, c'est une lapalissade de rappeler que là où ces
populations ont trouvé l'eau en abondance, elles ont établi
avec elle et avec les autres ressources du milieu des contrats
immémoriaux d'utilisation et de conservation durables,
empreints de totémisme. Il faut donc considérer
comme condition déterminante des replis vers les zones
humides et les plaines d'inondation, non pas les pressions
des nomades, mais les altérations du climat et du
milieu, qui obligèrent les Négro-Mauritaniens à chercher
fortune ailleurs. Lorsqu'elles descendront définitivement
dans la vallée du Sénégal et ses affluents
dans la deuxième moitié du XIXe siècle,
elles n'en continueront pas moins de résister aux
diverses pressions et tentatives de domination des nomades
du Nord. Ceci est d'autant plus vrai que la nécessité du
repli que leur imposa le dessèchement historique du
Sahara vers les zones humides plus méridionales ne
videra pas totalement les oasis du Nord de leurs autochtones
noirs.Tant que les peuples de l'espace mauritanien vivaient
dans des États différenciés, et avant
que la colonisation ne les réunisse dans l'État
territorial actuel et se situant au même niveau technologique,
ils avaient su adopter des stratégies de défense
qui protégeaient leurs sociétés respectives
contre l'agression de leurs voisins, avec les mêmes
types d'armes et les mêmes possibilités de les
fabriquer ou de les acquérir. Quoi que l'on sache,
et malgré l'accent mis par certaines études
aux conclusions trop hâtives sur la prétendue
supériorité militaire du nomade sur le sédentaire,
il est démontré qu'au cours de l'histoire qui
précède la traite négrière atlantique,
des tribus entières de nomades maures avaient été très
souvent assujetties par les États noirs agricoles,
comme l'empire du Tékrour, du Ghana, du Mali, du Djolof,
du Cayor, du Songhaï et du Fouta Toro (des Satigui et
des Almami). Les États berbères Sanhadja d'Awdaghost
et almoravide avaient également très souvent
soumis beaucoup de tribus noires de l'espace mauritanien
médiéval.
2. La composante arabo-berbère
Apparentée aux populations du Maghreb et du Proche-Orient,
la communauté maure beydane (blanche) est née
de la rencontre des autochtones Berbères d'Afrique
du Nord et des Arabes Beni Hassan en mal de territoire et à la
recherche d'un pays d'accueil. Après que leurs ancêtres
Beni Hilal furent chassés d'Arabie par les khalifes
abbassides au XIe siècle, et après une longue
odyssée au Maghreb, les Beni Hassan sont eux-mêmes
chassés du Maroc au XIVe siècle. Berbères
et Arabes fusionnent à l'issue de longs conflits et
d'alliances qui tournèrent en faveur des seconds dans
le contrôle de la société maure.
L'élite beydane, ou maure blanche arabisée,
qui contrôle les sommets de l'État mauritanien
contemporain, cherche depuis 1965 à étendre
cette arabisation aux ethnies négro-mauritaniennes
ayant leurs langues et cultures propres. Cette arabisation
est le prolongement de celle entamée à la fin
du XVIIe siècle en milieu maure par les Arabes Béni
Hassan, et qui a fait disparaître la langue et l'identité berbères
de Mauritanie. Une partie des esclaves et affranchis noirs
qu'on trouve dans la communauté maure est issue des
groupes négro-africains de la Mauritanie saharienne
d'avant le désert. Ces esclaves, Haratines et Abîd,
forment la composante sociale démographiquement la
plus importante du pays, selon tous les recensements de ces
dernières années.
3. Esclavage et recomposition ethnique et
sociale
L'espace mauritanien est un espace ouvert de compétition
et de compénétration ethniques, malgré les
conflits historiques connus qui traversent son histoire.
Ces conflits sont producteurs d'esclaves et recomposent toujours
les formations sociales et culturelles de l'ensemble mauritanien.
Les ressortissanats de chaque communauté ethnico-culturelle
se sont vus asservis les uns par les autres. Ainsi les esclaves
provenaient de toutes les ethnies de cet espace mauritanien
et des espaces voisins. Les Maures eurent à se battre
contre l'Empire des Déniyanké, dits des "Oulad
Tenguella" qui, depuis le Satigui Sawa Lamu (XVIIe siècle),
dominait bon nombre de leurs tribus. C'est contre leurs descendants
que les Croisés de la Char Babba de Nacer Eddine -
noblesse de robe maure - se sont heurtés pour s'affranchir
de leur tutelle avant de retourner leurs armes contre les
guerriers arabes soutenus par les Sultans marocains et l'Atlantique.
Ces guerres portèrent les guerriers Beni Hassan à la
tête de la société maure au détriment
des marabouts berbères (Zwaya).C'est le phénomène
quasi-inverse qui se produisit en milieu négro-africain
du Fuuta Tooro, entre autres, où les marabouts vainquirent
la monarchie militaire pour y faire aboutir, un siècle
plus tard, le projet théocratique et d'abolition de
la traite esclavagiste initié par l'élite musulmane
maure berbère. En effet, après l'abolition
de la traite esclavagiste dans ses Etats, l'Almamy du Fuuta
Tooro, Abdel Kader Kane porte la guerre aux émirats
arabes Hassan des Trarza et des Brakna et les soumet au paiement
de tributs à la nouvelle République du Fouta.
Il est donc temps de dépasser les clichés
du schéma linéaire, inlassablement reproduit
et fixé dans les esprits et les écrits récents,
d'une suprématie presque "congénitale" du
nomade sur le sédentaire, du Blanc sur le Noir. Ce
schéma raciste et partisan est difficilement soutenable
en Mauritanie. Ceci de l'empire du Ghana (VIIIe siècle) à la
république du Fuuta (XVIIIe-XIXe siècle).
Si les sédentaires noirs avaient toujours été soumis
aux Maures, selon une certaine historiographie, donc dans
une position très peu enviable d'éternels asservis,
d'où viendrait alors l'adoption, puis l'assimilation,
par le plus grand nombre de tribus mauresques, des patronymes
tékrouriens (Pulaar, Wolof) et wagadou (Soninké)?
Je suis tenté pour ma part de répondre plus
simplement qu'avant de porter l'habit arabe, plus valorisant
après le XVIII ème siècle, le beydane
trouvait plus gratifiant d'appartenir au moule culturel négro-africain,
plutôt qu'à celui d'un Maghreb alors condescendant à son égard.
Bien avant que l'idéologie récente de l'ultra-arabisme
rejette cette négrité revendiquée, ou
cette partie nègre dans le Maure qui fait de lui un
métis dans tous les sens du terme, le regard du nomade
beydane était davantage tourné vers les fastes
des ensembles culturels, politiques et civilisationnels négro-africains
du Moyen-Âge soudanais. En effet, les Idaw Aly, Tendagha,
Ikoumleylin, Tadjidbit (Berbères), Oulad Ahmed Min
Daman et les Ulad Daman (Arabes Hassan), etc... portent les
noms totémiques négro-africains de Fall. Les
Oulad deyman devinrent des Dieng. Les Oulad Biri (tribu du
Président Mokhtar Ould Daddah) préfèrèrent
pour eux le patronyme Diakhaté. LesTadjakant celui
des Baby (c'est à dire Bah). Les Idag Jë devinrent
des Dia. Les Laghlal, des Sibi (soninké), et j'en
passe. Pourquoi ces tribus pourant assez puissantes adoptèrent-elles
ces patronymes négro-africains ? Les Diagne restent
attifés du superlatif de "maure" : "Diagne-Naar" (c'est-à-dire "Diagne
le maure"), et sont wolof et pulaar. Et tous ces Halpulaar,
Wolof, Soninké ou Bambara qui se cherchent, à juste
titre, des ancêtres arabo-berbères, réels
ou fictifs ? Les familles Kane, Wane, Sy, Ly, Hanne, comptent
de nombreux Maures d'origine parmi elles. Que dire des Soninké devenus
Hal-pulaar, Wolof et Maures (Laghlal) ? C'est de tous les
côtés que la compénétration ethnique
s'est opérée.
Les communautés ethnico-culturelles de Mauritanie
- aussi bien sédentaires que nomades - avaient été si
fortement opposées par ces conflits, et si étroitement
liées après des réconciliations historiques,
qu'elles s'influencèrent fortement les unes les autres.
Ce qui serait une des grandes explications des traces d'un
enrichissement réciproque, qui constitue l'originalité d'une
personnalité mauritanienne aujourd'hui trahie. Le
système des castes dans la société maure,
comme certaines de ses traditions architecturales, alimentaires,
vestimentaires et musicales, est plus de facture négro-africaine
que maghrébine, berbère ou arabe, sociétés
qui ignorent totalement ce type de système. Inversement,
l'influence arabo-berbère est si forte dans les sociétés
négro-mauritaniennes que certaines ont fini par ne
même plus savoir comment nommer les jours des fêtes
religieuses, de la semaine ou des mois (leur nomenclature
existe pourtant dans les langues négro-africaines
!) si ce n'est en arabe et en sanhaja. L'Islam aidant, les
familles maraboutiques maures se sont fait des disciples
nombreux parmi les Négro-africains et jouissent chez
eux de beaucoup de considération. Inversement, certaines
grandes tribus beydanes ne respirent et ne jurent d'aller
au paradis que par la vertu de grands cheikhs négro-africains.Si
aujourd'hui les esclaves chez les Maures sont majoritairement
d'origine négro-africaine, l'histoire de l'esclavage
en Mauritanie montre que beaucoup de Maures blancs avaient été asservis
dans les sociétés négro-africaines.
Tous ces "Naar-u-kajor", ces "Gallé SafalBé",
ont côtoyé les Awgal, les Ngadès totalement
fondus dans les populations noires du fleuve au rang d'hommes
castés. La pratique dominante chez les Négro-africains,
lorsqu'ils en venaient à vaincre leurs ennemis maures
blancs, était d'éliminer la plupart des hommes
adultes et de ne conserver que les femmes. Cette élimination
des prisonniers nomades adultes répondait à la
nécessité de réduire les bouches à nourrir
inutiles, dans les sociétés agricoles qui cherchaient à combler
le manque de main-d'oeuvre.
Un autre fait déterminant est celui des problèmes
de survie des nomades dans des zones aussi humides que les
vallées des fleuves sahéliens et de leurs bassins
versants sénégalo-mauritaniens. Essentiellement,
en période hivernale lors des fortes pluies et la
prolifération des moustiques (malaria, phtisies et
autres parasitoses). La présence de Beydane de condition
servile ou modeste est attestée dans ma communauté d'origine
: la communauté dimaroise, mauritano-sénégalaise.
Nous avons en effet mélangés à la population
du Dimar et du Waalo depuis le XVIIe siècle, des Oulad
Rizg vaincus qui ont fini par se réfugier dans ces
deux États et chez Oulad Beniouk. Leurs survivants
eurent à remplir les rôles de palefreniers aux
côtés des Znaga Ngadès, partagés
entre le Dimar et les Oulad Biri. Leurs familles gardent
encore les stigmates de leur origine. Ceux de Dialmath (dernière
capitale historique de la province) et de Tékane (cf.
les NgadisnaaBe du Dimar) ont leurs parents, restés
blancs à Boutlimit, dans la mouvance des Oulad Biri.
Il faut également souligner le fait que les mécanismes
de l'hérédité, au plan phénotypique
(loi de la dominance de Mendel), montre la dominance du sang "noir" sur
le sang "blanc". Les esclaves blancs dont les descendants
ne se croisent plus qu'avec d'autres noirs, devenaient noirs
dans les générations suivantes, à force
de métissage. On voit encore des types physiques de
Noirs qui tirent sur la physionomie et la morphologie beydanes
aussi bien parmi les hommes libres que parmi les esclaves
dans les sociétés wolof, soninké, bambara
ou pulaar. Al Oumari (14e siècle) signale la présence
de nombreux esclaves blancs (turcs) achetés au Caire
par Kankan Musa, empereur du Mali. Beaucoup de Hassan sont
devenus racialement noirs : à l'Est (Hodh oriental),
nous avons l'exemple des Oulad M'Bareck. Dans le Hodh occidental,
les Oulad Nasr. Au Sud, la plupart des Oulad Nogmach ; les
Litama (descendants d'Al Yatim, petit-fils de Kerroum) du
Gorgol et de l'Assaba ; les cadets des Oulad Siyed appelés
Oulad Al-hadj Darmanko (les Dramankours des textes français).
A. Une communauté servile particulière
au sein de l'ethnie maure : les Haratines (affranchis) et
Abid (esclaves).
Les rapports historiques entre Maures et Noirs et la demande
esclavagiste allaient produire sur la longue durée
de nouvelles configurations sociales et des recompositions
ethniques comme signalé ci-dessus. L'innovation sociale
opérée par la présence d'esclaves passera
dans ces formations sociales par une lente assimilation des
nouveaux arrivants confinés, cependant, au bas de
la stratification sociale. Parmi ces nouveaux acteurs : les
Maures Noirs, dits Haratines ou serviteurs (s'ils sont juridiquement
libres) et Abîd ou esclaves (quand ils sont juridiquement
asservis).
Les Abîd et les Haratines se singularisent par leur
double appartenance raciale, négro-africaine et linguistique,
arabo-berbère. Sur le plan culturel, les patrons négro-africains
et arabo-berbères s'hybrident plus clairement dans
ce groupe social. Les démographes affirment que les
Haratines sont la composante mauritanienne numériquement
la plus importante par rapport à chaque ethnie prise à part.
Ceci laisserait-il supposer qu'elle est une ethnie à part,
ou en devenir ? En tout cas, ils sont plus qu'une classe
sociale, au sens marxiste du terme, puisqu'à l'intérieur
même du groupe, des rapports d'exploitation et d'inégalité économique,
juridique et politique existent. Ils sont moins qu'une ethnie,
puisqu'ils sont, bien que d'origine négro-africaine,
une composante de l'ethnie maure dont ils ont la langue et
les moeurs. Frange linguistique arabe et berbère chez
les Négro-africains et composante nègre chez
les Arabes et Berbères, la communauté haratine
pourrait jouer dans une durée longue un rôle
intégrateur très important. Elle est synthèse
et différence dans toutes les acceptions de ces termes.
C'est ce qui la rend aujourd'hui à la fois désirable
et redoutée de l'ensemble de la classe politique mauritanienne
qui cherche soit à s'inscrire dans son mouvement d'émancipation
pour ne pas être surprise le moment venu, soit à la
manipuler au mieux de ses intérêts.
C'est donc un groupe transitoire proche d'une nationalité en
action, mais qui n'a pu s'individualiser, malgré sa
conscience de sa propre identité.L'histoire culturelle
et sociale l'interpelle au niveau de la condition sociale,
de la race, de la langue, de la culture et du poids démographique. À ces
niveaux correspond la quadruple origine du groupe :
1. il descend de citadins assimilés par une cohabitation
avec des Maures majoritaires
2. il descend des autochtones noirs restés coincés
dans les oasis sahariennes, dominés tour à tour
par les Berbères et les Arabes
3. il descend des paysans noirs pris au Sud, soit dans les
guerres de razzia, soit volés à l'orée
de leur village (toujours des jeunes)
4. il descend, enfin, des captifs achetés chez des
pourvoyeurs qui parcouraient les pays sahéliens et
soudano-sahéliens. Quelquefois la pauvreté poussait
les parents à vendre leurs enfants comme esclaves
pour sauver la vie des autres.
Les serviteurs suivent leurs maîtres et se réclament
de la tribu ou du groupe ethnique de ceux-ci. Ils en ont
les préjugés et les sensibilités culturelles
eu égard aux divers degrés d'assimilation à la
culture beydane. Intervient ici la notion de proxémie
(degré d'éloignement et de proximité par
rapport à l'environnement culturel et linguistique
négro-africain, et son impact sur le comportement
de l'individu). L'analyse de cette distance est importante
parce qu'elle permet de déterminer le degré d'assimilation
ou de résistance, la profondeur de l'aliénation
et les origines des mouvements d'émancipation qui
traversent la communauté haratine d'aujourd'hui.
Dans toutes les régions où ils habitent, les
Haratines sont, comme les autres Négro-africains,
sédentaires, et ils forment des hameaux appelés "Adduwaba" (pluriel
de Debbay). Ils cultivent toutes les portions de terrain
le long des talwegs et ruisseaux asséchés en
dressant des barrages, selon la coutume des peuples soudano-sahéliens.
Ceux d'entre eux qui vivent dans les oasis, coupés
de tout environnement culturel et linguistique négro-africain,
n'en continuent pas moins de chercher à faire désespérément
survivre ce qui leur en reste, et sont les agriculteurs de
ces lieux. Ils cultivent le palmier dattier et, à ses
pieds, entretiennent l'orge et les cultures maraîchères.
L'environnement et la domination beydane durable dans ces
régions ont fini par les convaincre de la fatalité de
leur condition. Différents sont ceux de l'est et du
sud-ouest, dans une aire dominée par les ethnies négro-africaines.
La cohabitation avec les Soninké, Bambara, Hal-pulaar'en
et Wolof (Néma, Timbédra, Aïoun El Atrouss,
Djigenni, Bassikounou, M'Bout, Selibaby, Barkéol,
Rosso, etc ) joue ici un rôle primordial dans la reconnaissance
d'une proximité parentale entre les Haratines de ces
régions et ces entités dont, très souvent,
ils parlent encore la langue et possèdent la culture.
Cette proximité commande la conscience de la parenté indéniable
entre les Haratines et les ethnies noires du même espace.
Ils peuvent en effet faire ressentir les liens qui les unissent à ces
entités d'autant plus parentes que leurs patronymes
sont encore là pour leur rappeler que l'arrachement
douloureux dont parlaient leurs ancêtres a quelque
chance d'être oublié.
C'est au sein de ces ethnies libres que le Hartani va chercher
ses repères. La proximité géo-culturelle
est déterminante dans ses rapports à l'autre.
L'enfant hartani vit et grandit dans ce climat, avec ces
rappels constants d'une unité culturelle éclatée.
La plupart des Haratines de ces régions (Kiffa, Fasala
Néré, etc ) sont très métissés
avec les ressortissants de ces ethnies noires. Les Kdhadra
(Dey O/ Brahim, 1959 :12), situés en Adrar et dans
l'Est mauritanien, et les Ahel Filali (Trarza) ressemblent
aux AwgalnaaBe chez les Hal-pulaaren, qui se sont hissés à un
statut souvent supérieur à celui des ressortissants
des Maures libres. Nombre de Haratines de ces régions
n'étaient pas des esclaves achetés mais des
cultivateurs dominés par les Maures et progressivement
assimilés dans la culture maure. Ce sont des sédentaires
comme ceux des oasis, à la seule et grande différence
que ces derniers sont dans un isolat géo-culturel
négro-africain, dominé par le poids numérique
et linguistique des Arabo-berbères. Tout en parlant
le hassaniya, ils se disent indistinctement Maures, Bambara,
Soninké ou d'origine peule, dans les régions
allant de l'Assaba aux deux Hodh. C'est le même processus
qui se serait répété au Trarza avec
les Oulad Beniouk, ces guerriers d'extraction noire, bras
séculier et armé de l'Emirat des Trarza, d'origine
surtout wolof, maure et pulaar. Ils en portent les patronymes.
Dans cette tribu du sud-ouest mauritanien, les lignages sont
ceux des Sow, descendants de Dina ou Deïna Ould Samba
Al Foulaani (un Bodaado Jasarnaajo), de Samba El Kowri et
de Samba Ould Chergui Ould Heddi Ben Terrouz et les M'baye,
Diop, Fall, Dieng, Kane, etc .Nous sommes en face du groupe
tékrourien (Fouta et Waalo). Ce groupe, issu d'une
rencontre des reliques des Oulad Rizg, des Wolof du Waalo,
et des Peuls du Fouta, du Djolof ou de R'kiz, est l'une des
principales fractions appelées "Trarza el Këhlë" (Trarza
Noirs), sur lesquelles s'appuyaient l'émir des Trarza,
dont les Oulad M'bareck, de M'Bomri, les Ulad Zimbotti (la
suite de N'dimbëtt, reine du Waalo et épouse
de l'émir du Trarza), entre Rosso et Dagana-Mauritanie,
les Ulad Khayyaroum, les Ahel Attam, sur le Koundi, les Oulad
Aïd de Tékane, etc .. A l'Est et au centre, les
Maysara (c'est-à-dire l'élite de l'empereur
du Mali), les Toumani, les Diangina, les Nama, les Demba,
les Samba, les Moriba, les Makass, les Dianfa, les Tiémokho,
les Makha, les Niouma, les Dougou, les Kéba, les Simbara,
les Téné, etc , nous renvoient à tout,
sauf à une quelconque arabité ou berbérité des
Haratines. Nous sommes en face des ressortissants du groupe
mandé avec ses segments soninké et bambara.
Et que dire des grands noms comme Sirimakha (Silimakha),
Fodé, Modi, Samori, Dieydi, Tamba, qui refusent de
céder à l'assimilation culturelle ? Les Touré,
les Diarra, Traoré, Dicko, Diakité, qui ne
laissent plus de doute sur leurs origines du Kaarta, du Fouta
Kingui, du Songhaï et du Wassoulou ? Aux captifs, achetés
chez des pourvoyeurs, mêlés aux sédentaires
noirs, on a pu voir s'ajouter de nombreux étudiants
coraniques, venus du Sahel (Mody Sahil) qui se rendaient
aussi loin que Tombouctou, Djenné ou Chinguetti pour
y parfaire leurs connaissances islamiques et qui, surpris
et vendus par des coupeurs de routes, ne reviendront plus
chez eux. Combien de pèlerins du Fouta ou du monde
manding et soninké n'arriveront jamais à la
Mecque ? Tous ces "Vrig al Kuwar" (= campement
négro-africain)?
Ces patronymes, comme des buttes-témoins, s'opposent à leur
disparition définive. Ainsi peut-on admettre que les
Sylla, Camara, Sissokho, Sanokho (des Sénoufo du Kénédougou),
les Sibi, les Eyyi (originaires du Macina malien) sont, comme
ceux cités plus haut, des ressortissants des ethnies
du groupe mandé.. Leur art vestimentaire, monumental
et culinaire, est également révélateur
de leur ère d'appartenance originelle. La griffe négro-africaine
et la greffe arabo-berbère donne aussi à ces
Haratines un label musical dominé par la musique bambara
(seyéñima; seyni kar; lëgneydiyë;
etc ) et les danses guerrières songhaï. Les instruments
de musique sont encore pulaar (Moolo ou Moolaaru, guitare
monocorde) ou gambari (ou baylol), Nyanyooru ou Rbaab (vielle),
etc La permanence de la parure de l'ensemble Kingui- Wagadu-
Mali- Songhaï n'est plus à discuter. L'habitat,
avec ses cases, ses clôtures, les modes de fabrication
des briques d'argile, seront les mêmes de l'Adrar au
Guidimakha, en passant par toutes ces régions où le
fond négro-africain s'affirme fortement, à telle
enseigne que nous mettons plus l'accent sur une assimilation
linguistique beydane et une continuité de la civilisation
nègre agricole et urbaine. La continuité culturelle
nègre est là, permanente. La marque de l'arabisation
est également là, qui crève les yeux.
Communauté en transition, les Haratines se donneront
contradictoirement, par leur spécificité même,
un rôle unificateur bénéfique. Non seulement à toute
la Mauritanie, mais à toute la région. Sauf
si, pris par le vertige de leur force montante, ils commettent
l'erreur de ne pas jouer entre les communautés nationales
le rôle qui doit être le leur : le véritable
trait d'union entre deux communautés maures et noires
auxquelles manquait une passerelle de communication. Cette
communauté transitionnelle exprime, en effet, très
clairement et mieux que toute autre, la nature complexe des
rapports actuels entre Maures et Noirs. B. Esclaves intégrés
dans le système des castes dans les sociétés
négro-mauritaniennes
- Chez les Soninké du Guidimakha
L'esclavage est intégré dans le système
des castes, et les sous-catégories d'esclaves étaient
nombreuses jusqu'à ces dernières années
chez les Soninké.
Les Komo se subdivisent en Sardo (captifs acquis par héritage
de père en fils) et Nanouma (captifs acquis par achat).
Les Komo-Khasso (étymologiquement = vieux esclaves)
qui se subdivisent en Dionkourounko, Wanakounko et Douragandi-komo.
Les Dionkourounko comprenaient les mercenaires au service
du Tunka. Les Wanakounko étaient des voyageurs manding
auxquels on refusait la main de jeunes filles libres et qui
se mariaient à des esclaves. Ainsi les descendants
de ces étrangers devenaient esclaves. Douraganda-Komo
sont des esclaves qui se sont rachetés.
- Chez les Bambara
On distingue quatre catégories d'esclaves :
- Les Tonjon, en bambara de Ton = association et jon, esclaves
- Les Sôfa en bambara, de Sô = cheval et fa =père,
ou préposés au pansage des chevaux.
- Les Wolosso en bambara, de wolo = né et so = maison,
esclaves nés dans la famille.
- Les Dyon-fin en bambara, de dyon = esclave et de fing =
noir.
- Chez les Hal-pulaaren, Wolof
La nomenclature est moins poussée. Nous avons les
:
- MaccuBé en pulaar, esclaves ; Jaam, en wolof. Or,
les Jaam Juddu, esclaves de case, intimement liés à la
famille, sont différents des Jaam Sayor, captifs qu'on
peut vendre sur le champ et issus des guerres. Cette catégorie
n'existe plus et l'esclavage est pratiquement inexistant
chez les Wolof de Mauritanie. Par contre, chez les Hal-Pulaaren,
la caste des esclaves compterait plus du tiers de la population.
En tout cas, c'est la majorité d'entre eux qui se
trouve émigrée en Afrique, en Europe ou en
Amérique.
- Il y a les affranchis, nouveaux et anciens : Awgal,en pulaar;
Jaambuur,en wolof.
4. Réflexion sur les formes et la permanence
de l'esclavage en Mauritanie
L'esclavage est, sous toutes ses formes, présent
dans toute la société nationale mauritanienne,
aussi bien chez les Négro-africains que chez les Arabo-berbères,
même s'il est plus brutal chez ces derniers. Dans les
formations sociales négro-mauritaniennes, il y subsisterait
sous forme de "séquelle" et est intégré dans
le système des castes. Dans ces sociétés,
les préjugés de castes touchent l'ensemble
des couches sociales. Dans la société maure,
il s'y présente sous la forme de "survivances".
Dans sa forme d'esclavage de case, qui semble être
aujourd'hui la seule existante dans la Mauritanie rurale,
il y satisfait aux besoins domestiques. Mais ces rapports
esclavagistes en milieu maure sont largement reproduits dans
les centres urbains à travers divers canaux de production
au profit des maîtres (commercialisation de l'eau dans
les bidonvilles, docks, tâches ménagères,
etc ).
Car dans nos sociétés, l'esclave est dans
tous les cas de figure un paria "arani" (étranger).
Il n'a pas de parents dans sa société d'accueil.
Il y perd sa référence culturelle originelle.
C'est un "perdu" ou "qui a perdu" ses
racines. C'est bien le sens que lui donne l'expression pulaar
de MaccuDo : "celui qui est perdu" ou "celui
qui a disparu". L'esclave est alors un bien, un non-être,
chargé d'apporter un plus à la famille qui
l'asservit. Sa fonction économique est précise.
C'est un Beydaari : celui qui fructifie ou qui croît.
Il est Malal : celui qui apporte le bonheur, Malu.
Les anthropologues estiment que deux types d'esclavage ont
coexisté dans l'histoire de la Mauritanie : l'esclavage
de subsistance ou domestique, que l'école anglo-saxonne
appelle "esclavage mobilier", et l'esclavage marchand
(traite). Le premier serait lié aux structures de
sociétés de subsistance, c'est à dire
qu'il est un simple "générateur d'une
rente vivrière", tandis que le second, l'esclavage
marchand, serait "générateur de profit".
Cette typologie ne fait pas l'unanimité. Car, pour
ceux qui la contestent , elle est accusée d'être
par trop réductrice des multiples facettes de l'esclavage
et de ses fonctions. En effet, certains descendants d'esclaves
ne sont pas loin de penser que cette catégorisation
semble plus insister sur des aspects formels que sur la nature
intrinsèque de l'esclavage. Le réduisant à ces
deux formes, domestique et marchande, cette typologie reste
piégée par une approche trop économiste,
qui pourrait faire oublier au passage que, dans tous les
cas de figure, quels que soient les circuits ou les sociétés
dans lesquels l'esclave se retrouve, il n'est, après
tout qu'un instrument. Mais un instrument dont l'utilité n'est
pas uniquement économique. Il est aussi moyen de contrôle
politique, administratif ou militaire. L'histoire mauritanienne
a connu l'existence d'esclaves remplissant des fonctions
multiples hors du champ strictement économique, et
régnant quelquefois sur des catégories libres
ou aristocratiques au nom du souverain. Mais, dans tous les
cas, et quelle que soit sa fonction, économique ou
autre, l'esclave est " un être " dont l'humanité est
disqualifiée.. Quelques soient les modes de son acquisition,
de domination et les modalités de son exploitation.
L'esclave n'est pas un " être humain ". Il
lui reste à reconquérir son humanité perdue.
Il n'est qu'une "une chose animée" (Aristote)
dont l'usage et les modalités d'utilisation dans n'importe
quelle tâche, de subsistance (rapports viagers) ou
de production de surplus (rapports marchands), ne sauraient
masquer cette réalité cruelle d'humiliation,
d'exploitation, d'oppression et de dépersonnalisation,
d'injure fondamentale. Ces types de distinction bipolaire
: domestique-marchand, sont même jugés aptes à "banaliser
leur calvaire, à profaner leur mémoire".
Refusant de nous enfermer dans les nouveaux qualificatifs
d'"archaïques" et/ou de "modernes",
de l'esclavage en Mauritanie, nous souhaiterions tout de
même voir les distinctions "esclavage de subsistance" et "esclavage
marchand" être enrichies par la prise en compte
des particularités historiques de l'esclavage, de
son caractère hybride dans cet espace ouvert et inscrit,
depuis le Haut Moyen-Âge, dans une géopolitique
de longue durée. ll nous faut cependant admettre l'impossibilité de
lui trouver un modèle théorique unique. Nous
ne pouvons faire l'économie d'une analyse serrée
de ses modalités dans les différentes formations
sociales de l'espace mauritanien. Selon les époques
et la dynamique actuelle des sous-systèmes de la formation étatique
post-coloniale mauritanienne, l'esclavage traditionnel s'est
sécularisé dans le système des castes
négro-africain; il survit, en milieu maure, dans des
logiques de production capitaliste et des stratégies
contemporaines de pérennisation dans le secteur rural
et celui des services.
En attendant une étude plus serrée de l'esclavage
en Mauritanie qui irait plus loin que de simples descriptions,
je m'en tiendrai à l'essentiel pour traiter d'une
catégorie analytique aussi complexe : l'aliénation
de la force de travail de l'esclave.
Je suis d'accord avec Claude Meillassoux lorsqu'il précise
qu'en définitive "l'esclavage est ainsi le seul
mode d'exploitation qui permette de s'emparer du surplus
humain, indépendamment de tout progrès de la
productivité du travail au-delà de la reproduction
simple". En Mauritanie, la particularité est
que l'esclavage domestique est à géométrie
variable. Il a pu se transformer très tôt en
esclavage de traite, et vice-versa. Encore à ce jour,
l'esclave domestique, avec lequel nous vivons au quotidien,
peut se retrouver vendu à des commerçants de
passage le lendemain. Sans état d'âme de la
part du maître qui l'échange en vue d'autres
investissements de type marchand. A contrario, un "esclave
marchand" peut se retrouver dans la production domestique,
rurale ou urbaine. Dans tous les cas de figure, l'esclave
est un "sans domicile fixe". Instrument à tout
faire selon les besoins du moment, il est toujours un voyageur
en transit.Un esclave, dans notre pays, n'est donc pas seulement
une force de travail, attaché à des tâches
de subsistance dans le cadre de l'économie domestique.
Il est ce pour quoi il a été acquis : un capital
vivant. Un cheptel sur pied. Une épargne. Il est,
en plus, un gardien de l'ordre politico-administratif et
un instrument privilégié pour la sécurisation
et la pérennisation du pouvoir du maître et
de sa force sociale. Il est un faire-valoir. Cet état
de fait est fort ancien. L'histoire de l'esclavage et de
la traite esclavagiste du Moyen-âge à nos jours
est assez documentée dans la partie mauritanienne
de l'espace saharo-sahélien sur ces types de transformations
de l'esclave domestique en esclave de traite, en esclave
guerrier, ou en marchand d'esclave lui-même, et faiseur
ou tombeur de rois. Cette situation, comme nous le verrons
après, se compliquera davantage aux XVIe-XVIIIe siècles,
avec la rivalité entre la demande atlantique et la
demande saharienne tardive.
5. Interpréter la différence de la
condition servile en milieu négro-africain et en
milieu maure
Les différences soulignées sur la nature de
l'esclavage et les conditions serviles en milieu négro-africain
et en milieu maure dépendent de la dynamique historique,
du contexte écologique et des structures sociales.
S'il a disparu chez les Wolof du Waalo mauritanien, et si
aucun maître n'ose faire travailler son esclave sans
son consentement au Fouta, ce dernier reste encore soumis,
chez les Soninké, au service de son maître.
Sur le plan économique, il peut posséder des
biens et aller et revenir librement chez lui, accomplir des
travaux chez qui il veut en milieu négro-mauritanien.
S'il vit dans la marginalité sociale et politique,
son travail n'est aliéné que dans des situations
exceptionnelles, comme ce serait le cas chez les Soninké..
En effet, chez cette population, existerait encore certaines
catégories d'esclaves de peine (Kusa), d'esclaves
mansés (ayant un petit lopin de terre) et des esclaves
de case (cultivant une terre en compensant le maître
d'une redevance). L'affranchi (Kome khoré) est rarement
mieux loti que l'esclave mansé. Il y a encore dans
cette société, où la stratification
de l'ordre servile est la plus complexe de la société mauritanienne,
des esclaves héréditaires, nés dans
la captivité et appelés Saarida. D'autres sont
des Manga, affranchis et principaux garants du pouvoir des
Bathily. Quant aux Wanukunke, ils sont des esclaves venus
d'ailleurs qui vivent sous l'aile protectrice du chef de
village, toujours chez les Bathily.
Mais dans tous les cas de figure, en dehors de ces cas spécifiques
aux Soninké, les esclaves et leurs descendants n'ont
pas de prérogatives politiques ou sociales, même
dans la Mauritanie post-indépendance, dans nos villages
et assemblées de villages. Il s'agit là très
probablement de séquelles.
Ces "séquelles" existent chez les Maures,
sous une forme très secondaire (pour les Nan'ma).
Dans la société maure, au risque de me répéter,
les survivances de l'esclavage sont plus évidentes.
Et le glissement du concept d'esclave domestique est reproduit
dans les nouveaux rapports de production et d'échanges
mercantiles. L'exploitation y est si forte et l'aliénation
de la force de travail de l'esclave si prégnante,
qu'il est difficile de ne pas y voir une exploitation barbare
sans nuance. Le maître peut facilement vendre ses esclaves
dans cette société. Ce qui est impossible à l'heure
actuelle dans les sociétés négro-mauritaniennes,
même si le système social y est encore fortement
inégalitaire.
De nombreux rapports existent, publiés par l'ONG
mauritanienne SOS-ESCLAVES et le Mouvement EL HOR, faisant état
du commerce et de l'existence d'héritage d'esclaves,
ou de leur emploi au profit du maître dans la production
d'un surplus économique dans les centres urbains.
Selon SOS-ESCLAVES, la servante y est encore incorporée
dans la dot. Ce n'est donc pas par hasard que le premier
mouvement de lutte le plus radical pour la libération
et l'émancipation des esclaves en Mauritanie soit
lancé par les ressortissants de la catégorie
servile de la société maure.
Il faut chercher l'explication de ces différences
dans la dynamique de l'esclavage dans les deux grandes communautés
ethnico-culturelles, dans les déterminations et surdéterminations
tant agro-écologiques et climatologiques, qu'historiques
ou culturelles. Même si le rôle de ces deux derniers
paradigmes module la dynamique des sous-systèmes esclavagistes
mauritaniens. Mon présupposé est que les facteurs
agro-écologiques, climatologiques et environnementaux
jouent un rôle fondamental dans les formes et modes
de domination et d'aliénation du travail esclavagiste,
et ce d'une manière plus évidente dans la société maure
que dans les sociétés négro-mauritaniennes.
Ce qui revient à souligner toutes les différences
existant en Mauritanie entre les biocénoses désertiques
et sahélo-soudanaises qui agissent sur la condition
servile. Dans l'une, la rareté des ressources naturelles
végétales et en eau augmente la pression sur
elles. Cette pression est plus grande en milieu désertique
et semi-désertique et demande une intensification
du temps de travail de l'esclave comme surplus aux tâches
domestiques. La recherche des pâturages qu'il faut
chercher sur de longues distances, une alimentation sommaire
et un surtravail exigible pour l'alimentation en eau des
bestiaux et du ménage, les travaux domestiques de
toutes sortes, etc , reposent sur une seule force de travail
: l'esclave. Là où les ressources naturelles
sont plus nombreuses, les activités sont plus diversifiées
et les catégories sociales plus nombreuses. Le mode
d'occupation est la sédentarisation avec une spécialisation
d'autant plus poussée que les ressources sont plus
nombreuses. Cette division sociale très poussée
est protégée par le système des castes.Le
système des castes dans les sociétés
négro-mauritaniennes induit la transmission générationnelle
des savoirs, des charges et des ordres (la biologisation
des rapports sociaux). Cette technique de rigidification
du système social et de sa reproduction permet une
plus grande stabilité sociétale, et trouverait
son origine dans la réponse que les sociétés
- bâties sur le socle écologique mouvant et
ouvert à toutes sortes de mouvements humains, entre
Sahara et forêt - se seraient données pour s'assurer
une cohésion plus grande.
Les activités agricoles et artisanales dans ces sociétés
traditionelles font de la main-d'oeuvre servile un appoint
dans la production économique. Contrairement au système
maure dans lequel le travail productif repose entièrement
sur l'esclave, ici, toutes les forces valides du lignage
- esclaves ou descendants d'ego - travaillent en commun.
D'autres facteurs, historiques et géoclimatiques,
modulent ces trajectoires et provoquent des évolutions
dans le sens du renforcement ou du relâchement des
rapports de domination et d'aliénation de la main-d'oeuvre
servile. Ainsi, les sécheresses des années
soixante-dix ont-elles joué un rôle important
dans la reterritorialisation de nombreux Haratines dans les
zones intermédiaires des Aftoût.
Les Haratines y construisirent de nombreux barrages et développèrent
l'agriculture. Outre les problèmes fonciers que cette
arrivée massive devait poser, l'éclatement
des liens traditionnels avec les maîtres ajoutait une
distanciation sociale plus grande encore que la distance
géographique qui les séparait de leur groupe
tribal de référence. Les sociétés
négro-mauritaniennes n'auraient pas connu ce phénomène.
II. UN ESCLAVAGE DE CASE ANCIEN ET CONSTAMMENT
RENOUVELÉ PAR LES TRAITES ESCLAVAGISTES
1. Des origines au milieu du Moyen-âge
L'esclavage est si ancien et si actuel que nous croyons être,
au-delà de l'institution, face à une culture
esclavagiste canonique. Abdel Weddoud Ould Cheikh dit que
l'esclavage chez les Maures est "une institution aussi
ancienne que les Maures eux-mêmes".. Nous pourrions
en dire autant des sociétés négro-mauritaniennes
construites sur une base inégalitaire d'ordres et
de castes restées inchangés, malgré les
bouleversements intervenus de la fin du Moyen-âge à nos
jours. On pense qu'avant l'Islam, cet espace fournissait
des esclaves aux thalassocraties méditerranéennes
comme Carthage et Syracuse (cf. routes des chars et marchands
Garamantes de l'Antiquité). Les légendes et
les mythes fondateurs des États traditionnels de l'espace
mauritanien nous signalent l'existence et l'ancienneté de
l'esclavage dans l'ère culturelle du Tékrour
et du Wagadou, le futur empire ouest africain du Ghana. Déjà,
la Légende du Wagadou, charte fondatrice de l'empire
du Ghana, nous apprend que la mère de Dinga Khoré -
l'ancêtre fondateur de la dynastie régnant sur
cet empire - avait une servante idéale du nom de Faduwani
Bafouje avec ses "101 têtes". Image qui laisse
entendre qu'en esclave idéale, elle remplissait toutes
sortes de tâches en même temps.
S'appuyant sur les travaux de Patrick Mumson, Abdoulaye
Bathily fait remonter la pratique de l'esclavage en Mauritanie
centrale (Dhar Tichit-Oualata) vers le 9e siècle de
l'ère chrétienne. Cette chronologie basse est
rectifiée par les travaux d'anthropologues et d'archéologues
qui font remonter plus tôt la pratique esclavagiste
dans la région. Georges Thilmans et son équipe
ne sont pas loin de penser que certaines civilisations mégalithiques
de la région sénégambienne du VIe-VIIe
siècle après J.-C. (594-790) avaient pu être
détruites par des expéditions de chasseurs
d'esclaves venus du sud de la Mauritanie. Nous pensons moins à des
expéditions berbères qu'à la dynastie
des Dya-Ogo, qui avait à cette époque créé le
royaume du Tékrour dont la civilisation métallurgique
très remarquable supposait de fortes activités
agricoles et guerrières, et des relations économiques
avec des formations sociales lointaines. Parce que l'économie
locale ne nous semble pas capable, à l'époque,
d'absorber à elle seule toute la production de fer
de ces dizaines de milliers de bas-fourneaux, beaucoup d'esclaves étaient
sans doute nécessaires au travail agricole et à la
civilisation urbaine initiatrice de cette haute métallurgie.
D'où la nécessité d'une main-d'oeuvre
servile sur laquelle les sources arabes médiévales
sont prolixes : trafic des esclaves noirs en Mauritanie et
leurs destinations intérieures et extérieures.
Ces sources nous parlent des guerres à l'issue desquelles
les victimes pouvaient satisfaire à la demande méditerranéenne
et proche-orientale.
Selon le Hudûd Al Alam, c'est de l'espace mauritanien
et de ses confins soudanais que viennent la plupart des esclaves,
transformés en eunuques, une fois amenés en
Egypte. "Les marchands d'Egypte volent dans ces régions
des enfants et les castrent". Parmi les informations
rapportées par les auteurs musulmans, celles du XIe
siècle ont le mérite de décrire explicitement
les régions, les circuits, le caractère gratuit
de certaines captures et l'origine raciale des esclaves (Al
yakûbi, 872). Elles font mention de l'exportation d'esclaves
du Soudan occidental de Awdaghost - où le roi de Ghana
avait installé un gouverneur (Farba) - à Zawila,
vendus par les rois Sudan, "sans raison de la guerre".
Zawila, au sud du Maroc, recevait les Sûdan "vendus
dans les pays d'Islam". "Ils sont une race qui
est d'une couleur noire très pure". Al Idrissi,
le célèbre auteur du Livre du Roi Roger de
Sicile (12e siècle), nous dit que les populations
de Barissa, Tékrour, Ghana, Ghiyaru (Noirs du sud
et du sud-est de la Mauritanie et de l'ouest de l'actuel
Mali) et les populations du désert (Berbères
de Mauritanie du nord) réduisaient en esclavage les
Lam Lam. Il ajoute : "les Lam Lam qui, par la grâce
de Dieu, leur sont échus en partage".. Claude
Meillassoux, citant J.M. Cuoq, fait aussi parler clairement
le même Al idrissi : " La ville de Tékrour
est le marché où les Maures échangent
de la laine, du verre et du cuivre contre des esclaves et
de l'or " [ 1998 : 45]. Mais, où les Maures prenaient-ils
ces " esclaves " qu'ils échangeaient au
Tékrour ? D'autres auteurs arabes ou arabisants dont
Al Biruni(1050), As-Sharish (1223), Ibn Khaldûn (1375),
Al-Maqhrizi signalent l'existence de caravanes venant du
Tékrour pour le pèlerinage à la Mecque,
avec leurs centaines ou leurs milliers d'esclaves. Une de
ces caravanes partait aux lieux saints avec 1700 têtes
d'esclaves. Ghana avait la réputation de posséder
une puissante cavalerie et des milliers de fantassins pour
faire la guerre aux populations et États voisins afin
de satisfaire la demande saharienne d'esclaves et d'élargir
ses assises territoriales, même si l'esclavage n'était
pas forcément le ressort principal de sa puissance.
Ghana prenait pourtant ses captifs parmi les populations
qu'il razziait la plupart du temps, du côté du
Mali actuel, chez les Bambara (les Amima de Az-Zuhri, 1154-1161).
Les Berbères n'ont pas échappé aux
razzieurs ghanaéns et tékrouriens. Parmi eux,
les Sanhaja, encore dominés par Ghana qui leur impose
un Farba ou gouverneur (cf.Al Bakri), se libèrent
des Berbères Zénètes et s'allient au
Tékrour pour réduire la puissance de leurs
ennemis. Ils fondent avec les Tékrouriens le fameux
mouvement almoravide qui contrôlera à partir
du XIe siècle le trafic des esclaves à travers
la Mauritanie centrale et septentrionale. Partis de l'actuelle
Mauritanie, les Almoravides créent Marrakech (1069),
avant de conquérir l'Andalousie (1087). Leur mouvement
comptait des milliers de soldats noirs, dont certains étaient
des esclaves. Mais la majorité des contingents était
composée de guerriers envoyés aux côtés
des Berbères Lamtûna (de Yahya Ben Oumar, Aboubakri
Ben Oumar et Youssouf Ben Tachfîn) par Waar Diabi,
le roi du Tékrour et dirigés par le prince
Labba ou Lebbi, son neveu ou fils adoptif. Al Bakri, qui
en est contemporain, décrit bien cette alliance du
Tékrour et des Lamtûna. Le Tékrour était
la seule puissance régionale amie dont le nom finira
par désigner toutes les contrées musulmanes
de l'Afrique sahélienne. Ces alliés Berbères
Sanhaja et Noirs tékrouriens, en s'affranchissant
de la tutelle de Ghana, en ruineront la puissance vers 1076
(date donnée par Delafosse). Les autres petits empires
comme le Sosso et le Mali en profiteront pour s'individualiser.
Au XIIIe siècle, le temps des Soninké et des
Tékrouriens est passé. C'est au tour des Manding
de créer un nouvel empire au Soudan occidental, l'empire
du Mali. La noblesse de cet État, à peine sortie
de la tutelle de Ghana et du Sosso, n'hésitera pas à faire
la guerre pour inonder le marché esclavagiste. L'empereur étant
musulman, la justification est vite trouvée pour légitimer
ses attaques contre ses voisins. Ils sont païens. Les
soumettre au nom de la Jihâd relèverait de l'humanisme
de croyants devant amener leurs autres "frères" à la
découverte du vrai Dieu : " le roi fait la guerre
contre les Nègres païens qui sont ses voisins ".
Un globe-trotter comme Ibn Battûta (XIVe siècle),
se rendant au Maroc, accompagnera une caravane qui " comptait
six cents filles esclaves ".
Le trafic malien semble se déplacer plus à l'est
vers le milieu du XIVe siècle, hors de la partie centrale
de l'espace mauritanien. Ce qui lui permet de fournir plus
d'esclaves à l'Égypte, apparemment plus demandeuse
que le Maghreb. En effet, Al Maqhrizi signale au XIIIème
la vente de 10.000 Soudanais (1275) suite à une expédition
militaire à plusieurs lieues à l'Est de "Mali".
2. La Mauritanie, théâtre de la compétition
entre traites esclavagistes saharienne et atlantique à l'époque
moderne : " victoire de la caravelle sur la caravane".
A. La traite saharienne se fait plus pressante avec le développement
des cultures industrielles au Maroc : XVIe- XVIIIe siècles.
Sous le règne des Askia du Songhaï, les échanges
entre le Maghreb et la région reprennent avec, comme
arrière-plan, la Jihâd menée : à partir
de Tlemcen par Al Maghili, dans l'Atlas, par Al Ayashi et
dans l'Entre Sénégal-Niger, par l'Askia Mohamed.
Cette nouvelle réorientation de la route des esclaves
du milieu du XVe siècle a ses témoins : " Les
gros contingents étaient dirigés vers le Maroc,
et ce pays en recevait également par une route plus
occidentale venant de la côte mauritanienne, d'Arguin
en particulier, et du Sénégal. Là, Maures
et Arabes livraient des produits de luxe importés
du Nord en échange "d'un grand nombre de têtes
sans risque d'ailleurs de se voir eux-mêmes kidnappés
par les Portugais nouvellement arrivés sur les lieux".
De larges concentrations d'esclaves se constituent dans
l'Oued Drâa (Marrakech), le Touat et l'Oued Noûn.
D'où le fort métissage en ces lieux, outre
celui déjà ancien d'autochtones noirs de souche
paléolithique capsienne et d'Ibero-maurussiens, pour
former les Négro-Berbères de toute la Hamada
du Drâa et du Soûs Al-Aksa. Dans le Soûs
et le Haouz (sud de Marrakech), les esclaves venus du Sud étaient
employés dans les installations industrielles nécessaires
pour broyer la canne et cristalliser le sucre. Ce qui requerrait
une forte main-d'oeuvre, forcément gratuite pour la
rentabilisation des ventes marocaines en Méditerranée
occidentale et dans la Péninsule ibérique.
Le sucre procure au Maroc le tiers de ses revenus. On comprend
dès lors tous les prétextes des Sultans pour
attaquer les États soudanais de la Mésopotamie
ouest africaine (l'Entre-Sénégal - Niger dans
lequel la Mauritanie occupe, avec le Mali, une position centrale).
On serait porté à croire que les rivalités
autour de cette ponction de main-d'oeuvre sont à l'origine
des conflits entre ces sultans et ceux du Portugal et de
l'Espagne (cf. Bataille des Trois Rois). Au même moment,
les Askia du Songhaï mettent encore plus de pressions
sur le bassin de Taoudéni (mines de sel de Tegazza),
après celles sur l'Adrar (Atar, Ouadane , etc...)
et le Tiris (Arguin). Ils remettraient en question la politique
africaine du roi Sébastien et de son remplaçant,
Philippe II d'Espagne et du Portugal et celle du Maroc de
Mulay Mohamed es-Sheikh.
La dynastie saadienne s'empare de Marrakech en 1525, contrôle
le Touat et maîtrise le commerce transsaharien des
esclaves. Un de leurs rois, Al Mansour, poursuit une politique
ouest-africaine très militariste. Dès 1578,
il restera lié à la volonté de sa dynastie,
obligée d'augmenter la production du sucre. Il mène
alors une politique tous azimuts pour rendre plus performante
la production et la commercialisation du sucre marocain.
Pour ce faire, la conquête du Songhaï devenait
nécessaire. Elle passera par le contrôle des
mines de sel Teghazza et par l'accentuation du commerce des
esclaves, dérivés vers le Haouz comme main
d'oeuvre gratuite attachée aux plantations de canne
de la région de Marrakech.
La victoire de l'armée marocaine sur le Songha à Tondibi
n'est que "le couronnement de près d'un demi
siècle d'efforts entrepris dès 1543-44 par
le Sultan Mohamed Es-Sheikh, et poursuivis par Mulay Ahmed
Al- Mansour, en 1584". Elle avait nécessité pour
les sultans marocains de barrer la route aux Portugais, présents
sur la côte mauritanienne, et de les empêcher
de dévier la route des esclaves vers l'Atlantique
: empêcher " la victoire de la caravelle sur la
caravane " ( A.M. Godhino). Les Sultans Alaouites n'en
font pas moins. Ils font des tournées dans l'hinterland
mauritanien pour y trouver les relais à leur politique.
Le plus célèbre d'entre eux, Moulay Ismail
(le Sultan Noir, créateur de la Garde Noire) programme
une politique saharienne dans laquelle la Mauritanie est
largement tributaire. À partir du moment où les
sultans marocains ont pris l'habitude de sillonner leur mehella à travers
les villes de la Mauritanie du Nord, les expéditions
ne cessent plus. Ainsi, en 1665, Mulay Er-Rachid envoie une
expédition à Wadâne, Aratân, et
Tichit, dans le Nord et le Nord-Est du pays. Mulay Ismaïl
nomme Hannoun, le chef des Ulâd M'bareck, émir
du Bakhouna, en 1672. Ce qui lui permet de contrôler
le commerce de Tombouctou vers l'Ouest, c'est-à-dire
vers le Haut-Sénégal-Niger, où les Européens
viennent se ravitailler en esclaves. Il vole au secours de
Ely Chandora, roi des Trarza, et lui permet de s'affranchir
de la tutelle des Ulad Dlim et des Brakna chez lesquels,
pourtant, il prendra femme en la personne de En-Nassira Es-Salwi,
fille de l'émir Mohamed El Heyba Ould Nogmach. D'autres
sources en font directement la fille même de Nogmach
(l'ancêtre des Oulad Nogmach).