Origines du mot Nouba
Le terme "Nouba" dérive
d'un mot de l'Egypte ancienne, "Noub", qui signifie "or".
Il est possible que les anciens Egyptiens, connaissant l'existence
de mines d'or dans ce pays, aient désigné par
le mot "noub"
l'ensemble de la région du Sud d'Assouan. Les Coptes,
descendants des anciens Egyptiens, donnèrent le nom
d'"Anouba"
(Anobades) aux gens du Sud d'Assouan. Par la suite, les Arabes
les appelèrent "an-Nouba" (1).
Tout au long de leur histoire mouvementée
dans le Nord Soudan, ces peuples Nubiens bâtirent une
civilisation et des royaumes illustres, à savoir la
Nobatie, la Matusie et l'Aiodie - le long du Nil, et jusqu'à nos
jours Khartoum. L'avancée progressive des raids arabes
en provenance d'Egypte à partir de 652 et l'effondrement
du royaume d'Alwa (Alodia) à l'intérieur (du
territoire) marquèrent le début de la fin de
l'indépendance dont les Nubiens jouissaient depuis
des siècles. En raison de ces facteurs internes et
externes, les Nubiens abandonnèrent leur région
d'origine et migrèrent vers le sud et l'ouest, ce
qui correspond au Nord et au Sud Kordofan. La pression de
l'arabisation et de l'islamisation devint trop forte pour
ceux qui s'étaient installés dans le Nord Kordofan
(littéralement "les collines du désert
") pour résister: ils sont à présent
presque assimilés à l'intérieur de la
culture arabo-islamique du Nord.
Le peuple et
le pays
Les Noubas du Sud Kordofan sont donc, ainsi
que nous venons de l'exposer, l'un des groupes d'Africains
indigènes de la région. Les Monts Nouba occupent
une superficie approximativement équivalente à celle
de l'Ecosse. La végétation y est luxuriante
et la terre fertile: une oasis au centre du Soudan. Les précipitations
sont abondantes, et la richesse du terroir assure une nourriture
suffisante pour toute l'année. L'inaccessibilité
des montagnes a évité aux Noubas d'être
traqués jusqu'au dernier par les marchands d'esclaves
du Nord. La société nouba est coopérative
et égalitaire. Cependant, les Monts Nouba n'ont jamais
été à l'abri des forces extérieures
qui pénétrèrent dans le Soudan et le
nord-est de l'Afrique. Le passé mouvementé de
la région en fournit une preuve suffisamment convaincante.
Historiquement, la région des Monts Nouba représentait
un refuge pour les populations déplacées par
les soulèvements
épisodiques survenant le long du Nil; ceci explique
en partie la diversité des appartenances ethniques
de ses habitants
Les Noubas sont subdivisés en plus
de cinquante groupes ethniques différents, ou plutôt
en tribus et petites formations tribales. Du reste, on rapporte
que le plateau Jas au Nigeria et les Monts Nouba au Soudan
sont probablement les régions offrant la plus grande
concentration en diversité linguistique Dans ces deux
régions, on peut parler une langue totalement différente
dans des villages éloignés de seulement quelques
kilomètres, et dont le nombre d'habitants n'excède
parfois pas quelques centaines d'habitants. On estime la
population des Noubas à
plus de deux millions d'individus. L'une des causes ayant
fortement contribué à sa décimation
a été
l'esclavage. Au temps du trafic d'esclaves, quelques 200
000 Noubas ont été capturés et envoyés
en Egypte, jusqu'en 1839. Par ailleurs, plusieurs milliers
d'entre eux avaient été capturés par
les Arabes des plaines environnantes et vendus à des
marchands de la région. Aujourd'hui encore, des marchands
d'esclaves sont à l'oeuvre au Sud Soudan et en Mauritanie,
achetant et vendant des Noirs africains Les effets destructeurs
de l'esclavage, la brutalité absolue qui le caractérise
et la déshumanisation qu'il implique, ont durablement
altéré
les relations africano-arabes; ceci demeure le facteur caché
de la guerre civile actuelle. Les injustices perpétrées
aujourd'hui à l'encontre des Noubas, s'inscrivent
dans le cadre de mesures racistes et discriminatoires : elles
découlent tout droit de la structure mentale des Arabes
soudanais fondée sur la relation maître-esclave.
Activités économiques
et culturelles
Les Noubas ne font pas montre d'un intérêt
particulier pour la gestion économique et budgétaire,
ou pour les sujets du même type. Ce sont des agriculteurs
et des éleveurs de bétail, tout en n'étant
pas pour autant un peuple nomade. Leur grande "Cérémonie
du Grenier" encourage le travail agricole, mais maintient
une véritable égalité démocratique
dans la répartition des biens. Dans les Monts Nouba,
la terre appartient à l'ensemble d'une tribu, quoique
certaines parcelles puissent appartenir à une seule
famille.
Les spécificités culturelles
se manifestent selon différents degrés de similitude
ou, au contraire, de diversité. La société
des Noubas est exogame, ce qui signifie que le mariage à
l'intérieur du clan est prohibé. Il s'agit
là
d'un des phénomènes culturels que les Noubas
essaient désespérément de préserver,
en dépit des progrès de l'islamisation et de
l'arabisation que les gouvernements centraux sont en train
d'encourager. Les activités culturelles peuvent prendre
la forme d'activités sportives, comme par exemple
le sibir (festival ou cérémonies commémoratives),
dont d'aucuns prétendent qu'il ne s'agit que d'un
simple prétexte pour boire la marisa (bière
locale). Il existe d'autres sports tels que la lutte (les
meilleurs lutteurs étant les Nyimangs et les Korongos),
la lutte au bâton (régions de Mora et Masakin)
et le hockey. La danse et la musique (sur des instruments
tels que lyre, flûtes, cornes, percussions, et trompettes
végétales) jouent un rôle significatif
dans la vie quotidienne des Noubas. Mais ce mode d'existence
est actuellement menacé par l'influence croissante
du Nord. Dans sa nouvelle approche de la renaissance culturelle
des Noubas, l'administration du Mouvement (/de l'Armée)
de Libération du Peuple Soudanais (SPLM/A) a interdit
la lutte au bâton en raison de son aspect excessivement
dangereux; elle mène campagne contre l'excision, la
scarification et certaines coutumes tribales discriminatoires à l'encontre
des femmes. On a introduit l'apprentissage par tous les enfants
d'une langue nouba (3). A la diversité linguistique
s'ajoutent des différences plus récentes dans
le domaine religieux. Certains ont été attirés
par l'islam, d'autres par le Christianisme, mais beaucoup
sont simplement restés attachés aux rites traditionnels.
Evolution politique
et pouvoir local
Dans le passé, les Noubas existaient
en tant que communauté "acéphale" : à part
dans le royaume de Tegali, les Noubas vivaient au sein de
petites tribus sans chef reconnu; mais en cas de conflit,
il se trouvait toujours un homme pour les diriger durant
les épreuves. Comme tous les peuples indigènes
du Soudan, les Noubas ont souffert des ravages liés à la
guerre, a l'esclavage et à l'oppression durant les
dominations turco-égyptienne (1821-1885) et mahdiste
(1885-1898). Conscient des prouesses militaires des Noubas,
le Mahdi se déplaça jusqu'aux Monts Nouba pour
implorer l'aide du roi de Tegali. Les Soudanais de la région
ne voulaient pas prendre parti et doutaient d'une possible
victoire du Mahdi sur l'armée turco-égyptienne,
et parfois les responsables religieux eux-mêmes montraient
leur opposition. En plus de l'aide des peuples de l'ouest
du Soudan, le Mahdi sollicita ensuite celle des Bejas à
l'est, et de marchands d'esclaves du Sud Soudan. Le Mahdi
rassembla au sein de ses troupes les opprimés, d'une
part, et les gens qui trouvaient leur intérêt
dans le changement du pouvoir, de l'autre. Durant ces événements,
le roi de Tegali, Adam Um Dabalo, devait mourir en captivité
sous le joug du Mahdi.
Pendant près de cinq décennies,
l'administration anglo-égyptienne (1898-1956) tenta
de soumettre les Noubas. Contrairement aux Nord Soudanais
qui livrèrent de véritables batailles contre
les forces anglo-égyptiennes, avant de capituler et
de rejoindre le nouveau régime, la résistance
des Noubas continua jusqu'en 1945. Bien que ces luttes courageuses
aient accru leur fierté, elles contribuèrent également à retarder
le développement de l'éducation, des voies
de communication et des services sociaux dans les Monts Nouba,
sans parler de l'influence qu elles eurent sur d'autres facteurs
tels que le racisme. Ainsi, jusqu'à une période
assez récente, le spectre de l'esclavage empêchait
les Noubas d'envoyer leurs enfants
à l'école, de peur qu'ils ne tombent aux mains
des Arabes nomades. A la place, on leur enseignait les arts
martiaux et l'endurance. La conception de la virilité
propre aux Noubas a conduit nombre d'entre eux à s'engager
dans l'armée et la police, et plus encore, a contribué
à la renommée des capacités militaires
du Soudan.
De 1913 à 1929, les Monts Nouba furent
dirigés par le Gouvernement de Tutelle, en tant que
province
à part entière, avec Talodi comme capitale.
Cette province fut divisée en trois zones administratives
: Jebels (" montagnes ") de l'Ouest, Jebels
de l'Est et Jebels du Sud. Cette organisation fut modifiée
par la suite, et une administration d'origine locale fut
mise en place dans les années 1930. La région
fut divisée en District de Tigali (en 1935, comprenant
Awlad Himeid et Kawahla, près de Kalogi), District
d'Eliri (1937), et Talodi Omodia (1945). Koalib Heiban et
Otoro-Tira constituèrent un seul district en 1938.
Heiban fut confiée en 1942 à
l'administration d'Otoro-Tira, puis rejoignit la Confédération
des Noubas du Sud en 1947. La Confédération
Nyimang fut créée en 1939, incluant Mandai,
Karko, Waii, Katla, Julud et Temein. Celle d'Ajang date de
1940, et comprend Dilling, Ghulfan et Kadaru. Les Confédérations
d'Ajang et de Koaiib fusionnèrent en 1955. Enfin,
la Confédération des Noubas du Sud fut mise
en place en 1947, incluant Min et Kadugli (4).
Bien qu'il ait été dit que ces fédérations
constituaient une étape importante dans l'évolution
vers l'autogestion de communautés petites et faibles,
ces avancées n'ont pas favorisé le développement
de véritables services éducatifs, de santé
ou communautaires pour les Noubas.
Peu après l'indépendance du
Soudan en 1956, les peuples du Sud furent exclus de l'héritage
de l'ère coloniale sous prétexte qu'ils n'étaient
pas éduqués. Plus tard, lorsqu'ils le furent
devenus, le Nord mit en avant la Charia islamique
pour empêcher les Chrétiens et les non-Musulmans
d'occuper des postes clés au gouvernement. Aujourd'hui,
il y a fort à
parier que si les peuples du Sud et les Noubas se convertissaient
en masse à l'islam, la classe dominante arabe trouverait
une autre raison de les repousser; sans doute demanderaient-ils
aux Africains de devenir des Arabes, condition irréaliste
même à l'époque du clonage. Bien que
différente, sur le plan ethnique, des zones de langue
arabe du Nord Soudan, la région des Monts Nouba n'a
pas été incluse dans les négociations
surnommées "Problème du Sud" (1955-72).
Aussi, après la signature des accords d'Addis Abeba
en 1972, qui mit fin aux opérations militaires dans
le Sud, les Noubas, constatant que les fruits de leur lutte
armée profitaient exclusivement aux populations du
Sud, en arrivèrent à la conclusion que la seule
méthode pour parvenir à leurs objectifs politiques, économiques
et de santé à l'intérieur du Soudan, était
de passer par la lutte armée. Les deux partis politiques
sectaires - le Parti Unioniste Démocratique et
le Parti Umma, qui dominent la politique soudanaise
depuis l'indépendance - sont seuls responsables de
la détérioration et de l'échec des gouvernements
soudanais à assurer la stabilité, le développement économique
et les progrès du pays. Même les dictatures
militaires ont été mises en place par ces deux
partis, avec la complicité de toutes les factions
de gauche. Les représentants des Noubas, via l'Assemblée
Parlementaire des années 50 et 60, exprimèrent
les besoins fondamentaux de leur peuple. Ils demandèrent
aux autorités de creuser des puits, de construire
des ponts, des écoles et des dispensaires, et de vacciner
les animaux contre les épidémies. Ils demandèrent également,
pacifiquement et de façon tout à fait légitime,
la reconnaissance des droits civiques. Alors que le gouvernement était
censé les leur accorder tout naturellement, ces demandes
sont restées lettre morte.
Depuis les années 60, les plaines
fertiles des Monts Nouba ont été réattribuées
à de très lucratifs "Projets d'Agriculture
Extensive Mécanisée", dont les propriétaires
sont les hommes d'affaires contrôlant l'état
soudanais. Ces projets détériorent l'environnement,
sont néfastes pour les nomades qui mènent leurs
troupeaux paître dans les plaines, ainsi que pour les
Noubas, qui ont perdu leurs exploitations les plus fertiles.
Ceux qui ont refusé de céder leurs terres ont été
persécutés, emprisonnés ou tués.
Comme nous venons de le dire, les responsables
noubas arrivèrent à la conclusion que les négociations
pacifiques avec les autorités de Khartoum n'étaient
que pure perte de temps (5). La création
en 1985 du SPLM/SPLA (Southern People Liberation Movement
/ Army) dans le Sud Kordofan reçut le soutien
des Noubas; il n'y a là rien de surprenant si l'on
garde présent à l'esprit les souffrances d'un
peuple accablé par la pauvreté et déchiré
par l'injustice. Ce changement d'orientation signifiait deux
choses: d'une part le déplacement du combat des Noubas,
de Khartoum (le centre) vers leur territoire (la province),
d'autre part la transformation d'une lutte pacifique en lutte
armée. Le SPLM/A s'appuyait sur les deux origines
principales du mécontentement du Sud : le partage
du pouvoir politique, et la distribution des richesses nationales,
ou, plus précisément, le développement
inégalitaire entre le centre et la province. De plus,
de nouvelles sources de conflit apparurent, notamment le
retrait de la terrible loi islamique, demande reformulée
ultérieurement sous forme de séparation de
l'église et de l'Etat. Pour les Noubas, ces revendications
correspondaient
à leurs revendications de longue date, et ils étaient
pleinement convaincus que le SPLM/A luttait pour le problème
général du Soudan, et non pour un soi-disant "Problème
du Sud".
Bien que les défenseurs de la Charia
soulignent que celle-ci ne s'applique pas aux non Musulmans,
en réalité les Chrétiens et les non-Musulmans
ont été opprimés et marginalisés.
Par exemple, les autorités politiques ne proposent
que très rarement aux Chrétiens des terrains
pour construire des églises. Et les églises
existantes sont régulièrement détruites
par des Musulmans fanatiques, sans que l'Etat n'intervienne.
Autre exemple: en 1999, une secte musulmane a attaqué une église
dans le banlieue nord de Khartoum. Cette église et
les autres, construites par des Chrétiens réfugiés
du Sud et de l'Ouest du Soudan, sont également utilisées
comme écoles et comme centres de soins. Plusieurs églises
ont été détruites par des fanatiques
musulmans, et d'autres par les Services d'urbanisme du gouvernement.
Le gouvernement prétend qu'il ne s'oppose pas à l'édification
d'églises, mais que, pour ce faire, la population
locale doit d'abord donner son accord (6).
Une telle condition n'existe pas dans le cas de la construction
d'une mosquée. Voici un autre exemple de persécution
religieuse: le cas de Mekki Kuku, instituteur des Monts Nouba , converti
de l'islam au Christianisme, il a été
arrêté en juin 1998 par un officier de la sécurité
et emmené au Centre de la Foi Islamique de Khartoum
- un centre d'endoctrinement islamique - où il a été
mis à l'isolement et torturé. On lui a promis
des gratifications financières et sociales pour qu'il
renonce au christianisme, Il a fallu l'intervention d'Abel
Aller, ancien vice-président sous le régime
de Niemeri, pour lui sauver la vie. Après l'intervention
d'Alier, Mekki Kuku a été transféré à
la prison d'Omdurman, dans l'attente d'un procès pour
violation de la loi soudanaise (7) sur l'apostat.
En fait, le code pénal du Nord Soudan
a toujours inclus des éléments de la Charia, et
ce bien avant 1993. Mais cela ne concernait que certains
secteurs du droit civil, comme le divorce et les héritages,
tout le droit pénal étant régi par un
code laïque.
Depuis septembre 93, les tenants de la Charia ont étendu
celle-ci au domaine pénal parce que, affirment-ils,
l'islam est un mode de vie.
Avec l'introduction de la Charia, la
question de l'identité du pays est devenue un sujet
brûlant, parce que l'islam et la culture arabe ont
toujours été
entremêlées, au point de tendre à prédominer
sur les autres religions et les autres cultures. Plus encore,
un Musulman peut se trouver dans la situation d'avoir à
dénoncer ses propres coutumes, ses traditions et sa
patrie, pour devoir faire allégeance aux sables sacrés
d'Arabie - le berceau de l'islam. La question controversée
de l'identité du Soudan a surgi après l'indépendance
et, malgré l'existence d'une majorité Africaine
dans le pays (selon le recensement de 1956), les dirigeants
politiques de l'époque, en dépit de l'opposition
arabe, déclarèrent que le Soudan serait membre
de la Ligue Arabe. Cela peut se comprendre à partir
de deux facteurs: l'infériorité et le complexe
de périphérie. L'infériorité,
parce que les Arabes soudanais ne sont pas pleinement acceptés
comme " purs Arabes ", du fait de leur métissage
avec des Africains. Quant au complexe de périphérie,
il résulte du fait qu'une situation de groupe marginalisé
dans le monde arabe les contraint à manifester leur
existence par tous les moyens. Voilà pourquoi les
Soudanais arabes pensent à tort qu'ils sont plus arabes
que les Arabes eux-mêmes, et plus musulmans que le
reste des Musulmans dans le monde arabe.
Au vu de ces injustices, on peut maintenant
comprendre que les Noubas aient pris les armes: on leur a
refusé
le partage du pouvoir et la reconnaissance de leur identité,
ils ont vu leurs fermes saisies sans dédommagement,
ils ont été soumis à la persécution
religieuse et sociale, et marginalisés sur le plan
de la de santé, de l'éducation, des transports
et des communications. Mais cette lutte armée, qui
devait leur apporter une reconnaissance si souvent recherchée
et jamais obtenue par des moyens pacifiques, se poursuit
toujours malgré un lourd tribut payé en vies
humaines, en biens perdus et en dégradation de l'environnement.
Sous prétexte de lutte anti-insurrectionnelle, un
chapitre sanglant des violations des droits de l'homme s'est
ouvert dans les Monts Nouba.
Les violations
des droits de l'homme et la guerre
L'escalade en matière de violation
des droits de l'homme dans les Monts Nouba, en tant que produit
de la guerre civile soudanaise, remonte au gouvernement de
transition du général Swaral-Dahab (avril 85-avril
86) et au gouvernement civil de Sadiq-al-Mahdi (avril 86-juin
89). Sous prétexte de lutte contre-insurrectionnelle,
les deux gouvernements ont équipé les milices
locales arabes en armes à feu pour assassiner les
civils nouba et confisquer leurs biens. Les rapports d'Amnesty
international sont remplis d'horribles cas de tueries organisées,
de viols systématiques utilisés comme arme
de guerre, et de tortures à mort, perpétrés
par les soldats du gouvernement et leurs agents. Les cellules
de la prison de Kadugii, capitale provinciale du Sud Kordofan,
et de Dilling, furent utilisées comme lieux de détention
prolongée sans jugement. il y eut des cas d'enlèvement
et de disparition d'intellectuels et de chefs tribaux nouba
soupçonnés de soutenir l'organisation rebelle
SPLM/A.
L'avènement du régime du Front
National Islamique (NIF) en juin 1989 a constitué
un tournant dans la vie du peuple nouba. Le régime
du NIF a légalisé la milice arabe, appelée
par euphémisme " Forces de Défense Populaires
" (PDF).
Le régime du lieutenant général
Omer al-Bashir a surpassé celui de Sadiq-al-Mahdi
en matière de militarisation des Soudanais contre
leurs voisins, amis et parents, et les Noubas subissent l'essentiel
de cette politique belliqueuse. A peine le gouvernement Bashir
avait-il pris le pouvoir, qu'il établit un blocus
pour empêcher les secours de parvenir jusqu'aux Monts
Nouba, dans les zones administrées par le SPLM/A depuis
plus de dix ans.
Au contraire, dans les régions administrées
par le SPLM/A dans le Sud, sous les auspices de l'opération Lifeline
Sudan, c'est l'ONU qui supervise depuis des années
la fourniture des secours - quoique de façon intermittente.
Le blocus s'est avéré être l'une des
armes les plus efficaces dans la guerre du régime
contre les Noubas. Il a eu des répercussions considérables
dans tous les secteurs de l'économie et dans les services
aux populations. A l'écart des media du monde, la
décimation du peuple nouba s'est poursuivie avec une
intensité constante. Les membres de la communauté nouba
ont été
soumis à une campagne de terreur destinée à
les contraindre d'abandonner leurs foyers. Le fait que Je
territoire des Noubas se trouve dans une zone tampon les
rend vulnérables aux attaques du gouvernement.
En avril 1992, le jihad a été
déclaré contre les Noubas. Une telle fatwa qualifiait
les Noubas d'infidèles, et par conséquent,
leurs vies, tout comme celles de leurs femmes et de leurs
enfants ainsi que leurs biens, n'avaient pas à être épargnées.
Il y eut des raids contre des villages,
des gens brûlés vifs, des destructions de récoltes,
des pillages de bétail, des enlèvements, des
massacres, des mutilations de civils, y compris au moyen
de mines antipersonnel. Le meurtre, qui suit généralement
l'enlèvement et le viol, fut la seconde cause de mortalité féminine.
En dépit des condamnations internationales, le régime
Bashir a effectué des déplacements forcés
et en masse au début des années 90. Les déportés
ont été placés dans de prétendus
" camps de la paix ", dans le Nord Kordofan. Les
enfants ont
été séparés de leurs parents,
ont reçu des noms arabes et ont été islamisés
contre leur gré. De jeunes hommes ont été
envoyés en zones de combat comme chair à canon
après avoir reçu un semblant d'entraînement
militaire. Des femmes et des jeunes filles ont été
emmenées par des soldats gouvernementaux comme concubines,
et des petites filles ont subi des mutilations sexuelles,
pratique non répandue dans les Monts Nouba. Conditions
de vie
épouvantables, viols multiples, passage à tabac
et arabisation, ou pire, étaient monnaie courante
dans ces " camps de la paix ". La campagne gouvernementale
contre le peuple nouba a donné corps à la notion
de "
nettoyage ethnique ". Cette campagne visait délibérément
les personnes âgées, les femmes et les enfants.
En 1995, un cessez-le-feu fut négocié
par l'ancien président américain Jimmy Carter,
aux fins d'éradiquer la trichinose et d'autres maladies
du Sud Soudan. Malheureusement, le projet n'a pas été
étendu aux Monts Nouba, et le cessez-le-feu ne comprenait
pas la région nouba En 1999, une mission d'étude
de l'ONU s'est rendue dans les Monts Nouba pour y évaluer
les besoins de la population. A son arrivée, l'équipe
a essuyé le feu de l'artillerie gouvernementale, et
elle n'a pu avancer qu'après un appel à Khartoum
pour faire cesser le bombardement.
Le pire ennemi des populations dans la zone
de combat est l'Antonov An-24, un avion-cargo fabriqué
en Russie, qui largue des obus à haute altitude, il
y a des rapports sur l'usage d'armes chimiques par les troupes
gouvernementales pendant la bataille de Tulishi, dans le
Sud du Kordofan entre février et mai 1992, et à plusieurs
reprises dans le Sud Soudan. Chaque fois, des civils ont été
tués au cours de raids de l'armée de l'air
qui utilisait des gaz toxiques.
Le mardi 8 février 2000, l'armée
de l'air du gouvernement soudanais a bombardé une école
située dans la région des Monts Nouba. Au moins
quatorze enfants ont été tués, ainsi
qu'un enseignant, et vingt personnes blessées. La
plupart d'entre eux étaient des élèves
assistant à
un cours d'anglais sous un arbre. L'image du directeur d'école
essayant de retenir les intestins d'un garçon à
l'abdomen déchiré par un éclat d'obus
témoigne du fait que " les abominations de cette
nature contre des civils soudanais innocents sont devenues
monnaie courante ". Après son attaque contre
cette école, l'avion gouvernemental lâcha encore
huit bombes sur deux villages proches. Les comptes-rendus
disponibles révèlent que quelque trente-quatre
enfants et deux enseignants ont perdu la vie dans des opérations
similaires depuis octobre 1997.
Au vu de ces témoignages, le gouvernement
soudanais est coupable de mener une guerre d'agression et
de perpétrer des crimes contre l'humanité dans
les Monts Nouba et ailleurs dans la zone des combats. Les
crimes contre l'humanité, tels que définis
par la Convention des Nations Unies sur le génocide
(1948), sont constitués par les actes suivants, " commis
dans l'intention de détruire, en tout ou en partie,
un groupe national, ethnique, racial ou religieux:
- meurtre de membres du groupe;
- atteinte grave à l'intégrité physique
ou mentale de membres du groupe;
- soumission intentionnelle du groupe à des conditions
d'existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle;
- mesures visant à entraver les naissances au
sein du groupe;
- transfert forcé d'enfants du groupe à un
autre groupe.
Ce qu'exigent les Noubas, c'est d'obtenir
les moyens qui les rendront capables d'exercer leurs droits
individuels et collectifs de défense, tels que reconnus
par l'article 51 de la charte des Nations Unies. En vertu
de ses valeurs morales et de ses lois, la communauté internationale
se doit d'exercer des pressions sur le gouvernement soudanais
afin qu'il cesse tout bombardement aérien ainsi que
ses attaques contre des objectifs civils. Il est
également essentiel de permettre
l'accès immédiat et sans restriction des organisations
humanitaires qui cherchent à amener des secours aux
civils, victimes de la guerre dans les Monts Nouba.
Perspectives
L'histoire politique des Monts Nouba résulte
de facteurs géographiques, qui ont façonné
la vie et le sort des Noubas à l'intérieur
du Soudan. Leur histoire est jalonnée de périodes
d'esclavage et d'exploitation, puis de marginalisation et
d'extermination. Au fil du temps, la lutte contre la population
nouba est devenue, pour les autres, sujet de glorification,
et ceci n'a fait que renforcer les Noubas dans leur combat
pour l'autodétermination et pour la liberté, éléments
fondamentaux des Droits de l'Homme. Tous les événements
passés montrent que les revendications des Noubas
sont indissociables de celles des autres populations marginalisées
du Soudan, mais leur sort a été bien pire,
en raison des destructions de vies humaines et des confiscations
de biens depuis 1985, et de la disparition progressive des
ressources
économiques des individus et de la communauté
elle-même.
Le congrès de la NDA (National
Democratic Alliance) qui s'est tenu à Asmara
en Erythrée du 15 au 23 juin 1995, a conclu que " en
ce qui concerne les Monts Nouba et lnghessana, le Gouvernement
de Transition devra rechercher une solution politique pour
compenser les injustices subies par ces populations; un
référendum pour préciser leurs point
de vue sur leur futur politique et administratif sera organisé pendant
la période de transition ". Mais au vu des
dommages physiques, psychologiques, sociaux et économiques
infligés aux Noubas l'expression
" solution politique " apparaît floue, et
plus encore, connaissant la nature raciste et corrompue
des officiels de Khartoum, cette résolution n'est
qu'une fois de plus destinée à priver les
Noubas de leurs droits inaliénables.
Dans une future solution au conflit, les
Noubas auront à choisir entre trois possibilités:
rallier un gouvernement du Sud Soudan, rester intégrés
au Nord Soudan, ou constituer un état indépendant.
Quelle que soit l'option retenue, elle est du ressort du
peuple nouba lui-même, à qui il appartient d'évaluer
les avantages et inconvénients de chacune d'entre
elles.
En ce qui concerne la première possibilité,
la lutte menée de concert par les Noubas et les peuples
du Sud a déjà forgé un partenariat favorable,
et, si une telle atmosphère de convivialité peut
exister en période de guerre, elle pourra se poursuivre
en temps de paix. De plus, leur histoire partagée
d'esclavage et d'oppression, d'avancées en matière
de culture, de croyances religieuses et d'identité,
forment un solide dénominateur commun.
Le deuxième choix ne serait qu'une
répétition du passé et du " statu
quo ", sous une forme encore plus critiquable. De l'indépendance
du Soudan en 1956 à
ce jour, les différents essais et ratés ont
appris aux Noubas que leurs intérêts ne pouvaient être
confiés aux élites du Nord, et que les raisons
qui les ont poussés à prendre les armes contre
le gouvernement central pouvaient réapparaître.
Il y a déjà des conflits en gestation, causes
potentielles d'une guerre future entre les Noubas et le gouvernement
de Khartoum. Par exemple, la recherche et l'exploitation
du pétrole dans le Sud Kordofan, et la délimitation
des provinces, dans lesquelles des morceaux du territoire
nouba ont été " coupés-collés " au
Kordofan Ouest. Si les Noubas choisissent de rester membres
du Nord Soudan, cela devra se faire sous une nouvelle forme
garantissant un partenariat égalitaire. Cependant,
les droits ainsi acquis ne pourront être garantis qu'en
conservant l'autonomie et l'intégrité d'une
force militaire propre aux Noubas, sans les habituels leurres
du type redéploiement, disparition, ou intégration
de ces forces. Il nous faut retenir les leçons de
l'accord d'Addis Abeba (1972) qui mit fin à la scission
nord-sud, et l'abrogation unilatérale du statut fédéral
de l'Erythrée par l'empereur Haïlié Sélassié en
1962. L'indépendance
économique est un autre prérequis vital. A
cet
égard, le Sud Kordofan devrait être doté
d'une administration financière permettant aux populations
de gérer leurs propres ressources financières.
Contrairement aux pouvoirs limités déjà
accordés au Sud Kordofan, cette nouvelle autonomie
financière
à part entière permettra d'acquérir
des fournitures scolaires, d'assurer les services de santé,
de former la nouvelle administration, d'entretenir une police
et différentes institutions administratives.
Quant à la solution de dernier recours
consistant en un Etat indépendant, les Noubas ont
déjà
connu l'expérience ultime de devoir survivre sans
accès aux fonds publics ni aux services sanitaires
et sociaux. Les Noubas bénéficient peut-être
aujourd'hui d'une meilleure prise de conscience: conscience
de leur appartenance
à une entité régionale, de leur désir
d'obtenir leur quota d'éducation, d'accès à
l'emploi et de progrès économique, et, plus
encore, de la nécessité de jouer un rôle
dans les affaires du pays. Une fois cet acquis consolidé,
ils seront prêts pour
l'étape suivante: dépasser
leurs problèmes régionaux pour se préoccuper
du bien-être de l'ensemble du pays. La nouvelle coopération
entre les ONG internationales et locales constitue un bon
point de départ, et le soutien des Noubas aux observateurs
internationaux des Droits de l'Homme a déjà renforcé
leur image à l'extérieur de leur propre pays
NOTES
-
Pour plus d'informations,
voir S. AL-JAMAL: Tareikh Sudan Wadi aI-Neil, Le
Caire, 1969; G. VANTINI: Christianity in Sudan, Bologne,
1981; et R.C. Stevenson The Nuba People of Kordofan
Province, Khartoum, 1984.
-
A. HOWES: Life before
the war, dans The Guardian du 3 mars 2000;
voir aussi A.P. DAVIDSON: ln the Shadow of History:
The Passage of Uneage Society, Londres, 1996.
-
J. FLINT: Fighting
for their lives, dans The lndependant Magazine du
10 avril 1999.
-
R.C. STEVENSON: The
Nuba People of Kordofan Province, Khartoum, 1984.
-
Pour plus d'informations
sur le combat des Noubas au Nord Soudan après
l'indépendance, voir P.A. GHABBOUSH Africa
Today, n°3, 1973.
-
Vigilance Soudan, 2ème
et 3ème trimestres 1999.
-
Vigilance Soudan, 2ème
trimestre 1998. Dans la Chana musulmane, la conversion
est un crime passible de mort. Les conférences
publiques du Dr Hassan Abd Allah al-Turabi et ses idées
personnelles qui vont à l'encontre de toutes les écoles
orthodoxes de la Loi islamique sur le statut de la femme,
sur le témoignage en justice des non-Musulmans
et sur la loi sur l'apostasie, sont en désaccord
avec la Chana musulmane du Soudan. Le Dr Turabi, idéologue
du régime de Bashir qui prit le pouvoir en juin
1989, fut le conseiller du président Nimeiri quand
Ustaz Mahmoud Mohamed Taha fut exécuté
pour crime d'apostasie en 1984. Turabi ne leva pas le
petit doigt pour s'opposer à cette exécution.
-
Le Dr Hassan Makki
indique dans le quotidien Al-Khartoum du 19 février
2000, que la majeure partie de la population du Grand
Khartoum (la capitale nationale) est composée
d'Africains. Selon le recensement de 1955, la population
de la capitale s'élève
à 390 000 personnes, les "occidentaux" (originaires
de l'Ouest Soudan et d'Afrique) étaient 22 000,
les
"méridionaux" (originaires du Sud Soudan)
13 000, tandis que quelques milliers étaient originaires
d'"ailleurs". Aujourd'hui, les Arabes sont
environ 1,5 million, les "occidentaux"
2 millions, et les "méridionaux" plus
d'1 million.
-
Le compte-rendu complet
des
événements relatifs aux Monts Nouba a été
publié par en 1995 par l'association African
Rights (Facing Genocide the Nuba of Sudan), ainsi
que par l'association américaine Afnca Watch, le
comité Américain pour les Réfugiés,
et dans plusieurs rapports d'Amnesty International.
-
D'après les résolutions
du congrès de la NDA, à Asmara du 15 au
23 juin 1995.
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