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Hommage à Mongo Béti

Par Eugène EBODE

Mane mongo Beti (1), "On ne se baigne jamais dans le même fleuve.", nous enseigna Héraclite. Alors, je ne reprendrai pas ici ce que j'ai dit à Lille, en hommage à ce que tu fus, à ce que tu représentes et qui survivra au temps.

Dans "Trop de soleil tue l'amour", tu avais exprimé le regret suivant : "C'est dommage que les morts ne ressuscitent jamais. Au moins, ils verraient ce que nous (les vivants) avons fait de leur amour et de nos serments."

Mane mongo Beti, des serments, nous en avons effectivement prononcés devant ta dépouille. Serments de fidélité et serments d'insolence ! Mais nous avons aussi des serrements de coeur, des ferments de colère et qui sait, des serrements de fesse devant la peur du lendemain...

Dans quelle ivresse pourrions-nous les dissoudre ? Dans le jazz ou dans le vin de palme? Tu appréciais l'un et l'autre. Comme vient de le souligner Romuald Fonkoua, "tu vivais en jazz, tu vivais le jazz."

Alors, tu aimais A night in Tunisia comme tu adorais retrouver le peuple des hommes On the sunny side of the street. Mais voilà, tu as soudain pris le train qui mène vers cette étrange rive, celle que les vivants ne veulent atteindre que le plus tard possible. Était-ce le A train ? Y as-tu croisé une Sophisticated lady ? J'entends Ella, la Fitzgerald ! Pour Nina, la troublante Simone, plaise au ciel qu'il nous la conserve encore longtemps de ce côté-ci du fleuve ! Take five, little Beti, Mongo Africa, you are still alive as Birago Diop Said : "Les morts ne sont pas morts. Ils sont dans l'Arbre qui frémit... Ils sont dans l'Eau qui coule."

Oui, tu adorais le jazz et ça doit swinguer là-haut, avec Coltrane, Armstrong, Bessie Smith, Miles Davis, Charly Parker, Wes Montgomerry, Sarah Vaughan, avec Fela Ransome Kuti, Francis Bebey, Franco et le OK jazz !... Les balafons ont d'ailleurs dû faire entendre leurs roulements pour saluer là-bas l'arrivée d'un grand Nègre : l'exilé de Verson, Léopold Sédar Senghor.

Écoute, on lui a refusé le retour à Joal, et je ne te causerai pas de ses faux amis, ceux dont l'absence creva les yeux lors de l'enterrement du poète-président, chantre du rendez-vous du donner et du recevoir.

Faut-il donc croire que trop de soleil tue l'amitié ? Celui de Dakar pulvérise peut-être les amis de pacotille.

Mane Mongo Beti, je me souviens aussi de notre rencontre à Cozes, en Charente, en 2001. Tu avais évoqué la réception de l'oeuvre de Senghor en Afrique et souligné combien les Camerounais n'avaient pas goûté sa célèbre formule : "L'émotion est Nègre comme la raison est Hélène."

Je t'avais alors fait remarquer qu'une autre proposition avait aussi déplu aux Camerounais : le Communisme. Tu t'en rappelles ? J'avais raconté ce meeting politique, avant l'indépendance du Cameroun, au cours duquel des Camerounais dubitatifs avaient demandé à un orateur : "Massa (2), c'est quoi même, le communisme ?

L'idéologue leur avait lancé tout de go :

"C'est l'appropriation collective des moyens de reproduction, euh... des moyens de production."

Et les Camerounais de s'écrier :

"Hein, on met les femmes là-dedans ?"

- Bah, oui, camarades ! avait imprudemment répondu l'idéologue.

Il paraît que la salle s'était vidée et avec elle, l'espérance d'un gouvernement communiste au Pays des Crevettes.

Cher Mongo Beti, je tiens à présent à te donner quelques nouvelles de la terre...

Première nouvelle : Georges Bush nous bouche la vue. Lui, gendarme du monde ? Le képi ne lui tombe-t-il pas sur le nez ? Sait-il vraiment où il doit aller gendarmer ? La Palestine brûle ! Mugabé attise au Zimbabwé les flammes du désastre ! Berlusconi déraille...

Deuxième nouvelle : Toi, qui adorais le jazz, je suis sûr que le dernier album de Richard Bona, "Révérence", t'aurait plu. Il a ce magnifique mot dans l'une de ses chansons : "Après la pluie, viennent les fleurs qu'on n'attend pas."

Troisième nouvelle : S'il pleut dans nos coeurs en souvenir de toi, sache que le soleil brille aujourd'hui soleil dans Paris. Pour une fois, la ville n'est pas cruelle, puisque Paris est une fête... aujourd'hui.

Dernière information de la terre : En football, les Lions indomptables du Cameroun ont encore rugi et terrassé les lions de Teranga, du Sénégal, en finale de la coupe d'Afrique des nations. Les coqs de France n'ont qu'à bien se tenir au Japon.

A l'heure où je te parle, il paraît que Biya est en visite de travail en France. Oui, tu as bien compris : Visite de travail !... Non, c'est pas une blague !...

Peux-tu me souffler des nouvelles de là-haut ?

Dis-moi, Mobutu est-il bien en enfer ou a-t-il déjà réussi à corrompre Lucifer ?

Et Oyourou Pépé, je veux dire le Président Ahidjo, mange-t-il toujours la kola ? Avez-vous fait la paix ou vous disputerez-vous pour les siècles des siècles ?

Glisse-lui au passage que sa politique "vin de palme", celle qui pétille un quart d'heure pour tourner rapidement au vinaigre, a de beaux restes et de beaux jours devant elle.

Même si tu n'étais pas un saint, tu nous manques vraiment. Oui, je sais, tu aimais les seins... pardon, les saints... car tu as été séminariste. Tu connaissais du bout des doigts l'oeuvre de Saint Paul, Saint Pierre, Saint Jean etc. Il m'est donc impossible de ne pas conclure par ce refrain éternel :

"O when the saints, o when the saints, o when the saints go marching in,

O lord I want to be in that number..."

Eugène Ebodé.

 

NOTES

  1. En ewondo, petit enfant beti
  2. Monsieur