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Le "soi" des survivants dans l'écriture des descendants

Par Janine ALTOUNIAN. Publié dans L'Écriture de soi peut-elle dire l'Histoire ? sous la direction de Jean-François CHIANTARETTO, BPI en actes, Paris, 2002 (Actes du colloque organisé par la BPI les 23 et 24 mars 2001).

Étant donné qu'entre le moment où s'est tenu ce colloque et celui de sa publication, le 11 septembre a fait irruption dans le champ des conflits sanglants du monde et de nos représentations, il me semble nécessaire de situer de nouveau la thématique de cet exposé qui tentait de montrer les liens existant éventuellement entre un acte " terroriste " et un certain type d'écriture qui le serait à sa façon. Il évoque en effet le caractère transgressif, pour ne pas dire " terroriste " d'une écriture qui vise à inscrire dans l'Histoire du monde ceux qui ont été effacés de leur propre histoire et remet, dans le circuit psychisant, symboligène, libidinalisant des mots, l'impact sur les individus d'une violence collective explosive, transmise dans leur filiation.

Au cas où l'on ne pourrait plus, face aux menaces actuelles des intégrismes incontrolables, penser la métabolisation par l'écriture comme, entre autres, une forme d'évacuation et sublimation de la violence, au cas où cette issue serait désormais devenue caduque, les fondements mêmes de notre civilisation s'en trouveraient alors anéantis. Dans l'incapacité de témoigner, pour ma part, d'une démarche plus adaptée à ce que nous réserverait l'avenir, je soumets donc la présente réflexion à la question de savoir si l'humanité peut encore exister quand la violence n'est précisément plus sublimable?

Le travail d'élaboration et d'écriture que doit effectuer un descendant de survivants s'il cherche à inscrire le trauma de ses ascendants, montre en quoi psychiser et historiciser celui-ci, le transmuer en événement advenant, dans l'après-coup, à lui-même et donc aux autres, constitue une démarche violente et doublement transgressive. Pour appréhender le caractère transgressif de ce cas de figure on peut le rapprocher - avec quelque inconvenance il est vrai! - d'autres situations traumatiques portées fréquemment aux cabinets des psychanalystes: Si, pour un enfant, il y a honte et transgression à avouer le secret de pratiques incestueuses dont il est victime au sein de sa famille, il en va pour lui tout autant à porter au grand jour la réduction à l'impuissance de ses figures paternelles; comme si, pour l'enfant témoin et ses auditeurs, il était finalement tout aussi insoutenable de dévoiler l'obscénité du sexe violeur des proches censés le protéger, que celle de leur sexe désaffecté, châtré.

Cette hypothèse m'a été suggérée par la nécessité d'une double transgression dans mon propre parcours qui, par la suite et à la faveur d'un " déplacement " salutaire, m'a amenée à investir par l'écriture la réception et la transmission d'autres héritages scandaleux de l'Histoire. Envisageant mon cas personnel comme un simple exemple clinique qui permet de considérer le trajet menant des violences et transgressions politiques à la douleur de leurs inscripti ons psychiques et textuelles, je n'hésiterai pas à l'exposer ici (1):

C'est en effet la violence d'un acte terroriste dans le champ politique parisien (la prise d'otages au consulat de Turquie en sept. 1981) qui inaugura pour moi, par ses effets d'après coup, l'investissement d'une configuration particulière d'" écriture de soi " où le " soi " d'un survivant, interdit à jamais de séjour, ne peut toutefois advenir, s'écrire et témoigner de l'avortement de son destin singulier que sous le couvert et par le truchement d'une écriture transférée à son descendant. Cette écriture à rebours des générations constitue exactement la réciproque de celle que l'écrivain Imre Kertesz, survivant à Auschwitz, assigne, pour les mêmes raisons, à la sienne. Son roman, Être sans destin, cherche en effet à restituer non pas un " soi ", mais au contraire l'impossibilité du " soi ": " Je... me suis... interressé... à l'absence de destin (2) de mon "héros"... Comment est-ce quand on est déterminé de l'extérieur, quand on se voit assigné un destin? J'ai donc essayé d'écrire une histoire négative du développement, montrant non comment on devient ce qu'on est, mais comment on devient ce qu'on n'est pas. Et dans ce projet, la question n'a pas été pour moi celle d'un destin individuel, mais celle de l'absence de destin comme condition de masse (3)". La préfiguration d'une telle condition pouvait déjà se lire sous la plume de l'écrivain Hagop Ochagan évoquant les cohortes de déportés arméniens dans les déserts, lors du génocide de 1915: " Une masse qui remue devant nous, sans corps, sans nom... déchiquetée, vieillie, chassée de son centre, de son pays, de sa religion ", " La catastrophe est infinie, mais étrangement uniforme (4)".

Ceux qui finissent par survivre à de tels événements dépouillant les êtres de toute identité singulière en sont évidemment réduits à se protéger plus ou moins dans ce contenant que leur offre le silence de leurs morts. Leurs descendants par contre se voient nécessairement contraints au destin de devoir être leur porte-parole, le traducteur en somme de ces " vibrations " ancestrales que sait nous rappeler Michelet: " Les âmes de nos pères vibrent encore en nous pour des douleurs oubliées, à peu près comme le blessé souffre à la main qu'il n'a plus (5) ". Avant d'examiner le statut d'un tel type d'écriture par délégation où il s'agit d'offir, aux " âmes " du passé, de quoi abriter leurs " douleurs " à ne pas " oublier ", je partirai d'une " écriture de soi ", simple messagère d'une autre, où, afin de présenter un manuscrit paternel je rapporte les effets de cet acte terroriste qui a marqué le départ de mon intérêt pour l'écriture, différée d'une génération, d'un "soi" précisément en défaut:

J'avais dû prendre, seule et dans une épouvantable angoisse, la décision d'une double transgression en publiant le Journal de déportation de mon père, d'abord en 1982 dans les Temps modernes, puis en 1990 dans un recueil (6) qui, en tant que linceul inhumant ce corps hétérogène en souffrance, le désignait ainsi comme noyau et référence de son environnement textuel. Pour une fille, élevée de surcroît sous le poids des traditions orientales, cet acte représentait une transgression du respect filial dû aux corps des ancêtres assassinés dans le silence du monde, mais une transgression aussi vis à vis de l'ordre public, puisque j'affichais par là mon entière approbation à un acte terroriste qui, me semblait-il, aurait secrètement réjoui mon père s'il avait été encore en vie. L'inversion, que j'opérais dans le titre à donner à cette publication: " Terrorisme d'un génocide ", reliait la violence de mon acte à celle qui l'avait induite et j'écrivais:

" Le Journal que mon père rédigea probablement peu après son arrivée en France en 1921, relate des événements qu'il a vécus de sa quatorzième à sa vingtième année. De son vivant je connaissais l'existence de ce document sans avoir jamais voulu le voir. Il était irrecevable, je n'osais l'approcher, comme si cette bombe avait pu exploser entre mes mains. C'est seulement huit ans après sa mort, en 1978, que je me sentis en mesure de l'affronter et le fis traduire [...] Je retrouve dans ces pages une partie des récits qui ont peuplé mon enfance et celle de tous les Arméniens de mon âge [...] Je n'ai pu affronter la honte de devoir assumer cette publication [...] qu'après l'effraction violente, par le premier acte "terroriste"... spectaculaire, du silence de l'opinion publique sur le génocide des Arméniens [...] Sans la détermination désespérée que des Arméniens vivants osaient scandaleusement proclamer, j'aurais ressenti ma démarche comme une profanation des morts. Qu'en est-il d'une parole qui ne peut s'inaugurer que d'une violence? Si un champ symbolique ne s'ouvre que par un "terrorisme", c'est donc que les "terroristes" qui se sacrifient afin que les autres pensent, ressentent dans leur propre corps la terreur qui a précisément englouti la pensée des autres en même temps que la dignité de leurs pères (7)".

C'est peu à peu que je pris alors conscience de ce qui, sans doute, déterminait mes propres tentatives d'écriture: Comme ce Journal traumatique et néanmoins fondateur constituait un corpus intouchable exposant le corps traqué d'un père-adolescent, il me fallait nécessairement en déplacer et médiatiser la lecture. Il s'instituait, à mon insu, en paradigme d'une réception d'autres figures parentales non advenues à leur propre parole, telles que les convoquent certains textes, entre autres, de Michael Arlen, Martin Melkonian, Eva Thomas, Annie Ernaux, Albert Camus, Pierre Pachet, Peter Handke (8). L'arrière-fond historique de mon cas personnel n'étant bien sûr à prendre qu'à titre d'exemple pour les situations semblables relevant d'autres histoires catastrophiques, le témoignage de différents descendants-scripteurs induisait en moi la même injonction à mettre en mots leur réception douloureuse, afin d'abolir l'acuité d'une lecture trop à vif, afin de réduire par la répétition l'emprise du texte primordial interdit, lui, de tout commentaire.

En écho à l'événement moteur doublement transgressif de ma démarche - la violence d'un acte terroriste induisant celle d'une écriture - j'aimerais interroger cette violence, à l'oeuvre dans le champ transférentiel de la lecture/écriture, qui donne à lire, dans le texte de l'autre, ce qui en était forclos ou encore qui tente de symboliser par le travail d'inscription de l'écrivain-héritier le " non advenu à soi " de ses parents ou de sa famille d'appartenance. Il faut bien sûr préciser ici qu'il n'est nul besoin, de nos jours, d'invoquer une quelconque " appartenance " à une extermination donnée pour se sentir impliqué dans tel ou tel héritage des détresses anonymes de notre vingtième siècle. La psychanalyse nous apprend, comme le rappelle Kaës, que " rien ne peut être aboli qui n'apparaisse, quelques générations après [...] comme signe même de ce qui n'a pu être transmis dans l'ordre symbolique [...] La lettre parvient toujours à son destinataire même s'il n'a pas été constitué comme tel par le destinateur: la trace suit son chemin à travers les autres jusqu'à ce qu'un destinataire se reconnaisse comme tel (9). " De plus, tout contemporain, qui ne cherche pas à fuir dans le déni, professera avec Dionys Mascolo retrouvant son ami Antelme au retour des camps : " Il nous était impossible, après ce qui s'était dit, ce qui s'était su là, de recommencer à vivre de la vie d'avant [...] sauf à recourir à la dénégation. Le seul désaveu [...] d'une humanité capable de donner lieu à CELA eût été le suicide (10)". L'intervention de Jean Hatzfeld (11), qui va suivre, prouve du reste la dérision des appartenances pour qui reconnaît à cet héritage meurtrier de notre Occident une suprématie accablante.

Peut-il y avoir aujourd'hui une " écriture de soi " qui n'inclut pas le risque (12) de témoigner pour ceux, dont le "soi" a été englouti avant de se constituer et qui, écrasés par l'inconcevable de ce qu'ils ont néanmoins traversé, peuvent certes raconter ce qui est arrivé, mais non exprimer ce qui leur est arrivé à eux? Moyennant quoi, il faut également s'accommoder de la paradoxalité d'un tel héritage qui veut que tout témoignage de survivant ou descendant de survivant ne peut qu'utiliser précisément la langue d'une culture qui a laissé s'accomplir, délibérément ou dans l'impuissance, la destruction dont il veut, en un retour scandaleux, témoigner; culture dont le témoin lui-même partage évidemment les privilèges dès lors qu'il accède aux moyens d'une pensée qui peut se dire et s'écrire. Toute accession à la parole se manifeste essentiellement par la capacité à énoncer le désastre d'en avoir été privé. Cet acte d'énonciation répète paradoxalement la douleur de cette privation, alors même qu'il cherche à inscrire - au sein du langage acquis en dépit et au delà du désastre - l'effondrement qui présida à la naissance du scripteur. Entre la terreur du meurtre et l'affranchissement hors de son emprise il faut donc que se creuse, la plupart du temps dans les générations suivantes, l'interstice d'une fonction symbolisante: la capacité à nommer CELA, à dé-porter l'effraction traumatique de l'histoire dans le champ de la représentation, dans le registre des mots. Performance linguistique, compétence psychique, effets historico/politiques relèvent d'une même émergence.

Cette priorité s'est exprimée dès les dévastations de la Grande Guerre. Elle s'imposa à Albert Camus, orphelin d'un père " mort pour la patrie " et unique soutien d'une mère profondément indigente et analphabète. Né d'une " famille, qui ne savait même pas lire (13)", il se proposait, par son roman autobiographique, d'" arracher cette famille pauvre, au destin des pauvres qui est de disparaître de l'histoire sans laisser de traces. Les muets. (14) ". Lors de la réception du prix Nobel il assigna aux écrivains cette tâche impérieuse: " Nous autres écrivains du vingtième siècle [...] devons savoir [...] que notre seule justification [...] est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire (15)".

Celui qui écrit en héritier d'un " soi " effondré dans la continuité générationnelle de sa famille ou de son univers historico-politique par exterminations, persécutions politiques, oppressions économique ou coloniale, est donc mis en demeure, afin de se situer et se constituer lui-même, de symboliser par son écriture et d'inscrire dans son corps social cette rupture violente qu'agit répétitivement la lacune d'un " soi " en dette, trouant l'histoire de son patrimoine culturel. Dans un des passages - pourtant relativement supportable - de Si c'est un homme, Primo Lévi écrit: " Il est indéniable qu'un homme épuisé, nu ou sans chaussures, pense et sent différemment (16)". C'est cet homme, rendu irréversiblement " différent " de nous qui en sommes pourtant les héritiers, que, s'il a survécu, l'écrivain-légataire porte encrypté en lui, faute de pouvoir s'identifier à lui. Aussi est-il condamné, non pas à le réparer - cela est désormais impossible - mais à le remettre dans la circulation mémorielle du monde, tel quel, c'est à dire en tant que défiant notre impuissance même à comprendre son mode de " penser et de sentir ". Ce passeur d'un " non-soi " incorporé mais inassimilable a pour seul mérite de transmettre quelque peu la violence d'une mutation dans l'héritage psychique des êtres, celle qui leur fait porter, enclavés en eux, des ascendants aux expériences, non pas " indicibles ", mais inhabitables.

Au départ de l'histoire générationnelle de l'écrivain ou de celle de son affiliation historique il y a ce " drame catastrophique, [qui] reste... en défaut d'énoncé et d'abord de représentation, parce que les lieux et les fonctions psychiques et transsubjectives où il pourrait se constituer et se signifier ont été abolis; leur disparition est en soi un surplus traumatique (17)". La métabolisation du matériau psychique en souffrance que l'écriture dépositaire va alors opérer peut se concevoir selon deux axes:

Le premier axe se déploie dans la dimension temporelle de la vie psychique transgénérationelle. J'en relèverai ici rapidement quelques aspects pour les avoir déjà étudiés ailleurs (18):

* Pour l'écrivant-témoignant, l'écriture de soi passe par l'inscription de l'autre resté muet, dont il se déclare assumer l'héritage: " La parole de mon père mort demandait à parler par moi, écrit Pierre Pachet, comme elle n'avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. Elle me niait, me demandait mon aide pour se consacrer à elle-même [...] (19)".

* Cette inscription après-coup de la rupture historique et culturelle dans son ascendance, lui permet de s'inscrire, doté d'une place spécifique, dans la continuité des générations et de son héritage. L'expertise du sinistre fait de cet écrivain-greffier, père des mots, un héritier bénéficiaire des choses: " J'avais cette voix en tête. J'ai cru et voulu l'avoir. Je me suis accroché à cette illusion pour la transformer en projet... J'ai voulu être l'héritier (20)" .

* Ce procès verbal des vécus traumatiques parentaux en attente de psychisation extrait l'héritier-transcripteur d'une collusion mélancolique avec une origine non advenue à l'existence et à la parole. Il l'en dissocie, le différencie d'elle et en dégage pour lui, hors de la proximité incestuelle, une histoire désormais à " soi ": " J'ai voulu [...], déclare Pachet, non seulement donner mythologiquement naissance à mon père en le faisant sortir de mon cerveau et de ma voix mentale, mais me donner une voix d'écrivain à ses dépens [...] Ce faisant je m'engendrais au moins virtuellement comme écrivain [...] (21)". Dans le cas emblématique de cette Autobiographie de mon père, la mise en oeuvre de la fusion-défusion du lien filial recourt à la fiction d'une délégation grâce à laquelle l'auteur du récit Pierre Pachet, prête son pouvoir d'énonciation à l'auteur de ses jours, Simkha Apatchevsky.

* Les procédures de cette dissociation qui réinsère l'héritier dans une généalogie symboliquement restaurée créent, de ce fait, trois types d'innovation: elles instaurent un autre espace temps pour le trauma, une médiation entre l'objet traumatisant et les générations persécutées, une relation triangulaire entre soi, les ascendants et le monde: Devenant le scribe des mutiques qu'il porte en lui l'héritier écrivain raconte leur histoire et, ce faisant, l'Histoire du monde qui les a rendus muets: " Il y avait un mystère chez cet homme [...] Mais finalement il n'y avait que le mystère de la pauvreté qui fait les êtres sans nom et sans passé, qui les fait rentrer dans l'immense cohue des morts sans nom [...] sur la terre de l'oubli (22)". Il introduit une instance tierce, manquante au départ de sa propre naissance, non seulement entre lui et son parent, mais aussi entre le scandale de sa vie et le monde.

Le second axe selon lequel l'écriture dépositaire effectue une métabolisation du matériau traumatique parental se déploie en quelque sorte dans la dimension spatiale interpsychique. Le " non advenu à soi " des survivants qui pourtant ont enfanté induit, pour reprendre les termes de René Kaës, "  la nécessité de transférer-transmettre dans un autre appareil psychique ce qui ne peut être maintenu et hébergé chez le sujet lui-même (23)". Mis au service de cet hébergement, l'écrivain postulant à l'héritage se propose de combler la lacune d'une parole absente dans les relations de parenté. Il s'institue ainsi parent de ses ascendants ou encore il leur propose, à rebours des générations, ces éléments alpha de la fonction maternelle de transformation selon Bion (24), afin de convertir les éléments persécutifs béta, jamais recueillis dans le lieu et le temps de leur survie sourdement menacée. N'ayant pas eu de parents répondants pour lui - puisqu'eux-mêmes n'en ont pas eus, tout comme ils n'ont pas eu d'enfance - il leur fait don, par son écriture, et ce pour sa propre subjectivation en retour, d'une parentalité psychique susceptible de recréer les illusions protectrices d'une enfance manquante, chez eux tout comme chez lui.

En analogie au rôle contre-transférentiel de l'analyste (25), décrit par Claude Janin pour les " cures anti-traumatiques ", l'écrivain témoin des " non advenus à eux-mêmes " met à leur disposition un espace transitionnel de médiation en leur prêtant la prothèse, pour ainsi dire, de son propre appareil psychique qui, lui, aura pu se fortifier d'identifications nourricières dans le camp et le temps historiques des nantis du langage. Sa voix devient celle d'un récitant (26) dont la présence rétablit une continuité historique nonobstant l'inacceptable. Si les survivants restent, en effet, souvent rivés au retrait autistique ou à l'hyper-réalité du ressassement et de la pensée opératoire c'est que la violence d'une réalité hors sens a rompu chez eux la continuité transitionnelle entre la réalité factuelle et la réalité psychique.

Seul cet autre-familier qu'est leur héritier, peut alors apporter, avec l'enveloppe de son écrit, un contenant psychique aux faits qu'ils ont vécus. De même que la pensée d'un " objet à sauver (27)" soutient les opprimés dans l'abjection, de même c'est ici le "holding (28)" de l'écriture, substitut d'un holding absent en son temps, qui interpose après-coup un biface remettant en tension la réalité matérielle et la réalité psychique. Il " retransitionnalise " la parole d'" un soi " dénué d'assignataire, l'historicise par cet avènement dans l'ordre métaphorique du discours.

L'écriture du descendant représente ainsi un processus de liaison et de conversion des faits, naguère inassimilables pour les siens, en événements historiques advenant à quelqu'un, c'est à dire à lui et aux autres. La partition réalité matérielle/réalité psychique et le déni de l'un des deux pans du clivage, théorisé par Ferenczi (29) en tant qu'" autotomie ", se voient ainsi annulés. Alors que les récits des survivants, incapables d'assumer la réalité psychique de ce qu'ils racontent, restituent la seule réalité matérielle des faits, le traducteur du "non soi", défiant une conception "positiviste" de l'Histoire, opère la secrète violence de les insérer dans un "soi", sa subjectivité et, partant, celle de ses lecteurs. Pour retrouver notre point initial, on pourrait dire qu'il se livre à la tâche non seulement restitutrice mais avant tout créatrice, que Michelet assignait à l'historien: "entendre les mots qui ne furent dits jamais, qui restèrent au fond des coeurs (fouillez le vôtre, ils y sont); [...] faire parler les silences de l'histoire, ces terribles points d'orgue, où elle ne dit plus rien et qui sont justement ses accents les plus tragiques (30)".

Discussion

Anne Roche: Pour amorcer la discussion, je voudrais lancer une ou deux remarques. Vous avez dit que le descendant, le survivant, se faisait en somme, le scribe des mutiques qu'il porte en lui. Ce qui me frappe, c'est que les exemples que vous avez donnés, en partant d'Antelme et de Mascolo, en continuant par une allusion au génocide rwandais et ensuite à Pachet ou Camus dans le désordre, me font penser à des analyses que vous avez consacrées à Annie Ernaux où, justement, on voit qu'un désastre économique, un désastre social, l'enfoncement dans un destin de pauvre peut constituer le même type de trauma et, chez la survivante, le même sentiment de trahison à avoir survécu et à avoir réussi à dire quelque chose.

Janine Altounian: Oui, et d'ailleurs quand on me fait cette remarque, je dis toujours que, précisément, il n'y a absolument pas trahison mais fidélité. Et fidélité subversive, parce qu'il s'agit de mettre dans le langage des nantis du langage un désastre qui n'a pu se dire.

Par rapport à cela, je pense qu'il y a une similitude entre les cas dits d'histoire collective ou catastrophique et ceux de pauvreté où il n'y a jamais pu y avoir de subjectivation. Par exemple, pour prendre le cas de Camus, son père est mort à la guerre, mais sa mère - et le passage que Carine Trévisan nous a cité était particulièrement émouvant - était une personne totalement analphabète, ne connaissant rien du monde.

Public: Vouz employez, au début de votre exposé, le mot de " transgression " dans votre décision de publier le manuscrit de votre père. Pourriez-vous creuser cette notion de transgression parce que n'y a-t-il pas aussi, au contraire, une autre face qui consiste en un devoir, une obligation de faire exister des gens qui n'ont pas pu exister? Par ailleurs, il a été souvent question d'écriture, mais parle-t-on d'écriture ou de publication? Je suis très content de constater que la tranche chronologique dont vous parliez - c'est un manuscrit rédigé dans les années 1920, avez-vous dit -, n'a été publié - c'est très important - qu'en 1978, donc avec cinquante huit ans d'écart...

Janine Altounian: En 1982, à la faveur d'un acte politique.

Public: C'est ce qui a été l'élément déclencheur, comme vous l'avez expliqué. Ma question est double: pourriez-vous préciser d'une part cette idée de transgression que j'avoue mal comprendre parce qu'à l'inverse il était question, ce matin, du devoir des descendants par rapport à leurs ascendants? Où est donc le devoir, où est la transgression? Et, d'autre part, pourriez-vous préciser cette grande différence qu'il y a entre écriture et publication? On sait très bien que l'écrit, à travers la machine éditoriale, passe par beaucoup de filtres, de comités de lecture, etc., et que beaucoup d'écrits peuvent rester privés et ne jamais être publiés. Le fait qu'ils soient publiés ou non publiés est représentatif des représentations mentales du monde éditorial.

Janine Altounian: Je vous remercie pour vos deux questions parce que, précisément, elles se rejoignent. D'abord, j'avais, dans un premier temps, fait traduire ce texte et je ne savais pas que je le publierai. J'avais peur de le publier. Évidemment, c'est une transgression de porter au monde, sur le champ public, la souffrance et l'humiliation des parents. Ça l'est peut-être d'une autre façon pour une fille que pour un garçon. Mais il y a effectivement transgression, parce que, comme on l'a souvent dit, les survivants ne parlent pas beaucoup de ce qu'ils ont vécu, précisément pour ne pas s'exposer à un redoublement du déni. L'enfant a toujours compris cela. Il a compris qu'il fallait respecter le silence des parents.

Donc, la transgression se situe à ce niveau et, justement, ce qui a transformé la transgression en devoir - ou je dirais que le problème de la transgression ne devenait qu'un problème personnel, mais le devoir était là -, c'est quand il y a eu l'ouverture, l'effraction, la déchirure dans le champ politique d'un acte de terrorisme. C'était le premier attentat spectaculaire à Paris en 1981. À ce moment-là, je n'ai pas hésité deux secondes à transgresser et je me suis dit qu'il fallait le publier.

J'ai demandé conseil à Krikor Beledian, qui est dans la salle et qui l'avait traduit. Je lui ai demandé de l'annoter et je l'ai porté aux Temps Modernes. Il n'a été publié, rendu public, que parce que cet événement était un événement d'actualité. À ce moment-là, je m'étayais sur l'histoire du monde où je vivais, Paris, pour trouver là une justification à apporter mon histoire personnelle. De même que, à la limite, aujourd'hui, je m'étaye sur le sujet que j'ai choisi de traiter pour oser l'introduire par un fait personnel. Mais évidemment, écrire et publier sont deux démarches différentes. Oui, il y a un hiatus. Il faut que l'inscription dans le monde existe déjà, me semble-t-il.

Public: Et quel est le rapport de tout cela avec la créativité, avec la possibilité même d'écrire, l'advenue à l'écriture, comme si la mort elle-même, transmise, permettait justement la créativité? Que pensez-vous de cela? Il faudrait que je développe moi-même d'avantage...

Janine Altounian: Je poserais les différents éléments de votre question dans un autre ordre hiérarchique parce que je n'y ai pas fait allusion mais évidemment, cette écriture a été, chez moi, accompagnée d'un travail analytique. C'est à dire qu'il y a au départ, habitation par un héritage mortifère dont on ne peut s'extraire - pour mon cas personnel en tout cas - que par le travail analytique et, à ce moment-là, l'écriture devient une contrainte, c'est à dire qu'elle devient une démarche accompagnatrice du travail analytique pour pouvoir se dissocier de cette affaire. Donc, ce n'est pas la mort qui rendrait possible l'écriture; mais un certain type d'habitation par la mort, qui, accompagné d'un travail psychique, s'il peut se faire, oblige à écrire. Je pense que chaque cas est singulier.

Régine Waintreter: Janine Altounian a souligné, comme d'habitude avec beaucoup de pertinence, quelque chose qui me paraît très important, qui est la violence qui préside à la prise de parole ou à l'écriture de soi et le besoin d'étayage sur ce que Lejeune appelle " l'horizon d'attente ". Il dit: " Il a fallu quelque chose ", de cette façon violente et terroriste de l'acte qui a présidé à cette transgression. Je crois qu'on n'insiste pas assez sur l'aspect transgressif des recueils de témoignages, sur l'aspect transgressif de la prise de parole, de la transmission, et sur l'aspect violent qui préside à cela, ne serait-ce parce que cela vient témoigner d'une violence, de la violence qu'on va se faire à soi, qu'on va faire aux autres, justement autour de ce devoir de mémoire.

Ce que j'entends de très fort de ce qu'a développé Janine Altounian, c'est cette idée que pour pouvoir transmettre cette violence, il va falloir se faire violence à soi, peut-être aux témoins aussi. Dans les recueils de témoignages audiovisuels il y a cet aspect de violence nécessaire qu'on voit très bien dans le film Shoah. Et chez vous aussi quand vous parlez de cet événement personnel inaugural, mais qui inscrit aussi quelque chose de l'horizon d'attente collectif, qui a permis peut-être que vous passiez à cette publication filiale et que vous passiez outre la piété filiale pour vous inscrire dans une piété filiale violente.

Janine Altounian: Pour retourner le compliment, je dirais - puisque l'intervention vient de Régine Waintreter -, que j'aime la notion de risque du témoin, du risque que prends le témoin, que vous développez dans vos écrits.

Je n'ai pas dit au monsieur qui m'a interrogée sur la transgression et la violence: " Mais oui, c'est très transgressif de déranger ses voisins de palier, ses collègues de bureau, ses collègues de traduction, ses collègues psychanalystes en disant: " Vous savez, moi, mes parents... " " Ce n'est pas facile, ça dérange, c'est très embêtant.

Par ailleurs, je pense que ce qui m'a aidée à faire cette transgression - ça peut intéresser les psychanalystes présents-, c'est que lorsque j'ai assisté au meeting qui faisait suite à cet acte terroriste, je me suis dit que mon père aurait été content. Je crois que c'est quelque chose du lien libidinal au père qui a déclenché en moi le courage de transgresser. Mais il est incontestable que ça a été fait à la faveur du fait historique, du fait politique de cette déchirure.

 

 

NOTES
  1. Les deux paragraphes précédents sont extraits de "Quand l'écriture de soi passe violemment par l'inscription de l'ascendant resté muet", version différente de ce travail, publié dans Psychiatrie Française, Écritures (4/01, fév. 2002).
  2. KERTÉSZ (Imre), Être sans destin (écrit dans les années soixante, paru en allemand en 1996), traduit du hongrois, par C. et N. Zaremba, Paris /Arles, éditions Actes Sud, 1998.
  3. " Le vingtième siècle est une machine à liquider permanente ", Entretien d'Imre Kertész avec Gerhard Moser (traduit de l'allemand par Bernard Franco) dans Parler des camps, penser les génocides, textes réunis par Catherine Coquio, Paris, Albin Michel, 1999, p. 90.
  4. OCHAGAN (Hagop), " La littérature arménienne " in Méhian (Temple), Revue arménienne de littérature et d'art, Constantinople, n° 3 et À l'ombre des Cèdres, (1932), Antélias 1984, cité par Krikor Beledian dans " La catastrophe et l'expérience des limites du langage dans la littérature de langue arménienne ", dans Parler des camps, penser les génocides, op. cit., p. 363 et 367. Ochagan, romancier et critique littéraire est né en 1882 à Seuleuze (Empire Ottoman), après avoir échappé à la Catastrophe a vécu à Chypre et Jérusalem. Il est mort en 1948 à Alep. Ses ouvrages non traduits traitent, entre autres de la condition des survivants à la Catastrophe et de la littérature en diaspora.
  5. MICHELET (Jules), L'histoire de France au Moyen Âge, livre VI, chapitre III.
  6. ALTOUNIAN (Janine), " Ouvrez-moi seulement les chemins d'Arménie "/ Un génocide aux déserts de l'inconscient (préface: R. Kaës), Paris, Les Belles Lettres / Confluents psychanalytiques, 1990.
  7. Introduction à " Terrorisme d'un génocide " (traduction, notes et postface de Krikor Beledian, écrivain de langue arménienne, maître de Conférences à l'Institut des langues et civilisations orientales, professeur à la faculté théologique de Lyon), première publication en février 1982 aux Temps Modernes, repris dans Janine Altounian, " Ouvrez-moi seulement les chemins d'Arménie ", op. cit., p. 81-83.
    Voici quelques extraits du Journal " Tout ce que j'ai enduré des années 1915 à 1919 " de Vahram Altounian qui débute ainsi: " Nous sommes partis de Boursa sur un chariot tiré par un boeuf et nous sommes arrivés à Alayout [...] Nous avons mis dix jours. Là nous avons monté notre tente [... ] Quand nous sommes arrivés à Antarin, nous étions harcelés d'un coté par la faim, de l'autre par les saletés. Les chiens déchiquetaient les morts, personne ne les enterrait. Tout alentour sentait mauvais [...] Là nous avons constaté que les gens mangeaient des sauterelles. Des mourants, des morts partout [...] Mon père était très malade [...] bientôt il n'y a plus eu de sauterelles, car tout le monde en avait mangé. Et la déportation n'en finissait pas [...] Ma mère a dit: " Notre malade est très gravement atteint et partira la prochaine fois [...] " Vous osez parler? " a dit un gendarme et il a frappé à la tête de mon père. Ma mère suppliait... qu'on la frappe, elle, et qu'on laisse mon père. Sur ce, le gendarme a frappé ma mère [...] le jour de la mort de mon père, ils ont de nouveau déporté. Ils frappaient notre mère. Nous deux frères, nous pleurions. Nous ne pouvions rien faire, car ils étaient comme une meute de chiens [...] Ma mère: "Nous partirons quand nous aurons enterré le mort ". Ils répliquaient: " Non vous ferez comme les autres" Les autres [...] abandonnaient les morts et la nuit les chacals les dévoraient [...] J'ai pris un flacon de 75 dirhem, je l'ai rempli d'huile de rose et je suis allé voir le chef des gendarmes de la déportation [...] Je lui ai donné le flacon qu'il a accepté. Nous sommes restés encore un jour. Nous avons creusé une fosse et nous avons payé cinq piastres au curé. Ainsi nous avons enterré mon père ".
  8. Voir dans " Ouvrez-moi seulement les chemins d'Arménie ", op. cit. et la seconde partie de La Survivance / Traduire le trauma collectif, (pré- et postfaces: P. Fédida, R. Kaës), Paris, Dunod/Inconscient et culture, 2000, au-delà des témoignages d'Arméniens, Michael Arlen (Embarquement pour l'Ararat), Martin Melkonian (Le Miniaturiste), du poète Sarafian (Le Bois de Vincennes), celui d'Eva Thomas (Le Viol du silence), d'Andromaque évoquant le destin de son fils chez Racine, d'Annie Ernaux (La Place, Une femme, La honte), Semprun (L'écriture ou la vie), Améry (Par-delà le crime et le châtiment), Camus (Le Premier homme), Pachet (Autobiographie de mon père), Handke (Le malheur indifférent).
  9. Le sujet de l'héritage, dans Transmission de la vie psychique entre générations, Dunod, 1993, p. 45.
  10. MASCOLO (Dionys), Autour d'un effort de mémoire, Paris, Maurice Nadeau, 1987, p. 61.
  11. HATZFELD (Jean), Dans le nu de la vie, Récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000.
  12. Cf. WAINTRETER (Régine), " Ouvrir les images/ Les dangers du témoignage " dans Le risque de l'étranger, Soin psychique et politique, Paris, Dunod, 1999.
  13. CAMUS (Albert), L'envers et l'endroit, Paris, Gallimard, 1958, Préface p. 15.
  14. CAMUS (Albert), Le Premier Homme, Paris, Gallimard, 1994, p. 293.
  15. CAMUS (Albert), discours de Suède de décembre 1957, lors de la réception du prix Nobel.
  16. LEVI (Primo), Si c'est un homme, Paris, Julliard, 1987, p. 167.
  17. KAËS (René), Ruptures catastrophiques et travail de la mémoire in Violence d'État et psychanalyse, Paris, Dunod, 1989. p. 178
  18. Cf. La Survivance, op. cit., seconde partie, " Écrire pour inscrire un meurtre muet " notamment: Écrire la rupture réinstaure l'héritage chez Albert Camus, Pierre Pachet; Être en dette d'un texte à ceux qui furent sans " papiers " chez Peter Handke.
  19. PACHET (Pierre), Autobiographie de mon père, Paris, Autrement, 1994, p. 7.
  20. PACHET (Pierre), op. cit., p. 7.
  21. PACHET (Pierre), L'acte d'émigrer, Les Cahiers d'Antigone à Grambois, juillet 94, p. 82.
  22. CAMUS, op. cit., p. 178-180.
  23. KAËS (René), Le sujet de l'héritage, op. cit. p. 8.
  24. BION (Wilfred R.), Aux sources de l'expérience, trad. F. Robert, Paris PUF, 1979.
  25. Pour les concepts concernant la cure comme anti-traumatisme, auxquels se réfère ce développement, cf. l'ouvrage éclairant de Claude JANIN, Figures et destins du traumatisme, Paris, PUF, 1996, en particulier p. 19-24, 89-93.
  26. Cf. id., notamment p. 76: " André Green a, dans une communication personnelle, suggéré que [...] ce qui fait que dans l'analyse, l'inacceptable va devenir acceptable, c'est qu'il y a dans le psychisme un récitant qui va [...] rétablir une continuité, nommer l'inacceptable [...] Il faut [...] beaucoup de temps pour que le récitant, dans le psychisme du patient se mette à parler: l'analyste alors, a pour fonction, lorsque ce récitant est indisponible pour la représentation, d'en être, [...] la doublure. C'est la continuité de cette voix, proposée par le dispositif analytique, qui est, constitutionnellement, anti-traumatique ".
  27. Cf. AMATI-SAS (Silvia), Récupérer la honte in Violence d'État et psychanalyse, op. cit., p. 117.
  28. Cf. WINNICOTT (Donald W.), De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969.
  29. Cf. FERENCZI (Sandor), Journal clinique, Paris, Payot, 1985, 10 mai, 27 et 30 juillet 1932.
  30. MICHELET (Jules), Journal, 30 janvier 1842 (éd. P. Viallaneix, Paris, Flammarion, t. I, p. 377). Je remercie vivement Carine Trévisan pour m'avoir communiqué les références exactes de cette citation à l'occasion d'un échange sur son ouvrage: Les fables du deuil. La Grande Guerre: mort et écriture, Paris, PUF/ Perspectives littéraires, 2001.