Je voudrais ici désigner, dans les
discours sur ce qu'on nomme, en droit, les "génocides",
les effets d'une crise de la connaissance inédite,
qui crée ce qu'on pourrait appeler un régime
d'autorité
paradoxal : une profonde perte d'autorité des
discours accompagnée de sa dénégation.
Ce paradoxe en recèle un autre : l'impatient désir
de vérité que révèle
cette dénégation va de pair avec un effondrement
de l'autorité du réel.
Ce régime d'autorité paradoxal
imputé à une crise non assumée de la
connaissance, coexiste avec tels et tels acquis cognitifs
importants, en particulier en histoire. Mais il résulte à la
fois de la crise d'identité des sciences humaines
aux lendemains du structuralisme, et d'une histoire politique
si monstrueusement mortifère qu'elle a fait s'effriter
définitivement le socle humaniste des Lumières.
Mais cet effondrement n'a pas pour autant fait renoncer à l'une
des dernières productions du scientisme moderne :
l'approche positiviste du "fait". De cet
effondrement, le discours négationniste est
l'image extrême, inversée, dénégatoire
en son positivisme : il est le seul aujourd'hui à se
réclamer du "fait" historique comme d'une
autorité
immédiate. Mais son bavardage est la figure extrême
d'une surdité qui atteint et clive l'ensemble des
discours sur le fait historique, en particulier lorsque celui-ci
relève d'une logique génocidaire.
C'est sur ce point d'effondrement d'autorité
du savoir sur le fait qu'entrent en relation virtuelle le
discours du témoin et celui de l'historien. Mais
lorsqu'il est question de génocide, cette relation
est souvent une non-relation. C'est sans doute même
dans le vide créé
par ce dialogue de sourds que se fabrique l'autorité
normative du juge, chargé d'attester le fait en qualifiant l'acte criminel.
Cette désarticulation des régimes discursifs
- historiographique, juridique, testimonial - affaiblit encore
l'autorité déjà problématique
de chacun : soit qu'un discours croie pouvoir faire autorité
sans en avoir, soit que son autorité virtuelle
se paie d'une absence de pouvoir.
De l'autorité
et du génocide en démocratie
La disparition refusée de l'autorité
joue diversement sur le plan de l'événement
et sur celui des discours. La réalisation d'un génocide
suppose un effondrement des instances d'autorité traditionnelles,
en même temps qu'un projet de refondation d'autorité
impliquant soustraction de corps vivants. Les discours sur
le génocide révèlent un émiettement
des instances d'autorité, qui, vouées chacune
à la persuasion ou à la force, voire à
la violence, montrent par là leur faiblesse. Si l'on
suit en effet les arguments d'Hannah Arendt dans son texte "Qu'est-ce
que l'autorité?"(2), l'usage
de la persuasion dans un discours et l'usage de la force
par un pouvoir montrent qu'ils ne jouissent d'aucune autorité.
Arendt précise aussi dans ce texte que la crise des
formes d'autorité anciennes, la religion et la tradition,
a introduit le doute dans la vie religieuse, mais aussi dans
la vie politique, sur fond de montée des régimes
totalitaires. Or, le doute, et son corollaire le débat,
issus de cette crise de l'autorité traditionnelle,
sont précisément les valeurs qui organisent
les formes d'autorité en régime démocratique.
Celui-ci en effet démultiplie et répartit les
instances de légitimité entre la loi, le droit
et les savoirs, du fait de l'originelle indétermination
du corpus des Droits de l'Homme(3).
L'autorité a donc moins disparu de notre monde qu'elle
ne s'y inscrit d'une manière discontinue, intermittente,
conflictuelle. Mais c'est là la condition d'exercice
même du "litige" et de la "mésentente",
qui, pour reprendre les mots de Jacques Rancière,
sont les modes d'expression politiques propres à la
démocratie(4).
On pourrait donc voir dans cet éclatement
de l'autorité le signe même de l'ère
démocratique. Mais cette indétermination fondatrice
engendre à
la fois des contradictions régulatrices et des clivages
désastreux, dont les effets chroniques sont à
saisir comme symptomatologie politique et culturelle ou épistémique.
Au sein des vieilles nations démocratiques, qui sont
aussi les puissances occidentales, et tout particulièrement
dans le pays natal des "Droits de l'Homme", l'état
des discours sur les faits historiques révèle
un ferme cloisonnement en droit des instances de légimité,
et en fait un brouillage de leurs frontières : entre
le discours de l'Etat, celui des juristes, celui des savants,
celui des victimes et des témoins. L'autorité
spécifique de la science de l'histoire passe par le
doute et la preuve. Celle de la démocratie passe par
les Droits de l'homme. Or, le savoir historien est mis à l'épreuve
comme jamais par la réalisation d'un génocide,
qui montre aussi que la figure sacrée de l'homme n'a
aucune autorité de fait. Or, il arrive que la dénégation
de cette double mise à l'épreuve, au nom de
l'infaillibilité
des dogmes démocratiques, coïncide avec un déni
portant sur le fait lui-même, donnant au doute
et au débat une fonction perverse. Avec lui, c'est
donc le fonctionnement de la démocratie dans son ensemble
qui risque de s'installer dans une structure perverse. Celle-ci
se manifeste à répétition, par exemple,
lorsque l'Etat - en particulier français - est sommé
de faire reconnaître le génocide arménien,
ou de ne pas autoriser son déni.
On a vu plus que jamais cette dernière
décennie le régime du débat recouvrir
de son bruit des actes qui, loin des valeurs égalitaires
idéalement fondatrices du débat démocratique,
relèvent au contraire de logiques raciales, déshumanisantes,
dominatrices et exterminatrices. Le comportement politique
de certains Etats-nations (Turquie, Serbie, Algérie...)
mais aussi celui, chronique, des membres du Conseil de sécurité
de l'ONU, qui orchestrent les débats mondiaux en haut-lieu,
ont montré (au Kurdistan, en Bosnie, au Rwanda...)
que le siège des grands débats était
celui de grandes décisions : celle du laissez-faire
le pire. On sait depuis longtemps que le sigle des Républiques
ne garantit aucun comportement démocratique, au sens
d'égalitaire. Mais le clivage à l'oeuvre là
où s'organisent à la fois le débat égalitaire,
la mise en doute du réel lorsqu'il est le pire, et
le laissez-faire-le-génocide, avec ou sans intervention
humanitaire, mérite d'être regardé de
plus près. La régulation des discours peut être
analysée comme un jeu de rôle fonctionnel au
sein d'un processus de décomposition d'autorité dont
la normalité cache une forme perverse. L'utilisation
pseudoscientifique et démocratique du débat et
du doute en matière de réalité
historique, en vue de nier la réalité d'un
génocide, de désamorcer la violence de ses
attestations, ou de brouiller sa perception, en est une des
banales manifestations, parfois solidement installées
dans nos institutions.
Comprendre et critiquer l'autorité que
se prêtent ou se donnent les discours sur les faits,
c'est mesurer leur pertinence véridictionnelle au
degré
d'élaboration du rapport établi par chacun
entre la conscience de sa propre fragilité auctoriale
et la réponse qu'il tente de donner pourtant à la
perte d'autorité du réel historique. Parler
de pertinence, c'est supposer que la tension qui existe entre
un désir de "vérité" et la
problématicité
du "fait" - sachant que ces mots ne sauraient être
synonymes, - peut aider à la compréhension
du phénomène génocidaire.
Il s'agit donc ici de comparer les processus
de véridiction et de validation des faits en mettant
en présence le discours de l'historien, celui du juge
et celui du témoin, interprétés en termes
de dispositifs d'autorité diversement défaillants,
et appelés pour cette raison à s'entendre l'un
l'autre. J'aborderai donc la question posée par les
trois mots du titre du colloque, "histoire, vérité,
justice", en faisant peser la réflexion sur la
notion centrale. Cherchant le rapport entre la validation
d'un "fait", l'établissement d'une "vérité" et
le jugement d'un "crime", je porterai mon attention
sur deux formes véridictionnelles, le témoignage et
la preuve, qui, diversement mobilises par l'historiographie,
le droit et la littérature, semblent structurellement
vouées à une inintelligilité
réciproque. Les effets de cette structure aliénante
sont si destructeurs, sur le plan à la fois intellectuel,
politique, et humain, qu'il vaut sans doute la peine de tenter
de la comprendre.
Il n'y a aucune raison que l'activité
de connaître, celle de comprendre et celle de juger
puissent ici s'exercer sans heurt, ni sans s'interroger sur
la manière dont cet exercice se déroule dans
le champ voisin. Mais en l'état actuel des choses,
ce voisinage est la plupart du temps polémique, voire
nul en termes de production de la pensée, et pervers
en termes de connaissance des faits eux-mêmes. A l'émiettement
des instances d'autorité, nées de la discontinuité des
champs, s'ajoutent les confusions nées du continuum éthique
et politique qui les traverse, c'est-à-dire de la
subjectivité
qui connaît, comprend et juge. Or, si le sujet peut
et doit changer de forme selon le champ où il se manifeste,
il ne saurait s'éliminer sans catastrophe, ou sans
retour d'un refoulé majeur. C'est ce qui a lieu lorsque
ce continuum
éthico-politique n'existe que dans le vide d'une abstraction
morale non articulée au travail cognitif. Ce vide
touche alors de plein fouet la teneur véridictionnelle
du témoignage comme discours d'un sujet, qui devient
l'impensé de l'historien rivé à sa demande
de preuve objective. Là, pourtant, où la pertinence
de "l'objectivité"
montre ses limites, dès lors que la violence politique
à connaître se présente aussi comme crime
à juger, série d'actes qui, s'inscrivant dans
le temps par une chaîne de causalités, transcendent
l'histoire en leur sens, et doivent tout à la fois être
expliqués et refusés.
Crise de la connaissance
et utopie de la pensée : nihilisme et témoignage
Dès lors qu'on mise à la fois
sur l'acquisition de connaissances historiques, et sur le
maintien d'une pensée critique(5),
cette situation de crise rend nécessaire un travail
réflexif, qui suppose une distinction entre penser et connaître :
entre d'une part la recherche d'un régime de rationalité
capable de produire une critique des sciences et des pouvoirs
impliqués dans la production des violences d'Etat,
et d'autre part un corpus progressif de contenus cognitifs
nécessaires, mais dont les cloisonnements, issus des
processus historiques liés à la crise d'autorité en
question, peuvent être à la fois productifs
sur le plan du savoir et, en l'absence de tout effort d'articulation,
contreproductifs sur le plan de la pensée.
Postuler qu'un travail de pensée
est possible en l'absence de tout fondement d'autorité,
c'est, si l'on veut, s'inscrire dans un horizon utopique
hérité, en son mode critique, de l'Ecole de
Francfort. S'ajoute ici
à ce parti-pris un double présupposé singulier,
qui veut que, d'une part, l'étude des textes littéraires
soit l'angle d'attaque privilégié d'une théorie
critique, et que d'autre part, les textes de rescapés
d'expériences concentrationnaires et génocidaires
aient une capacité véridictionnelle et un statut
éthique particuliers. La teneur utopique du propos, épistémologique
et politique à la fois, tient dans le crédit
critique fait au témoignage comme pensée
négative de l'humain et du politique, en ceci
même précieuse
à faire entendre dans l'espace public, autrement que
comme pathos culturel à la mode dans le marché
des expériences limites, point sur le i littéraire
de l'actuelle idéologie du spectacle, laquelle tend à montrer la
catastrophe humanitaire comme signe du siècle(6).
A contrario de cette signalétique culturelle, le témoignage
est à envisager, non comme manifestation de mémoire,
selon la formule consacrée, mais comme activité
de pensée appliquée à une compréhension de
l'inhumain comme production politique et humaine. Cette activité,
issue d'une connaissance interne à l'événement,
qui retranche le témoin de l'humanité ordinaire,
y compris dans sa manière de penser et parler, nécessite
un dispositif critique sui generis, en particulier
lorsqu'il devient littéraire.
Le témoignage tend à se constituer
en autorité, à tort ou à raison, dans
trois registres voisins : celui du droit international, où
il est de plus en plus utilisé pour étayer
les preuves d'un crime contre l'humanité; dans la
philosophie, où le corpus des témoignages littéraires
est de plus en plus constitué en document d'une pensée
du temps; dans l'opinion enfin, où il tend à devenir
un vademecum éthique plus ou moins politisé.
Mais si le témoignage exprime négativement
un véritable potentiel libérateur dans un champ
cognitif marqué par le doute et le besoin de vérité,
c'est qu'il tend à constituer l'expérience
subjective en autorité. Sa traduction critique revient
donc à
poser la question des formes de subjectivité assumables
aujourd'hui par la connaissance et la pensée. Ce crédit
véridictionnel fait au témoignage, qui explique
le statut philosophique de plus en plus souvent prêté
aux témoignages littéraires, supposent que
l'expérience vécue, ici la tentative de subjectivation
verbale d'une
épreuve en tout point désintégrante,
soit une voie d'accès décisive au sens d'une
destruction qui vise l'intimité et la parole aussi
bien que le corps des individus annulés. L'événement
dont il faut témoigner impliquant parole détruite
et mémoire interdite, cette pensée testimoniale
suppose la création d'une forme de transmission
paradoxale. Celle-ci met nécessairement en cause
les opérateurs de transmissibilité hérités,
propres à tout édifice culturel consacré,
et ébranle en tout premier lieu les discours du savoir.
On mesure mieux ainsi pourquoi ce propos
devrait s'intégrer dans une réflexion plus
large sur l'actuelle disparition de l'autorité,
laquelle mènerait une critique du nihilisme suivant
deux axes différents : le premier serait une critique
des formes politiques du nihilisme actuel, parmi lesquelles
le double spectre des idéologies raciales et des pratiques
biopolitiques propres aux Etats-nations modernes, de l'extermination
planifiée à l'activisme humanitaire; l'autre
axe serait une opération de "sauvetage"
critique - au sens où l'entendait Walter Benjamin
- des traditions littéraires et philosophiques du
nihilisme, donc une réflexion sur l'héritage
culturel et la transmission critique, et sur l'épreuve
spécifique, d'issue incertaine, que constituent "l'héritage" et
la
"transmission" d'un génocide(7).
Le coeur politique de cette utopie gît
dans le fait que le témoignage littéraire semble
pouvoir indiquer à la pensée critique l'élaboration
d'un modèle d'autorité sans pouvoir (8).
Ce modèle utopique singulier, indicateur d'un après-nihilisme,
passe par une énonciation individuelle sourdement
politique : si elle traverse tous les discours politiques
constitués, c'est que le témoignage du rescapé lui
fait traverser la destruction de toute politique, et que
cette destruction dicible n'est ni vivable, ni humaine. Cette énonciation,
celle à la fois du témoin et celle de l'auteur,
serait "garante" d'une réalité vécue dans
l'ordre de l'inhumain, et d'une forme de vie humaine à
vivre et à dire, assumée sous
le signe d'une "vérité" singulière,
issue d'une expérience radicale, et en ceci philosophiquement
pertinente. Elle garantirait ainsi non pas seulement la
réalité
d'un événement vécu, mais la recherche
de son sens comme tâche verbale et par là humaine.
Ce qui suppose que la philosophie, dans le domaine qui nous
occupe, se constitue forcément sur un mode éthique
en attribuant une valeur potentiellement politique à
l'énonciation.
La lecture des témoignages fait à
tout moment reconnaître que le statut éthique
de cette vérité, à la fois évident
et indéfini, est profondément lié au
sort fait au langage comme signe vacillant d'humanité
ou d'inhumanité(9). L'humanité d'une
pensée dépend toujours du traitement réservé par
chacun à son propre langage. Cela est plus vrai encore,
sans doute, lorsqu'il s'agit de penser une violence qui menace
la vie même du langage comme vecteur d'humanité.
C'est pourquoi l'humain ici se mesure aussi au traitement
réservé au langage sans pouvoir du rescapé -
en particulier par le politique et par l'historien, c'est-à-dire
par celui qui discute ou décide du fait historique,
et par celui qui discute ou décide de son sens. Je
pose qu'un mauvais traitement ici - à l'égard
du témoin, à l'égard du langage - ne
va pas sans l'autre. Et que maltraiter, dans les deux cas,
signifie à la fois faire taire et instrumentaliser.
A contrario, le témoignage prononcé
et entendu peut donner une prise critique sur le dogme de
l'impensable violence à l'oeuvre dans les crimes
de masse. Lequel, affirmant autoritairement la totalité d'un
non-sens, suppose aussi une violente surdité à ce
qu'est un témoignage, à son mode de pensée
spécifique,
à son désir de sens, à ce qu'il dit
de l'humain lorsqu'il parle de l'inhumain, et de la politique
lorsqu'il parle de la destruction du politique. Cette surdité au
témoin est elle-même un phénomène
politique. Elle semble en tout cas inhérente à
l'exercice du pouvoir étatique, alors que celui-ci,
en sa face la plus sombre, semble chroniquement voué à
produire en masse de nouveaux témoins historiques.
Chaque fois qu'un rescapé s'adresse à un Etat,
fût-ce celui censé le protéger désormais,
un conflit se dessine, imprononçable en son caractère
politique. Car sa seule prononciation possible semble être
la réédition infinie du témoignage.
Et de la surdité.. Si ce conflit reste pour l'essentiel
inaudible, ou inassumable, si la logique étatique
reste structurellement imperméable
à la parole du témoin, c'est qu'elle est perméable
à ce contre quoi il témoigne : la déréalisation,
voire la négation de l'événement destructeur.
Cela suggère aussi qu'il y a incompatibilité structurelle
entre l'autorité du témoin et le
pouvoir d'un Etat. C'est pourquoi - on le voit aujourd'hui
au Rwanda comme on l'a vu différemment plus tôt
en Israël - les rescapés ne sont jamais véritablement
entendus, ni même écoutés, par un gouvernement.
L'autorité
du témoin ne se construit que contre la déréalisation
de l'événement dont se nourrit, entre autres,
la logique étatique. Ces quelques propositions imposent
de s'interroger un moment sur la fragile structure d'autorité du
témoignage, et sur le statut paradoxal du fait dans
l'événement génocidaire. De même
que le témoin du génocide est investi d'une
autorité
sans pouvoir, les faits qui constituent le génocide
comme intention criminelle, se constituent par la négation
programmée de leur sens, le génocide étant
programmé comme non-événement.
Le témoignage
et la preuve
La preuve et le témoignage sont deux
procédures de véridiction dotées d'un
dispositif d'autorité différent, fragile dans
les deux cas. Le témoignage du rescapé construit
une structure d'autorité profondément étrangère
à la demande de preuve propre au discours de l'objectivation
scientifique. L'histoire de la recherche sur les génocides,
et l'analyse des discours qu'ils suscitent, nous apprennent
que rien ne protège la structure d'autorité
de l'argument positiviste contre la pratique du déni. Mais
elle nous apprend aussi que rien ne protège la
structure d'autorité du témoignage contre
la demande de preuve, qui sert parfois au déni.
Mais je voudrais montrer ici que ce cercle
vicieux où s'enferment l'historien et le témoin,
rendu possible par une destructuration complète des
méthodes de validation des faits dans le cas du génocide,
est en partie déjoué, d'une part par l'intervention
juridique, d'autre part par le témoignage littéraire
du rescapé, bien que ces deux modes de subjectivation
soient foncièrement étrangères l'une à
l'autre. Si le témoignage en effet peut faire preuve,
il a d'autres fonctions - psychique, sociale, existentielle
- et d'autres modes d'existence - éthique, politique,
littéraire - qui lui font dépasser la sphère
du droit. Mais tout se passe comme si ce dépassement
ne pouvait réellement avoir lieu si le jugement n'avait
pas lieu d'abord, si donc le fait n'était pas juridiquement
attesté aux yeux de tous et établi comme crime.
C'est alors dans la littérature que le témoignage
est appelé à se dissocier le plus radicalement
de la preuve. Si le jugement n'a pas lieu, si le crime n'est
pas attesté publiquement, le témoignage reste
par force sous l'emprise de la négation, infiniment
appelé
à faire preuve. C'est alors à son propre appel
que la littérature ne peut plus répondre. L'histoire
de la littérature arménienne de la Catastrophe,
réfléchie dans l'oeuvre d'un de ses plus profonds
interprètes, Hagop Ochagan, peut sans doute s'expliquer
ainsi(10).
"Réalité"
et "vérité" d'un génocide
La structure perverse de la "réalité"
génocidaire appelle une "vérité" disant
l'effectivité de la destruction et de sa négation.
C'est le rôle du témoignage que d'affirmer la
réalité
de la destruction telle qu'elle fut vécue de l'intérieur.
Mais la "vérité" qui correspond à cette
réalité, quoique constamment invoquée
par l'historien, le témoin et le juge, n'a aucun caractère
d'évidence ni d'unité.. Elle est même
tout aussi porteuse de malentendus que celle de "mémoire",
d'autant plus que le réinvestissement de l'idée
de vérité semble prendre par surprise une culture
pénétrée de relativisme postmoderniste
- et qu'elle aide ainsi sans doute à se mettre elle-même
au débarras. D'où l'étrange coexistence
actuelle, qui est sans doute un des modes d'expression culturels
du nihilisme aujourd'hui(11), d'un culte
maniériste de la déréalisation lié au
thème de la "fin" - accompagné, en
philosophie, des glissades réflexives de la déconstruction
- et, sur un tout autre versant, du négationnisme
faurissonien, issu d'un positivisme perverti par une intentionalité
raciste. L'événement génocidaire, impensé
par le déconstructionnisme(12),
déconstruit par le négationnisme, appelle un
processus de véridiction complexe, qui engage la pratique
de l'historien, du témoin et du juge, mais aussi,
sur un plan éthique, tous les protagonistes concernés,
c'est-à-dire en toute logique l'espèce humaine.
Or, il appartient
à ce type d'événement de ne produire
aucun consensus, mais bien au contraire un "différend" structurel
- que J.F. Lyotard déclara même indépassable.
Cette "vérité" doit
donc bien
être construite, alors même qu'elle relève
pour certains d'une expérience vécue. Mais
cette expérience est elle-même à construire,
le vécu étant lui aussi clivé : l'expérience du
témoin rescapé étant d'abord celle d'une épreuve sans
fond, elle semble ne se saisir elle-même que dans son
témoignage infini(13). Cette
infinité, qui est le lot propre du rescapé,
ne saurait être partagée par ceux qui ne connaissent
des faits que leur histoire, même s'ils en furent le
témoin visuel. Pour ceux-ci, la vérité de
l'événement,
à supposer qu'elle soit désirée, s'élabore
sur plusieurs registres distincts, selon qu'elle veut être
connue, comprise ou jugée. Elle suppose l'attestation
et l'explication d'une réalité à la
fois négatrice et niée. Les éléments
violents qui l'alimentent sont à la fois collectifs
et privés, voire des plus intimes. Se pencher sur
cette discontinuité véridictionnelle, c'est
prendre la mesure en fait d'un complet chaos des discours.
On peut se demander si, dans cette cacophonie, le témoignage
permet d'entendre entre chose.
A propos du
témoignage
Il faudrait plus de temps et de place pour
analyser de près la structure d'autorité spécifique
du témoignage, qui traverse les registres de la vie
sociale, du droit et de la littérature. Je me contenterai
ici d'évoquer deux ouvrages récents, précieux
à la fois pour ce qu'ils apportent et omettent. L'un
est d'un sociologue, l'autre d'un philosophe. Le premier
est Le Témoin oculaire de Renaud Dulong, le
second est Ce qui reste d'Auschwitz de Giorgio Agamben(14).
Dans le premier, le témoignage est analysé en
termes d'"institution naturelle", fondée
sur un désir de vérité - qui en fait
sa naturalité - et une présupposition de sincérité.
R. Dulong y compare les figures du témoin historique
de la première guerre mondiale et celles des rescapés
des camps, les unes à partir de l'entreprise d'authentification
des témoignages de Norton Cru(15),
les autres à partir du témoignage de Primo
Lévi. Le livre offre une réflexion précise
sur la force et la faiblesse du témoignage, sur la
contradiction entre la nature contraignante ici de la "vérité" et
les exigences du débat d'opinion - il cite alors Hannah
Arendt - et sur les limites ou les impasses de toute entreprise
d'authentification scientifique des témoignages. Il
montre en particulier que le projet de vérification,
ainsi que le libre jeu du débat, qui fait loi en démocratie,
peuvent donner prise au visées négationnistes
: ainsi le travail de Norton Cru, destiné à vérifier
la sincérité des anciens combattants et à
authentifier leur propos pour éviter les récupérations
idéologiques de l'événement, à la
fois bellicistes et pacifistes, a été détourné
au contraire par Rassinier, lui-même ancien déporté
politique, pour nier la réalité des gazages
des Juifs. Ce glissement de terrain montre à la fois
que l'institution du témoignage est à la fois
puissante, du fait d'un désir de vérité qui
s'est exaspéré au contact de la réalité
inimaginable des camps, et absolument impuissante face au
déni.
Le livre faiblit sur deux points importants
: d'une part, il ne prend pas en compte les discours du déni
portant sur les autres génocides que la Shoah. Or,
l'observation de ces discours, qui varient selon les degrés
de reconnaissance de chaque génocide, invalide en
partie la description du témoignage en termes d'"'institution",
et montre qu'elle optimise à l'excès la faculté de
faire consensus sur ces points. D'autre part, alors qu'il
s'appuie sur Primo Lévi, il renonce complètement à
penser la structure propre du témoignage littéraire
: comme si elle ne faisait pas partie de "l'institution" -
ce qui suppose que le témoignage de Lévi puisse être
abstrait de sa littérarité - , ni ne produisait
sa propre structure véridictionnelle. Il faudrait
saisir l'éventuelle parenté qu'il y a entre
ces deux manques, dont dépend sans doute l'assise
de la notion d'institution. Et, sur le versant littéraire,
compléter cette analyse sociologique par un travail
de philologie et de philosophie, qui s'appliquerait à la
complexité
des formes culturelles et poétiques du témoignage
littéraire. Et qui reprendrait et discuterait l'interprétation
épistémocritique que propose Agamben du témoignage
de Lévi.
Le livre d'Agamben vise à préciser
la structure d'énonciation paradoxale du témoignage
d'Auschwitz, qui témoigne de l'intémoignable,
parle pour le "musulman" disparu, devient ainsi
le modèle extrême du sujet éthique, défini
comme coïncidence d'une subjectivation et d'une désubjectivation.
Le témoignage est ainsi désigné dans
son absence de fond, et compris comme seule réponse
adéquate à
la "réalité" d'Auschwitz, elle-même
paradoxale : à cette réalité, qui excède
ses
"éléments factuels", mais apparaît
comme
"la seule chose vraie", et comme telle inoubliable,
correspond une "vérité" inimaginable,
irréductible aux éléments réels
qui la constituent : l'aporie d'Auschwitz, dit Agamben, est "l'aporie
même de la connaissance historique : la non-coïncidence
des faits et de la vérité, du constat et de
la compréhension". Cette aporie de la connaissance
est aggravée par l'insuffisance du droit, qui fait
l'objet d'une disqualification complète. C'est sur
ce point que le livre peut être discuté, pour
des raisons qui n'invalident en rien l'interprétation
de la figure du témoin en modèle du sujet éthique,
c'est-à-dire l'essentiel du livre. Mais le renvoi
de toute perspective juridique à l'inessentiel n'est
pas nécessaire pour penser le témoignage, y
compris littéraire.
"Testis" et "superstes".
Le rescapé et le tiers témoin.
La thèse d'Agamben délimite
l'espace de sa réflexion, c'est-à-dire l'éthique,
en faisant de la "vérité" du droit
et de la justice de simples repoussoirs. Le témoignage
est avec clarté
défini à partir de deux mots latins : testis, qui
vient de testius (de terstis), désigne
le tiers garant entre deux parties dans un litige, et renvoie
à l'acception juridique; superstes désigne
celui qui a traversé un événement de
bout en bout et peut en témoigner. Cette précieuse
distinction permet de spécifier la "vérité"
du rescapé, comme objet d'un savoir abyssal, sans
fond, qui n'a effectivement plus rien à voir avec
la "chose jugée" par le droit, et qui fait
de son témoignage une tâche infinie : celle
de sa subjectivation. C'est là le sens profond du
titre de Jean Améry, Par-delà
le crime et le châtiment. Mais ce "par-delà"
le droit et la justice est à prendre à la lettre
: il ne signifie pas un "sans" ni un "en-deça".
Au lieu de différencier la sphère du droit
et celle de l'éthique, Agamben les oppose : la "vérité"
du témoin n'aurait aucune consistance juridique, ni
même aucun lien avec la justice. Il cite à l'appui
de sa thèse Primo Levi disant qu'il "parle sans
autorité"(16),
à quoi s'oppose "l'autorité de la chose
jugée", qui montre que le "but ultime du
droit n'est pas de garantir la justice", ni "encore
moins la vérité", mais simplement de juger.
Tandis que l'éthique, définie par Agamben comme
la doctrine de la vie heureuse, est étrangère
à la notion de "responsabilité",
dont l'origine est elle-même juridique.
On pourrait opposer à cette démonstration
plusieurs arguments empiriques : les uns tirés de
l'exercice du droit, les autres de témoignages différents,
qu'ils soient issus d'un même événement,
ou de génocides différents. Là encore,
la prise en compte de témoignages issus de génocides,
qui n'ont pas fait l'objet d'une reconnaissance publique
aboutie, oblige à prendre acte de l'ambiguïté du
rapport que les rescapés peuvent avoir d'une justice
en laquelle, pourtant, ils ne "croient" profondément
pas, mais qu'ils exigent néanmoins. Sur un plan plus
théorique, cloisonner radicalement l'éthique
et le droit, la justice et la vie heureuse, c'est procéder à une
abstraction, qui s'accomplit ici à la faveur d'une
lecture profonde mais sélective de Primo Lévi(17).
D'autre part, cette abstraction est permise par une conception
du droit issue de sa définition archéologique
et de la parabole kafkaïenne - qui réduit par
essence le scénario du procès à l'opération
finale du jugement. Or, les opérations concrètes
qui ont lieu lors de "l'instruction", en particulier
dans les Tribunaux Pénaux Internationaux, sont pourvus
d'effets
à la fois politiques, historiographiques, psychiques
et moraux, dont une théorie du témoignage est
appelée à rendre compte.
Si l'on observe de plus près la réalité
du déroulement de la justice, toute dérisoire
et inconvenante qu'elle soit, ainsi que le propos des rescapés
et de leurs descendants, on voit que l'intervention juridique
du tiers, loin de brouiller les pistes, peut au contraire
permettre au rescapé de témoigner de l'intémoignable,
parce qu'il est ainsi délivré d'une double
tâche : celle de faire preuve, et celle de juger le
crime. Sans cette opération, le rescapé reste
l'otage de son propre sentiment de justice bafouée,
comme Jean Améry l'a très fortement exprimé dans Par-delà
le crime et le châtiment. Et Améry dit
aussi, dans ce texte, n'avoir pu affronter son expérience
de rescapé dans des essais autobiographiques qu'à
la faveur des procès de criminels nazis à Francfort
dans les années 60(18). La difficulté qu'ont
rencontrée les écrivains arméniens pour "mettre
en intrigue" et écrire la Catastrophe, n'a pu
qu'être aggravée par la tradition du déni.
Quelles que soient la part des singularités culturelles,
et les disparités des processus de reconnaissance,
le témoignage littéraire ne peut réellement
se développer que si l'événement a pris
corps devant des tiers.
En d'autres termes, le rescapé ne
saurait se constituer en "superstes" si
la figure tierce du "testis"
n'existe pas aussi. Ce qui est vrai en revanche, c'est que
le superstes n'est pas le testis : le rescapé ne peut être
lui-même le tiers garant, dont le rôle est joué
par tout l'appareil de justice, et par tous les protagonistes
qui forment l'auditoire et le public d'un procès.
Délivré
de la tâche d'instruire les preuves et de juger, le
témoin peut alors se livrer à sa tentative
de compréhension, et énoncer le sens de son
expérience. C'est-à-dire produire tout à la
fois un texte et une pensée politique. De même,
la "vérité" subjective du témoin
ne saurait réellement s'énoncer si la réalité du "fait" et
l'imputation du "crime"
ne sont pas d'abord établies. Le sens d'un génocide
ne saurait s'épuiser dans la justice rendue, ni le
crime
être une affaire classée. Mais lorsque le procès
n'a pas lieu, comme c'est le cas en Russie et au Cambodge,
ou lorsqu'il n'est pas appliqué ni suivi d'effets
politiques, comme en Turquie, l'événement ne
parvient pas lui-même à se constituer. La mémoire
et l'histoire en font les frais toutes deux, celle-ci sous
la forme d'un retard particulier. En l'absence de procès
publics, une masse immense d'informations échappe à l'examen,
y compris du futur historien(19). Le
refus de l'impunité ne met pas fin au désastre
génocidaire. Mais pour le rescapé, l'impunité
rend toute vie heureuse inaccessible, et même inconcevable.
La reconnaissance juridique a pour fonction
limitée de produire une normativité capable
d'attribuer les responsabilités criminelles, et ainsi
de séparer, devant des tiers, les victimes et les
bourreaux. Cette opération, si elle nécessite
et stimule l'activité des historiens, ne se confond
pas avec celle-ci, qui vise l'attestation-explication du
fait, mais qui, dans le cas du génocide, ne suffit
pas à produire cette délivrance du superstes par
le testis, à rendre possible le témoignage
éthique du rescapé, c'est-à-dire aussi,
parfois, la subjectivation littéraire. Il faut donc
plutôt voir le travail des historiens, celui du droit,
et celui du témoignage comme trois activités
absolument distinctes, mais enchaînées l'une à l'autre.
Sans preuve et avec
témoin. Savoir et croyance.
L'historien résiste lui aussi à
cet enchaînement. Plus précisément l'historien
positiviste, qui déclare incompatibles le savoir de
l'historien et le témoignage du rescapé, et
associe sa demande de preuve à une disqualification
du témoignage. Cette association n'a pas la même
portée selon le degré de reconnaissance juridique
de l'événement en question. En revanche, sa
structure est la même à
chaque fois. Elle donne prise à la négation
par son inconscience de l'objet spécifique - le "fait" génocidaire
- dont il faut faire l'histoire.
Les problèmes d'historiographie des
génocides diffèrent de ceux qui se posent à
toute histoire contemporaine, formulés en termes de
manque de distance temporelle et d'objectivité.. L'histoire
de l'Etat criminel relève de l'histoire contemporaine,
mais aussi, sur le plan de la typologie des violences politiques,
d'une actualité à la fois multiforme
et continue. Face à leur vertigineuse accélération,
parallèle à l'évolution du droit international,
le travail de la connaissance ne peut qu'accuser un retard
lui aussi vertigineux, et préciser ses rapports de
voisinage avec deux pratiques : le décryptage de l'information
médiatique et le travail d'instruction des procès.
Mais ce retard s'aggrave du fait de difficultés épistémologiques
particulières. Celles-ci ne s'arrêtent pas à
la question de la distance chronologique et de la périodisation
porteuse d'interprétation. Elles mettent en jeu certains
choix politiques et éthiques effectués (ou
non) à l'intérieur même de processus
cognitifs dont dépend la validation de faits historiques,
par ailleurs susceptibles d'être jugés. Or,
les méthodes traditionnelles de l'historien ne le
préparent pas à
une telle intériorisation éthico-politique,
ni surtout à son explicitation épistémologique.
La question de la subjectivation du discours
historiographique a été posée régulièrement
aux historiens de l'extérieur de leur discipline :
en France, par Foucault, Ricoeur et De Certeau, et aujourd'hui
Rancière(20). Les formules de "processus
de véridiction", de "mise en intrigue",
d'"écriture de l'histoire", voire de "poétique
du savoir", par quoi chacun de ces penseurs invite l'historiographie
à produire une pensée réflexive, et à
interroger la notion de savoir objectif, posent toutes la
question d'une politisation interne à la pratique
historienne qui, si elle n'est pas pensée et assumée
comme telle, ne peut que produire de l'idéologie au
sein de l'institution, c'est-à-dire des pratiques
de pouvoir au sein du savoir. Or, ces questions semblent
en France de plus en plus rabattues par l'historien dans
le champ de la philosophie,
à la faveur du discrédit généralisé
de la théorie, qui frappe les sciences humaines et
plus particulièrement l'histoire depuis la crise des
schémas marxistes. En l'absence d'une telle réflexivité,
le savoir de l'historien se trouve de fait de plus en plus
soumis aux aléas des jeux disciplinaires et institutionnels,
au moment d'articuler une méthode d'approche des événements
génocidaires. Un tel colloque montre peut-être
que ce sont ces événements là qui l'obligent
aujourd'hui à réfléchir ses relations
avec deux autres instances productrices d'un savoir sur les
faits, et dont le rôle est visiblement amené à
croître : d'un côté, le droit international
, de l'autre, le témoignage.
La spécificité épistémologique
essentielle de l'objet historique, dans le cas du génocide,
tient dans le fait que cet événement est nié
en même temps que produit. Dès lors que l'extermination
procède d'une intention génocidaire, visant
l'intégralité
d'une destruction qui doit rester secrète ou improuvable,
ces faits se structurent d'une manière paradoxale,
ou clivée(21). La réalité est
clivée pour ceux-là
même qu'il faut détruire, au prix d'une catastrophe
familiale et intime; mais elle l'est aussi, au prix d'un
aveuglement collectif, pour les tiers témoins ou spectateurs.
L'intention génocidaire fabrique sa propre dénégation
en organisant son secret et en effaçant ses traces.
Il n'est plus besoin de montrer combien cette préoccupation
fut essentielle lors du génocide juif et du génocide
arménien, et de quelle manière, dans ce dernier
cas, elle a été relayée par une politique
de négation officielle pratiquée avec succès
depuis le Traité de Lausanne et le kémalisme
jusqu'aujourd'hui, par l'Etat turc, qui a déclaré récemment
avoir la "conscience tranquille" et menacer la
France de représailles sur les échanges économiques
et sur l'Arménie, si le Sénat mettait à l'ordre
du jour le projet de loi sur la reconnaissance du génocide
arménien(22). Au Rwanda, bien
que le génocide se soit déroulé
à ciel ouvert et aux yeux du monde, la violence du
négationnisme, qui a commencé par la destruction
des listes de victimes dressées dans les préfectures,
et s'est affiné
par la thèse du "double génocide" pour
qualifier les représailles anti-Hutus en ex-Zaïre,
va de pair avec le retour annoncé de nouveaux massacres.
On sait aussi, malgré la transparente menace d'anéantissement
prononcé en ultimatum par Poutine à l'adresse
du peuple Tchétchène, que les camps de filtration,
interdits aux ONG, font l'objet de visites officielles qui
sont des mascarades dignes du voyage d'Herriot dans l'Ukraine
affamée
à mort par Staline en 1932-1933.
Le point d'orgue de cette politique du secret
est la destruction de la preuve, qui se fait dans un monde
dont la modernité s'inscrit sous le signe du savoir
archivé
et de la preuve scientifique. La destruction génocidaire
s'inscrit donc en négatif dans cet "horizon de
l'archive"(23), qu'elle obère
par son opacité calculée, mais qui est ensuite
réaffirmé dans la logique négationniste
qui lui est inhérente. C'est là
un des obstacles les plus fondamentaux que rencontre chaque
processus de connaissance et de reconnaissance, en plus des
jeux d'intérêts politico-économiques,
des blocages idéologiques, et des effets pervers du
comparatisme. Les faits produisent à chaque fois une
réalité
à la fois délirante et réalisée,
niée en même temps qu'effectuée, incroyable
et pensable, un événement programmé
pour n'avoir jamais eu lieu. Pour que ces faits soient connus
et interprétés en termes de génocide,
il faut que l'événement soit envisagé et
conçu comme possible, comme pouvant avoir eu lieu,
et pouvant se répéter. Le travail de la rationalité se
montre ainsi profondément dépendant d'un régime
de croyance particulier, qui fait partie intégrante
de la pensée ici. Cette croyance, appliquée à la
plausibilité du génocide, suppose l'intégration
de cette catégorie juridique comme possible grille
d'explication d'un réel encore inconnu. Or, un tel
régime de croyance semble ne pouvoir se montrer comme
tel au sein de la science des faits qu'est l'histoire, sans
faire brèche dans son édifice méthodologique,
et même dans ses attendus épistémologiques.
Le refus de faire brèche se manifeste souvent comme
une affirmation d'autonomie, fondée sur les requisits
de neutralité et d'objectivité, donc par une
résistance au vocabulaire du droit et au témoignage.
Au pire, la méfiance - a priori justifiée -
envers le vocabulaire juridique vire au refus de valider
l'intention exterminatrice comme élément factuel,
du fait de la preuve impossible. La demande de preuve s'accompagne
d'un refus d'accréditer le témoignage comme
procédure de validation des faits. La résistance
de la science historique à
la croyance au pire fait possible trouve un repoussoir externe
dans le témoignage, qui atteste que le pire a bien
eu lieu. En repoussant a priori toute crédibilité
au témoignage, l'historien va plus loin que le juge,
qui, si l'on en juge l'évolution des Tribunaux Internationaux,
intègre de plus en plus le témoignage parmi
le corpus de ses preuves - de même que, selon les tout
récents statuts de la Cour Pénale Internationale,
il fait participer la victime à la procédure.
Revenons sur le cercle vicieux que produit
la demande de preuve adressée au témoin rescapé.
S'il y a cercle vicieux, et éventuellement déni,
ce n'est pas seulement du fait d'une intention perverse.
Il se produit souvent par le phénomène désigné
plus haut en termes de crise de l'autorité. La structure
d'autorité positiviste se révèle vite
ici dénégatoire : en matière de génocide,
la "preuve" usurpe une autorité que les "faits" envisagés
ne permettent pas de valider, parce qu'ils échappent
dès leur naissance à la structure traditionnelle
de la validation. On voit là se manifester, dans le
registre de l'intellectualité, la pointe destructrice
de l'événement génocidaire, qui ne saurait
s'accomplir sans détruire la structure de toute autorité :
non seulement celle des discours, mais celle de la réalité pourtant
vécue.
L'événement génocidaire,
en sa structure paradoxale, se constitue en amont à la
fois comme un programme d'action et comme un non-événement.
C'est pourquoi son témoignage ne peut jamais se trouver
en amont, chez le criminel, mais uniquement en aval, chez
la victime, qui constitue l'événement comme
tel, au point de rencontre des faits collectifs et de sa
perception subjective. Or, cette rencontre de quelqu'un avec
ce rien qu'est la négation de l'événement
qui l'a pourtant atteint, ne peut être qu'un cataclysme
ou une seconde destruction. La capacité d'inauguration
qui définit un événement historique
se manifeste donc ici négativement, comme perspective
d'anéantissement de certains, aux yeux d'autres non
menacés, ou comme perspective de survie de quelques
uns, aux yeux d'autres non rescapés(24).
Le passage de la survie à la vie suppose une transmission
de la double perspective de l'anéantissement et de
la survie, c'est-à-dire une transmission du sens partageable
de l'événement. Si ce monde multiplie les marques
de l'indifférence, de l'oubli, ou de la marginalisation,
l'effacement de l'événement a lieu une seconde
fois, il se démultiplie et se diffuse dans la trame
du vécu social de telle sorte que cette trame devient
celle d'une nouvelle destruction symbolique : celle des survivants
comme tels.
Réaffirmer la destruction comme événement
impose alors d'ouvrir une brèche et de déchirer
cette trame pour y faire ressurgir la violence des faits
initiaux. C'est pourquoi le témoignage comporte une
portée politique profondément subversive, sans
pour autant pourtant qu'il puisse jamais se constituer en
instance de validation des faits. Le résultat de cette
puissance et de cette faiblesse, c'est que le témoignage
tend à être structurellement disqualifié par
l'historien, lorsque son savoir participe de cette trame
dénégatrice, sans pour autant qu'il y ait négationnisme,
c'est-à-dire constitution d'un corpus militant d'arguments
articulés sur le mode de la rationalité scientifique.
Le silence peut suffire. Lorsqu'il est impossible, lorsque
l'historien est acculé à expliciter sa position
sur un événement qui n'existe pas pour lui
comme tel, c'est-à-dire aussi comme crime imputable à un
Etat, l'expression du déni peut prendre la forme du
doute et de l'indécidabilité
interprétative : ce doute, qui se porte sur l'intention
exterminatrice, se manifeste toujours comme un appel à
la "preuve". Or, le génocide n'est pas un événement
sans témoin, comme on s'est beaucoup complu à
le dire après Shoshana Felman. Le génocide
est au contraire est un événement avec témoin
et sans preuve.
C'est cette structure épistémologique
particulière qu'il nous faut comprendre. C'est elle
qui inflige aux rescapés d'un génocide la situation
folle d'un témoignage forcément infini qui,
quelle que soit sa profondeur et son exactitude, jamais ne
saura faire preuve, c'est-à-dire valider le fait dont
leurs proches ou leurs parents sont morts, et dont ils sont
eux-mêmes traversés. Du moins, cette validation
ne pourra s'effectuer dans le registre de la scientificité historienne
dès lors que celle-ci est axée sur la demande
de preuve.
En d'autres termes, un génocide ne
peut pas relever du seul fait. Il relève de l'événement,
qui suppose un système de subjectivations. Et pour
saisir un événement qui se nie, il faut que
l'historien se retourne sur ses procédures d'affirmation.
Pour que la validation d'un fait génocidaire ait lieu,
il faut que l'historien interroge la relation qu'il établit
entre le fait et sa signification, c'est-à-dire qu'il
mette sa pratique interprétative à l'épreuve
d'un événement dont l'horizon de pensée
est, quels que soient ses déguisements idéologiques,
l'anéantissement pensable et réalisable. Or,
l'historien positiviste semble résister à cette
opération, qui consiste à intégrer consciemment à
son horizon la possibilité d'une pratique politique
aussi radicalement destructrice et autodestructrice qu'un
génocide.
On saisit ici peut-être une des contradictions
internes au nihilisme dès sa naissance au XIXe siècle,
sous le double signe du positivisme et de la mystique : elle
consiste à désirer une destruction qu'on ne
désire pas penser. Le travail de connaissance appliqué à
un génocide doit intégrer la perspective de
l'anéantissement, et diversifier ses niveaux d'analyse
pour en déchiffrer les formes et en organiser la critique:
saisir la destruction génocidaire en tant que telle,
c'est forcément la penser. Si l'événement
n'est pas pensé, il ne peut pas être connu ni
compris. S'il n'est pas d'avance reconnu, au moins comme
hypothèse, il ne pourra jamais
être connu. La saisie et la validation du fait nécessitent
la croyance à ce fait comme possible. L'établissement
de l'événement suppose donc un moment de croyance(25).
On peut même affirmer que l'événement
génocidaire, du fait de sa réalité propre,
se destine
à la croyance en même temps qu'il est promis à
la négation par le doute.
Ainsi, le vocabulaire de scientificité
pris dans la trame dénégatrice peut prendre
le relais de la négation génocidaire en demandant
la preuve de l'intention criminelle, qu'on ne peut pas décisivement
produire. Cette demande de preuve, lorsqu'elle se fait en
temps réel, peut produire alors un négationnisme
en temps réel, dont les effets peuvent être
en tout point dévastateurs. L'historien, qui croit sa
propre science délivrée en droit de toute croyance,
a peu de chance de prendre acte de l'événement
qui nécessite, par excellence, d'être cru pour
être vu. Il risque aussi, au nom du "doute"(26),
de se tromper de part en part sur les faits eux-mêmes.
L'exemple arménien.
Zabel Yessahan, témoin des massacres
de Cilicie en 1909, disait que le savoir des témoins,
s'il était écouté, serait capable d'ébranler
les Etats. Mais elle disait aussi que ces crimes étaient
tellement monstrueux qu'ils ne seraient pas crus(27).
Si la Turquie s'obstine aujourd'hui à nier l'incroyable,
c'est aussi pour pouvoir continuer de détruire les
Kurdes. Zabel Yessahan se refusait, alors qu'elle était écrivain,
à faire de la littérature à partir des
témoignages. Après elle, parce que les crimes
des Jeunes Turcs ne furent pas assez crus ni connus du monde
occidental oublieux de ses marges, ce refus du témoignage
littéraire deviendra vite une impossibilité.
L'histoire arménienne montre a contrario en effet
combien le travail juridique et le travail historiographique,
en fixant l'événement et en validant les faits,
permettent au témoignage de prendre forme éthique
et littéraire, c'est-à-dire de produire une
pensée de l'inhumain qui dépasse le discours
sur les faits et sur les fautes. Une histoire comparée
des littératures issues du génocide arménien
et du génocide juif serait ici d'autant plus parlante
qu'elle s'éclairerait de la comparaison entre deux
historiographies et processus de reconnaissance différents.
Il semble que le déni continu du
génocide arménien ait eu sur le travail de
la réflexion arménienne sur le génocide
deux effets négatifs profondément liés
: d'une part, un retard historiographique, suivie d'une fixation
sur la recherche strictement historienne, privée d'une
réflexion sur les formes subjectives de la mémoire;
d'autre part, une difficulté de la littérature
arménienne elle-même à
se construire en pensée testimoniale et critique de
l'événement. C'est ce que montrent de fait
les tout premiers efforts d'Andonian dans ce domaine, qui
ont pris la forme d'un éloquent dyptique, le tableau
littéraire En ces sombres jours (During these dark
days) et Le Grand crime, qui rassemble les fameux "Documents
Andonian" - les télégrammes des préfectures
ordonnant l'extermination - et des témoignages destinés à faire
preuve. Le premier livre, qui constitue son témoignage
personnel, a été
effacé par le temps, tandis que l'autre a été
réduit aux "Documents Andonian" qui font
l'objet d'une querelle d'authenticité, et sont régulièrement
brandis par l'historiographie négationniste. C'est
cette même difficulté que semble avoir rencontrée,
et cette fois formulée, vingt ans plus tard, l'un
des plus grands écrivains arméniens, Hagop
Ochagan, pour qui pourtant la littérature était
seule apte
à se "mesurer" à l'événement
dans sa portée catastrophique, c'est-à-dire à
le penser : celui-ci, au moment d'achever le dernier pan
de son énorme trilogie romanesque Mnarsotsats,
Les Rescapés, qui devait être consacrée
justement à la déportation, abandonna brutalement
son projet. La critique qu'il fit par ailleurs de l'oeuvre
d'Andonian, ainsi que de la sienne propre, montrent que ce
renoncement à la fiction romanesque était profondément
lié à
la hantise de l'événement non attesté,
comme si aucun roman ne pouvait s'écrire sur cet événement
avant que la multiplicité des témoignages n'ait
été d'abord rassemblée, attestant l'événement
comme tel, et délivrant ainsi l'écrivain de
la tâche de valider les faits, normalement échue à
l'historien et au juge(28).
On voit ainsi combien la possibilité
de témoigner, et de produire une subjectivation à
la fois intime et politique, traversant les espaces privé
et public, comme peut le faire la littérature lorsqu'elle
est éditée et lue, dépend elle-même
du processus de connaissance et de reconnaissance publique,
c'est-à-dire de la validation des faits par l'histoire
et le droit. On pourrait bien sûr expliquer la difficulté
de la littérature arménienne à construire
un témoignage de l'événement par des
raisons culturelles intrinsèques, comme sa relation à
l'idée de nation, et à la nostalgie de la chronique
totalisante, forme narrative inapplicable à l'événement
génocidaire, dès lors que celui-ci était
perçu par les écrivains arméniens comme
une Catastrophe insaisissable, sinon par fragments, car fait
d'une infinité de souffrances et d'une démesure
non totalisable(29).
On voit en tout cas ainsi converger les
effets du déni organisé par l'Etat turc, et
les effets probables de la conjoncture culturelle arménienne
au moment du génocide, liés à la scission
traditionnelle entre littérature écrite et
récit oral : d'un côté la Catastrophe,
avec son nom propre, Aghèt, s'est transmise sous la
forme du récit oral, au sein des familles, parallèlement
aux récits
écrits de témoignage à visée
non littéraire, et en littérature sous la forme
d'une réflexion subtile sur les limites de la littérature,
puis de divers déplacements narratifs soumettant l'événement
au régime de l'allusion; de l'autre côté
le génocide, lui, avec son nom commun, ne s'est tout
simplement pas constitué comme tel, c'est-à-dire
comme événement reconnu par une majorité
d'historiens et par l'opinion(30).
Conclusion sur deux "affaires"
: Wilkomirski et Veinstein.
Je conclurai en mettant en regard, à
titre d'illustration, deux exemples récents d'autorité
usurpée, et inégalement révélée
: l'un dans le registre du témoignage, l'autre dans
celui du savoir historique. Les deux ont partie liée à
un phénomène d'imposture, lié dans le
premier cas à un faux témoignage concernant
la Shoah - "l'affaire Wilkomirski" -, et dans le
deuxième cas à un déni de génocide accompli
par un historien de l'Empire ottoman, concernant cette fois
le génocide arménien - "l'affaire Veinstein".
Les deux ont été médiatisées,
l'une en Europe, l'autre en France, et ont suscité un
scandale qui a mis au jour, avec une lumière crue
et pénible, certains symptômes propres au régime
de la parole publique sur ces questions, révélatrices
d'apories profondes(31).
Wilkomirski est l'auteur d'un livre intitulé Fragments. Une
enfance 1939-1948, qui se donne pour un témoignage
de déportation à Maïdanek, vécu
par un enfant un enfant juif de 4 ans né
à Riga en 1939, violemment séparé de
sa mère mourante, dont il oublie tout ensuite, et
recueilli plus tard par un couple de bourgeois de Zürich.
La révélation de la véritable identité de
Wilkomirski(32), et de la fabrication
de son destin de victime de la Shoah, aidé
par le Centre Amcha en Israël , a eu lieu après
que le livre ait été lu, traduit et salué
comme un chef d'oeuvre bouleversant, primé dans plusieurs
pays. Lors de la parution de l'enquête d'Elena Lappin, L'Homme
qui avait deux têtes (33), une
historienne française de la Shoah, interrogée
sur cette affaire, Annette Wieviorka(34),
insiste à raison sur le fait que l'auteur n'aurait
pu inventer son témoignage si ce travail d'identification
victimaire n'était pas couronné par une culture
de l'événement. Cette affaire, dit-elle, montre
à la fois le degré de malheur d'un homme, et
le
"passage complet de cette histoire dans un imaginaire
collectif". Plus personnellement, elle dit elle-même
avoir d'abord fait l'éloge public du livre, puis,
lors du déclenchement de l'affaire, avoir eu la "conviction
intime" qu'il s'agissait d'un faux. Elle en reconnaît
un indice dans le fait qu'elle n'avait pu citer ce livre
en tant qu'historienne. Si le livre de Wilkomirski, dit-elle,
est incitable pour un historien, c'est qu'il ne répond
pas aux cadres du récits habituels, du fait de ses
atrocités(35). Mais on est aussi
pris de vertige à l'idée de penser ce qu'est
un "cadre" de récit "habituel",
et de se demander si les atrocités racontées
dans le Livre noir, ou dans Un Monde de pierre de
Tadeusz Borowski, correspondent à ces "cadres".
La "conviction intime" révèle sa
fragilité dans son caractère de construction
rétrospective et d'aléatoire, même si
elle nourrit une intuition d'historien qui aboutit
à une position de réserve, salutaire ici.
La journaliste auteur de l'enquête,
elle, avoue sa "fascination"(36)
pour cette histoire de faux, mais ajoute que les éditeurs
auraient dû prendre le temps de "vérifier" le
témoignage. L'argument est juste, mais on se prend
alors à imaginer les historiens "vérifier" Primo
Lévi. Inévitablement, l'ensemble de la littérature
est donc ici a priori potentiellement suspectée
de faux témoignage. Aucune procédure d'évaluation
du discours ne permet de distinguer a priori entre
Wilkomirski et Borowski, entre le faux témoin et le
vrai témoin. Pourtant, entre les deux, il y a un travail
littéraire doté
d'un sens politique et éthique. Le texte de Wilkomirski
n'est pas seulement plein d'invraisemblances, il est truffé
de trucs rhétoriques et de clichés - récemment
analysés par Michaël Rinn, en linguiste et poéticien(37).
Mais la nécessité où se trouve l'historien
de vérifier est étrangère à ce
type d'authentification ou de démystification critiques,
fragiles elles aussi. Car la critique ne vérifie pas
là
des faits, mais, peut-être, tente en partie d'étayer,
là encore, ce qui peut ne relever que de la "conviction
intime" : celle d'un témoignage fabriqué.
L'autre affaire concerne l'élection
de l'ottomaniste Gilles Veinstein au Collège de France,
en 1998, discuté par les membres internes du Collège,
puis dans la presse, avant d'être finalement ratifiée
par l'Etat(38). Trois ans plus tôt,
Veinstein s'était exprimé
publiquement, dans la revue Histoire, pour défendre
son collègue et maître Bernard Lewis, lors de
son procès en 1995(39). Dans
un entretien, il présentait les thèses des
historiographes officiels du régime turc comme travaux
d'historiens sérieux, exprimait son "doute" quant à
la qualification de génocide, et se réclamait
de l'objectivité historique contre la version "mythique"
des victimes arméniennes. Lorsqu'avec la nomination
de Veinstein au Collège de France, l'affaire a éclaté
dans la presse, les protestations contre l'élection
ont pesé moins lourd que la défense, par les
pétitionnaires défenseurs de Veinstein, de
la "liberté d'expression"
et de la "neutralité de l'historien" : la
demande de preuve a donc été autorisée par
une grande partie des institutions scientifiques et étatiques,
puisque l'ottomaniste a été défendu
par la majeure partie de ses collègues, alors même
que chacun s'accordait - à commencer par Veinstein
-
à ne lui reconnaître aucune compétence
d'historien concernant le génocide arménien.
Il ne s'agit ici évidemment pas d'assimiler,
ni même de comparer ces deux types d'imposture, mais
de saisir la fragilité de deux structures d'autorité
- le témoignage littéraire et le savoir historien
- à travers deux symptômes culturels d'altération
du régime de la factualité et de la croyance.
On se trouve, d'un côté, devant un phénomène
de surqualification du témoignage, qui peut
basculer dans la disqualification virtuelle de tout témoignage
littéraire. De l'autre, la disqualification de
tout témoignage se fait sur fond de mésinterprétation
de l'événement et d'ignorance absolue concernant
l'existence même de témoignages littéraires.
Ces deux situations, structurellement distinctes,
renvoient aussi à deux inégaux processus historiques
de reconnaissance. D'une part, un événement
validé, constitué et reconnu, au point d'être
moralement et culturellement sublimé, peut susciter
un témoignage imaginaire, bientôt démasqué,
que l'historien reconnaît alors invérifiable,
donc incitable. D'autre part, un événement
non validé, non reconnu, et non constitué,
rend possible la disqualification scientifique du témoignage,
et le mutisme de tout témoignage littéraire.
Dans un cas, le faux témoignage est rendu possible
par un culte de la mémoire, lui-même dû au
fait que l'événement, la Shoah, a fait l'objet
d'un énorme travail historiographique, et a depuis
longtemps été désigné en droit
comme génocide. Dans l'autre, le déni de génocide
est rendu possible par une mémoire non partagée
et un retard de reconnaissance. L'imposture, dans les deux
cas, a consisté à usurper une autorité
: celle du témoin dans un cas, celle de l'historien
dans l'autre. Dans un cas, l'imposteur a été démasqué,
dans l'autre, le démasquage n'a pu se faire qu'au
prix d'un scandale dans les milieux scientifiques, en particulier
chez les historiens, et d'un débat à la fois
violent sur le plan des revendications corporatistes et institutionnelles,
et consternant quant au fond. Les historiens ont défendu
"l'objectivité" et la "liberté" contre
le fétichisme juridique et les exigences communautaires.
Moyennant quoi, l'enjeu politique du débat, le déni
toujours actif du génocide arménien par l'Etat
turc et ses relais scientifiques dans la turcologie américaine
et française,
était refoulé. Rien, dans ses débats,
n'était de nature à rappeler qu'Andonian n'était
pas seulement l'homme des "Documents", mais un écrivain.
Ou plutôt un homme qui, témoin de la Catastrophe
arménienne, tenta d'être écrivain - en
un tout autre sens que l'homme qui, se voulant écrivain,
s'imagina témoin de Maïdanek.
Cette dissymétrie des impostures
tient aux régimes de reconnaissance et d'intégration
"culturelle" du génocide juif et du génocide
arménien. Mais leur croisement montre que l'aporie
de la connaissance historique, confrontée à la
pensée d'un
événement insensé et sans preuve, tout
comme la fragile autorité sans pouvoir du témoin,
incessamment ramené au sens d'une réalité
qu'il échoue à prouver, font les marques incertaines
de la "vérité" de chaque génocide.
Catherine Coquio.
Maître de conférences en littérature
comparée.
Mars 2000.
NOTES
- Texte prononcé à l'Université
de Sienne au colloque "Soria, Verita, giustizia. I
crimini del XX secol", 16-20 mars 2000. Actes publiés
par Marcello Flores, Paravia Bruno Mondadori Editori, 2001.
Et en français dans la revue PTAH, " Limites-transgressions-politique ",
colloque de l'ARAPS, 11/12, 1999.
- "Qu'est-ce que l'autorité?",
chapitre III de Crise de la culture (Between
Past and Future, 1954), trad. M. C. Brossollet et H.
Pons, Gallimard, 1972, rééd. Folio essais,
1989, pp 121-185.
- Claude Lefort, L'Invention démocratique,
Paris, Fayard, 1981.
- cf Jacques Rancière, La Mésentente.
Poétique et philosophie. Paris, Galilée,
1995. Voir, sur la crise de l'autorité et la démocratie,
et sur l'usage à contretemps de l'autorité du
"sage" par Mitterrand, les analyses du même
dans Aux bords du politique, Paris, La Fabrique,
1998.
- Voir les quelques propositions présentées
dans le recueil collectif Parler des camps, penser les
génocides, textes réunis par C. Coquio,
Paris, Albin-Michel, 1999.
- L'exposition uniformément applaudie
de S. Salgado, "Exodes", montrée à Paris
au printemps 2000, en est un des récents exemples.
- Voir H. Piralian, Génocide et
transmission, Paris, L'Harmattan, 1995.
- Comme le dit limpidement le texte de Robert
Antelme, "L'ange au sourire. Cathédrale de
Reims", dans Robert Antelme. Textes inédits.
Sur "L'Espèce humaine". Essais et témoignages,
Gallimard, 1996.
- Sur ces notions, je renvoie à mon
texte
"Parler des camps, parler au camp. Hurbinek à Babel",
in Parler des camps, penser les génocides, op.
cit. J'ai par ailleurs tenté d'approcher ce
régime singulier de la "vérité" propre
au témoignage littéraire à partir
d'exemples tirés d'Antelme et Chalamov, dans "La
vérité du témoin comme schisme littéraire",
in Les camps et la littérature : une littérature
du XXe siècle, La Licorne, n° dirigé par
D. Moncondhuy et D. Dobbels, pp 57-79.
- Voir sur ce sujet les quelques explications
livrées plus bas, qui ne sont qu'une manière
d'annoncer les ouvrages à paraître de Krikor
Beledian et de Marc Nichanian (en particulier de ce dernier,
en France, Génocide et catastrophe, et aux
USA Writers of disaster).
- Ce point a été analysé
par Jacques Rancière dans 'Les énoncés
de la fin et du rien", in Traversées du
nihilisme, Ed. Osiris, 1993, pp 66-91.
- Comme le montre encore, par exemple, le
commentaire que Jacques Derrida fait de "Pour une
critique de la violence"
de Walter Benjamin, dans Force de loi (Paris, Galilée,
1996), où l'idée de "Solution finale" se
surimpose artificiellement au texte commenté, sans
qu'à
aucun moment la destruction génocidaire - à
quoi le texte de Benjamin, axé sur la violence juridique
et la violence messianique, reste rigoureusement étranger
- ne soit réellement affrontée.
- J'ai présenté cette notion à
propos de Jean Améry, dans "La fin à l'infini
: le témoignage inachevé de Jean Améry",
in C. Andreucci éd., L'Oeuvre inachevée,
PUP, 1999.
- R. Dulong, Le Témoin oculaire.
Les conditions sociales de l'attestation oculaire.Paris,
Editions de l'EHESS, 1998. G. Agamben, Ce qui reste
d'Auschwitz, trad. P. Alfieri, Paris, Payot-Rivages,
1999.
- Jean-Norton Cru, Témoins. Essai
d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités
en français de 1915 à 1928. Presses
universitaires de Nancy, 1993.
- Conversations et entretiens,
Einaudi, 1997, p 23
- Le passage de Naufragés et rescapés consacré à la "zone
grise", où bourreaux et victimes échangent
leurs rôles, est privilégié
par rapport à d'autres, comme celui consacré
au public allemand, ou à d'autres formules, comme
celle où il dit vouloir "comprendre pour pouvoir
juger".
- S'il l'a fait plus tardivement que Primo
Lévi, Robert Antelme, David Rousset ou Tadeusz Borowski,
c'est sans doute parce qu'il lui fallait écrire
un témoignage en allemand, et que l'Allemagne ne
comptait pas assez de tiers dans l'immédiat après-guerre,
malgré
les Procès de Nuremberg.
- Ce qui se passe en Tchétchénie
n'est pas sans lien avec le fait que les témoignages
des camps soviétiques, après quelques années
de discussion au moment de la Perestroïka,
soient devenus lettre morte à l'immense majorité de
la société russe ces dernières années.
- Voir aussi, pour un exposé savoureux
de ces problèmes, le texte de Dominique Franche, "Les
vaseux de Soisson. Faire de l'histoire, raconter des histoires",
in Fiction et connaissance, textes réunis
par C. Coquio et Salado, L'Harmattan, 1998.
- Peu importe qu'on utilise les mots de perversité
ou de schizophrénie pour dire ce clivage, car l'intention
des criminels ne saurait faire l'objet d'une investigation
psychanalytique.
- Déclaration du Ministre d'Etat en
février 2000.
- Voir sur ce point les travaux de Marc Nichanian,
réunis sous le titre Génocide et catastrophe,
à paraître. Tout en rendant accessible en
France le travail du principal historien du génocide
arménien, V.Dadrian, M. Nichanian a produit une
lecture critique méthodique de la littérature
relative au génocide (cf Writers of disaster, à paraître
aux USA), et n'a cessé, dans ses textes critiques,
de désigner comme point névralgique le problème
d'articulation entre le fait d'histoire, le fait de droit,
et la possibilité
même d'élaborer un témoignage réflexif.
Il a montré que le retard de l'historiographie et
l'inaboutissement du processus juridique avaient empêché la
constitution d'une littérature de témoignage,
comme si l'écrivain ne pouvait prendre en charge
cet événement et le penser en créant
les formes nécessaires à
son expression subjective et transmissible, tant que l'événement
ne s'était pas constitué comme tel.
- Cette survie étant aussi celle du
langage, elle peut prendre la forme d'un relais de l'effacement
par l'oubli, le mutisme ou le refoulement, qui sont trois
choses bien différentes, ou au contraire d'un refus
de l'effacement par la remémoration, le témoignage
et la tentative d'intégration de la catastrophe
historique et privée au monde où il est donné au
rescapé de survivre, voire peut-être de vivre.
- C'est en quoi l'idéologie, qui relève
elle aussi d'une croyance constitutive d'un système
de faits, de significations, de valeurs et de contre-valeurs,
empêche parfois de voir cet événement
au moment où il se déroule, c'est-à-dire
dans l'espace logique de son déroulement possible.
C'est pourquoi sans doute une partie des trotskistes français
est allée manifester auprès des nationalistes
serbes au moment de l'offensive aérienne décidée
par l'OTAN, parce que l'anti-impérialisme américain
comme mobile politique et la guerre civile dotée
d'enjeux territoriaux et économiques comme catégorie
explicative ont été plus forts que la croyance
dans la possibilité d'un génocide au Kosovo.
Si la déportation des Kosovars n'a pas abouti à
un génocide, cette perspective était pourtant possible dès
lors qu'une telle radicalisation destructrice avait été réalisée
par le même régime à Srebrenica 4 ans
plus tôt.
- Voir la rhétorique à l'oeuvre
dans le discours de Bernard Lewis ou de Gilles Veinstein
sur le génocide arménien. J'ai abordé la
question du "doute" négationniste et de
la littérature absente à propos de l'affaire
Veinstein (1998) dans
"Inactualité d'une littérature, actualité
d'une négation", in Actualité du
génocide arménien, Actes du colloque
de CDCA, Edipol, 1999.
- Voir sur cet auteur l'essai de Krikor Beledian,
"L'expérience de la catastrophe dans la littérature
arménienne", Revue d'histoire arménienne
contemporaine, Bibliothèque Nubar, T 1, 1995
pp 127-197. Ainsi que le chapitre consacré à cet
auteur dans le livre de M. Nichanian à paraître, Génocide
et catastrophe.
- Voir les explications sur ce point de M.
Nichanian, Ibid, et Writers of disaster, à paraître.
- Il faudrait ici comprendre les effets
d'une modernisation littéraire sui generis, marquée
par les concepts romantiques liés à l'idée
de nation et de totalité, qui ne pouvaient que voler
en éclat au contact des effets d'une autre modernisation,
elle, politique : celle de l'Etat-nation turc en train
de se constituer dans son désir d'unité sans
mélange et d'expansion, qui s'exprima dans les faits
sous la forme de l'extermination, suivie d'un discours
délirant de mythomanie panturquiste, destinée à légitimer
a posteriori l'événement. Cette collision
faucha la littérature arménienne moderne
au moment de sa naissance, et fit que le génocide
ne put être reçu dans une culture privée
d'unité
nationale. Car ce qui restait du peuple arménien
fut forcé à la diaspora, à un moment
où
le matériau poétique se pensait à travers
l'idée d'identité nationale, et commençait
pour cela à surmonter la scission traditionnelle
entre récit oral et chronique épique, en
cherchant
à intégrer ces deux traditions dans des formes
narratives modernes adéquates à la formation
de l'idée moderne de peuple.
L'étrangeté épistémologique
du cas arménien vient du fait qu'au XIXe siècle
le processus de modernisation culturelle fut entièrement
pris en charge par la littérature, mais nullement
par l'histoire, qui ne procéda pas à sa propre
réforme scientifique comme dans les pays voisins
d'Europe. Tandis qu'à la fin du XIXe siècle,
la littérature tentait de prendre le relais de la
chronique historique, qui, dans la tradition écrite
arménienne, tendait
à absorber tous les autres genres littéraires,
le processus de modernisation scientifique de l'histoire
n'avait pas lieu, expliquant en partie le retard historiographique
ultérieur.
- C'est en ce sens que M. Nichanian dit que
le génocide arménien "n'aura pas eu
lieu". Il semble plutôt que ce génocide
commence seulement d'avoir lieu, de se certifier comme événement,
sous l'effet de tels travaux d'historiens, et de tels scandales
institutionnels et initiatives politiques, comme les manifestations
des Arméniens de France en 2000 aux portes du Sénat,
pour protester contre le refus de mettre la reconnaissance
du génocide à l'ordre du jour. Mais les colloques
réalisés sur ce thème continuent à
ne pas parler, ou presque, de littérature, ce qui
serait aujourd'hui inconcevable dans un colloque sur la
Shoah.
- Ces deux affaires ont chacune leur contexte
et leurs enjeux propres, qui concernent à la fois
la vie sociale et le fonctionnement de certaines institutions
: éditoriales et psychiatriques, dans le cas Wilkomirski,
scientifiques et politiques, dans le cas Veinstein. Je
ne fouillerai pas ces enjeux : ces deux affaires ne sont
prises ici que pour confirmer la friabilité spécifique
des concepts d'objectif et de subjectif en de telles matières.
Réfléchir sur ce qui a rendu possible ces
deux impostures publiques, dans un cas la célébration
de la mémoire de l'Holocauste, dans l'autre les
institutions académiques et étatiques françaises,
c'est donc réfléchir à une crise d'autorité
qui ébranle tout à la fois le discours du
témoin et celui de l'historien, alors même
que ces deux discours sont généralement gratifiés
d'une autorité
respective qui les fait entrer en rivalité réciproque.
- En fait, l'auteur est un certain Bruno
Dösseker, né Grosjean, enfant tôt séparé
de sa mère et placé dans un Verdingkinder, centre
où l'on rassemblait en Suisse les orphelins pauvres
ou illégitimes, où ils étaient mis
aux enchères puis placés dans des fermes.
- Elena Lappin, L'Homme qui avait deux
têtes, publié à Londres et traduit
en français par P.E. Dauzat, L'Olivier, 2000.
- "L'affaire Wilkomirski", Libération ,
2 mars 2000.
- A la question sur le fondement de sa conviction
intime, A. Wieviorka répond par les "éléments
qui sont dans le livre d'Elena Lappin", et à des
choses
"plus troublantes", à certaines "scènes
atroces", comme "l'enfant jeté contre
un mur", le "rat qui sort d'un ventre de femme",
scènes "tellement dures que la lecture en est
presque insupportable". Il y a, dit-elle encore, "quelque
chose qui n'est pas si habituel dans les témoignages
de déportés". Ce quelque chose, c'est "cette
monstration du sadisme".
- Les ambiguïtés de la situation
que forment cette histoire éditoriale et ces commentaires
se résument dans le mot "fascination",
qui revient dans la bouche des deux journalistes : l'auteur
du dossier de Libération, Natalie Levisalles,
dit que "cette histoire fascine" parce que la
révélation de l'imposture révèle
aussi une "réelle douleur", et aussi parce
qu'elle montre que "la fascination de notre société pour
la Shoah" assurait à
ce livre un "succès inéluctable".
L'article rappelle celui de l'Oiseau bariolé de
Jerzy Kosinski (1965), roman salué par Elie Wiesel
alors que sa réalité autobiographique était
ça et là mis en doute. E. Lappin se dit avoir
été elle-même fascinée par l'histoire
de ce "faux" témoignage, et avoir voulu "disséquer
l'histoire pour arriver au coeur", c'est-à-dire
non pas une histoire d'Holocauste, mais "l'histoire
d'une enfance suisse dysfonctionnelle" qui a abouti à un
besoin de s'identifier à la "victime ultime".
Elle se dit par ailleurs "étonnée" que
cette aspect suisse n'intéresse personne, et insiste
sur l'histoire des Verdingkinder qui , dit-ellle, est tabou "comme
l'Holocauste a été
tabou pendant des années".
- in Les camps et la littérature,
n° de La Licorne dirigé par D. Doebbels
et D. Moncondhuy, Poitiers, 2000.
- Etant intervenue dans cette polémique,
je reviens sur ses attendus et ses enjeux cachés
dans
"Inactualité d'une littérature, actualité
d'une négation", in Actualité du
génocide arménien, op. cit. Yves
Ternon a présenté
sa propre version de l'affaire dans Du négationnisme.
Histoire et tabou. Paris, 1999.
- Lewis fut condamné symboliquement
pour avoir nui à la mémoire des Arméniens
en occultant les éléments de la thèse
adverses propres à démentir la sienne, qui
consiste
à nier l'intention des Jeunes Turcs d'exterminer
la population arménienne.