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A propos de deux "films-témoins" : Shoah de Claude Lanzmann et S 21 de Rithy Panh

Par Sylvie Rollet, paru dans Temporalité des formes de la sensibilité (dir. J.-L. Déotte), L'Harmattan, coll."Esthétiques", Paris, 2005.

Parler de "films-témoins", à propos de Shoah (1985) et de S 21 (2003) peut s'entendre, d'abord dans un premier sens : ces deux œuvres semblent permettre de penser ce qui constitue l'historicité même du cinéma, ce en quoi "l'appareil" cinématographique fait époque. S'y rencontrent, en effet, à la fois la temporalité de l'après-coup "inventée" par la psychanalyse freudienne ; celle de la "catastrophe", comme modalité de la durée historique rompue, voire arrêtée, catégorie induite par les désastres (à répétition) des génocides au XXe siècle ; enfin, un déplacement de "l'être-ensemble" : à la définition du politique comme "échange de points de vue", la poétique des deux films substitue une "communauté des affects", dessinant la possibilité d'un commun, d'un nouveau "partage du sensible", fondé sur l'entre-passibilité.


Encore faut-il préciser en quoi le projet de ces deux films peut être comparé. L'un et l'autre mettent en scène la parole des survivants et/ou des témoins d'un génocide. L'un et l'autre le font au présent c'est-à-dire non sur le mode du "souvenir" – qui suppose que le passé soit un passé - mais sur celui de la "réminiscence", retour ou revenance d'un passé non inscrit. L'un et l'autre requièrent, pour ce faire, un retour sur les lieux de l'extermination (le centre de détention S 21, situé dans un ancien lycée de Phnom Penh, ou les camps d'extermination nazis situés en Pologne), voire la recomposition mimétique des gestes d'autrefois pour que la parole neuve des témoins puisse naître de l'émotion retrouvée dans la répétition d'une situation, autrefois subie plus que vécue, car dépourvue, à l'époque, de la médiation du langage.


Au-delà des similitudes, toutefois, apparaissent aussi des différences notables. S 21 repose sur la confrontation des survivants à leurs anciens tortionnaires, mais aussi des tortionnaires aux archives du régime khmer rouge. Anciens détenus et gardiens sont donc réunis dans un même lieu, mais surtout dans un cadre qui les relie les uns aux autres, dans un même mouvement de caméra, puisque le film opte pour le plan-séquence et récuse la figure du champ-contrechamp.


Au contraire, Shoah écarte toute archive filmée ou photographique de l'Holocauste et juxtapose des témoignages singuliers, recueillis dans des "espaces scéniques" radicalement hétérogènes car liés à la positions des témoins au moment de l'extermination. Seules les victimes sont donc contraintes au déplacement vers les lieux qui sont doublement les lieux de leur propre disparition, puisque les traces de l'extermination en ont été effacées. Inversement les paysans polonais voisins des camps habitent toujours les villages en bordure des mêmes voies ferrées qui ont vu le passage des trains de déportés. Quant aux anciens nazis, ils sont filmés en caméra cachée, l'écran du moniteur vidéo qui nous sépare d'eux reproduisant la distance technocratique qui les séparait autrefois des victimes.


Le projet de Claude Lanzmann est, par ailleurs, tout entier fondé sur son extériorité qui en fait l'unique passeur entre le spectateur et la parole des témoins, dont il constitue le seul interlocuteur. Tour à tour dans le cadre et hors champ dans son rôle d'interrogateur, il est aussi le narrateur d'un film structuré comme une enquête personnelle. Cette extériorité s'accompagne d'une exclusion de la langue assassinée, le yiddish, tous les témoins survivants ayant à s'exprimer dans une autre langue que la leur (ce qui les oppose, une fois encore, aux Polonais ou aux anciens Nazis), leurs propos nous parvenant de surcroît par le biais d'une opération de traduction (que Lanzmann s'exprime en anglais ou en allemand ou qu'il ait recours à une traductrice du polonais ou de l'hébreu).


Inversement, durant dix ans Rithy Panh a formé un groupe de techniciens cambodgiens dans le cadre des ateliers Varan. S 21 est donc le résultat du travail d'une équipe "parl[ant] la même langue, [ayant] vécu la même histoire." Surtout, le cinéaste a trouvé en Van Nath, l'ancien détenu survivant, quelque chose comme un alter ego : sa présence active, questionnante, constitue ainsi comme le double de la présence effacée, muette et toujours hors-champ, du cinéaste. L'absence d'un tiers interrogeant de l'extérieur et nommant les témoins retire, par là-même, au spectateur la possibilité d'une vision surplombante des scènes auxquelles il assiste, "comme" de l'intérieur.


Des "films-témoins"

Définir ces deux œuvres comme des "films-témoins" suppose de revenir préalablement sur la question du témoignage. Derrière le terme de "témoin" se dessinent d'emblée, en effet, plusieurs figures qui ne se recouvrent pas, mais qu'on peut tenter de cerner à partir de quelques couples d'opposés linguistiques, tant en latin qu'en anglais, comme à partir des dérivés du terme en français. Le terme latin "testis", à l'origine de notre "témoin", désigne celui qui se pose en tiers ("terstis") entre deux parties dans un procès ou un litige. Mais le latin dispose d'un autre mot, "superstes", pour désigner celui qui a traversé une épreuve et lui a survécu. C'est alors, littéralement, un "rescapé", dont le témoignage trop "partial" ne peut servir à l'établissement des faits dans un procès, dont la parole relève d'une vérité inassignable à l'ordre juridique. La langue anglaise distingue, quant à elle, le "témoin oculaire", "witness", qui témoigne de, du témoin qui, dans le cadre d'un litige témoigne contre ("testify"). En français, enfin, le terme "témoigner" dérive d'une racine qui réunit "attester" et "testament". Confirmer la vérité d'un fait et hériter dessinent ainsi l'horizon du témoignage.


Les diverses acceptions du terme, qui en définissent le spectre, délimitent le champ des réflexions contemporaines sur le témoin, réflexions dont le point commun est de conclure à l'impossibilité consubstantielle au témoignage. J'en retiendrai trois où se combinent différemment les diverses significations données au terme témoin ainsi que la relation qu'entretient le témoignage avec l'événement particulier qu'est un génocide.


La première réfutation de la possibilité du témoignage apparaît chez Lyotard dans Le Différend . "Des êtres humains doués de langage, dit-il, ont été placés dans une situation telle qu'aucun d'eux ne peut vous rapporter maintenant ce qu'elle fut. La plupart ont disparu alors, les survivants en parlent rarement. Quand ils en parlent, leur témoignage ne porte que sur une infime partie de cette situation." Lyotard reprend donc ici les propos de Primo Levi dans Les Naufragés et les rescapés : "Nous, les survivants ne sommes pas les vrais témoins. […] Nous sommes une minorité non seulement exiguë, mais anormale : nous sommes ceux qui […] n'ont pas touché le fond. Ceux qui l'ont fait, qui ont vu la Gorgone, ne sont pas revenus pour raconter, ou sont revenus muets, mais ce sont eux, les "musulmans", les engloutis, les témoins intégraux". C'est à partir de la nature d'un événement, dont on ne pourrait témoigner que depuis la mort, que Shoshana Felman va élaborer le concept d' "événement sans témoin". Toutefois, à partir de ce constat initial partagé, la question de l'impossibilité du témoignage va engager des réflexions différentes.


Lyotard inscrit son propos dans le cadre juridique (celui du "témoin oculaire") pour en invalider les fondements. "Avoir « réellement vu de ses propres yeux » une chambre à gaz serait la condition qui donne l'autorité de dire qu'elle existe et de persuader l'incrédule. Encore faut-il prouver qu'elle tuait au moment où on l'a vue. La seule preuve recevable qu'elle tuait est qu'on en est mort. Mais, si l'on est mort, on ne peut témoigner que c'est du fait d'une chambre à gaz." Pour répondre au sophisme négationniste, Lyotard va donc élaborer une théorie du tort, distingué du litige juridique. C'est ce tort qui ne pourra jamais s'inscrire comme litige, tort irréparable, donc, car inarticulable dans le discours juridico-politique que Lyotard va conceptualiser sous le terme de "différend".


Dans ce qu'on peut appeler la "seconde pensée du Différend" (qui s'ouvre avec L'Inhumain, en 1988), la plainte en souffrance, "l'intraitable", "l'inacquittable", échappe au modus politique : seule l'écriture semble pouvoir accueillir le "différend" en s'ouvrant à son altérité de "sentiment d'avant la parole". "« Ecrire », dit Lyotard, ce n'est pas concilier, mais inscrire ce qui ne se laisse pas inscrire." Si le détour par la pensée de Lyotard s'impose, c'est que la poétique des deux films, que je convoque aujourd'hui sous la catégorie de "films-témoins", relève moins de la collection de témoignages que de l'accueil du tort inarticulable. Ils sont, en effet, habités l'un et l'autre par la présence de ce que Lyotard nomme des "phrases-affects", "des témoins mais qui ne représentent rien à personne", dont la temporalité est celle du maintenant, "non pas hors temps, mais hors diachronie."


Le second courant de réflexion sur le témoin relève de la problématique freudienne de l'après-coup. "Quand cela est arrivé, dit Jean-Louis Déotte, le témoin n'avait pas la capacité de témoigner, quand il l'a eue, qu'il a pu inscrire l'événement, la chose était depuis longtemps du passé. Il n'y a pas de contemporanéité entre le témoin et l'événement : par conséquent, il n'y a pas de témoin au sens strict". Tout témoignage se place donc sous le signe de l'écart – que voudrait annuler la notion de "témoin oculaire".


Dans cette perspective, le témoin d'un génocide, situé au plus près de l'événement – comme les membres des Sonderkommandos travaillant dans les fours crématoires – qui ne peut donc être, par définition, qu'un rescapé ("superstes"), ne peut accéder à la position de témoin qu'à la condition d'abandonner l'état de survie qui était le sien, "survie à l'état de déchet", comme le dit Daniel Oppenheim. La survie n'a, en effet, été possible que "dans l'acceptation forcée de la réduction de soi-même à l'insignifiant […], en faisant de soi-même une souffrance sans sujet." La temporalité particulière du témoignage ne peut donc être celle du souvenir, car le souvenir suppose un récit organisé par un sujet, or précisément le "sujet" était absent au moment de l'événement qui n'a pu être construit comme tel. Mordechaï Podchlebnik, dit ainsi dans Shoah que "quand il était sur place, il a vécu ça comme un mort, parce qu'il n'a jamais pensé qu'il survivrait."


L'événement de l'extermination ne peut, en ce sens, préexister à la parole qui l'énonce. Il en est le contemporain et non le référent. En d'autres termes, il n'y a pas d'antériorité de l'événement sur le témoignage. D'où l'impossibilité de toute "re-présentation", au sens strict (qui ferait de l'événement un réel préexistant). C'est donc du seul régime de la présentation, c'est-à-dire de l'avènement, sous nos yeux de l'événement, dans et par la parole, que relève la temporalité d'un film-témoin. Le témoignage, dans son impossible coïncidence avec l'événement devient, en effet, le seul temps où puisse s'inscrire l'événement. La figure du témoin que produit le témoignage des rescapés s'écarte donc nettement du modèle juridique du témoin oculaire, témoin passif, dépositaire d'un événement qu'il suffirait d'enregistrer, au profit de l'image d'un témoin "passible, traversé et transformé par l'événement. […] Le témoin devient [ainsi] le lieu de l'avoir-lieu de l'événement que rien n'a pu accueillir, ni expérience, ni mémoire, ni raison et dont il est, dans sa subjectivité, le seul garant."


La troisième perspective d'analyse de la figure du témoin apparaît dans Ce qui reste d'Auschwitz d'Agamben. Celui-ci y reprend l'idée de Primo Levi, selon laquelle les "vrais" témoins seraient les "musulmans" d'Auschwitz, ces "témoins intégraux" qui n'ont pu témoigner et "n'auraient pu le faire parce que leur mort avait commencé avant la mort corporelle. […] Nous, ajoute Primo Levi, nous parlons à leur place, par délégation.". Le témoin survivant a donc pour tâche, selon Agamben, de "témoigner de l'impossibilité de témoigner." Le témoin qui témoigne pour le compte du musulman doit, en effet, témoigner de la déhumanisation. Ou, plus précisément, de la désubjectivation du témoin intégral. Or "« témoigner d'une désubjectivation » signifie qu'il n'y a pas, au sens propre du terme, de sujet du témoignage, […] que tout témoignage est un processus ou un champ de forces traversé sans cesse par des flux de subjectivation et de désubjectivation." En effet, précise-t-il, parce que c'est "le sans-parole [qui] fait parler le parlant, le parlant porte dans sa parole même l'impossibilité de parler."


A partir d'un long développement sur l'écart entre le vivant et le langage, Agamben finit par affirmer que c'est précisément cet écart fondateur, cette césure "anthropologique", qui permet au témoignage d'avoir lieu, "dans le non-lieu de l'articulation." D'une certaine manière, me semble-t-il, Agamben fait de la césure intime du témoignage le lieu du "différend" au sens lyotardien. Il est particulièrement intéressant, en tout cas, pour l'étude de Shoah et de S 21, que l'inarticulable de la "phrase-affect" soit au centre de l'analyse par Agamben de "l'intémoigné" dans le non-langage de "l'enfant-sans-nom" d'Auschwitz. Dans les deux "films-témoins", on retrouve en effet dans les silences, les ruptures dans le discours, voire dans le langage sans destinateur ni destinataire des corps en proie à la répétition, cette césure propre à tout témoignage des survivants.
Une poétique de l'imaginable


Les deux films mettent, en effet, en œuvre une poétique qui relève de ce que Jean-Louis Déotte a appelé une "esthétique du tort", en récusant la logique de la "preuve par l'image" au profit d'une logique de "l'imaginable". En inscrivant le témoignage en même temps que son impossibilité - c'est-à-dire ce qui fait de lui l'empreinte négative d'un non-formulable – les deux films font de "l'événement sans témoin" une expérience partageable.


Récuser la logique de la preuve par l'image au profit de "l'imaginable", c'est d'abord afficher un double parti-pris : celui, lyotardien, de l'inadéquation de la scène juridico-politique du litige comme du discours historiographique pour lequel le témoignage fait "preuve" ; mais aussi un parti-pris benjaminien, qui nous enjoint de nous rendre sensibles à l'événement ininscrit par l'historiographie, irrelevable par l'institution judiciaire, réduit à une charge d'affects errants. En ce sens, l'appareil cinématographique serait davantage "une technique de suspension que d'enregistrement du visible", contrairement à ce que croyait Bazin (ou encore Godard qui affirme que "le cinéma n'a pas su remplir son rôle", parce qu'il n'a pas filmé les camps). "Son horizon, ajoute Jean-Louis Déotte, c'est un alliage de fiction et d'archive."


La logique des deux films est également éloignée de la logique "représentative", du moins dans son sens courant : recomposer, transposer sur une scène fictive un événement qui formerait le référent de la représentation. Plus précisément, les deux films abolissent la frontière commune entre fiction représentative et enregistrement documentaire, en donnant existence à un événement qui ne préexiste pas au film. En d'autres termes, il ne s'agit pas de faire voir ce qui, en son temps, n'a pas été vu, mais de faire voir ce qui ne peut être vu en dehors de l'événement de l'œuvre. Ils s'inscrivent donc l'un et l'autre dans une logique de l'actualisation.


Cette dimension performative de l'œuvre présente elle-même trois aspects. Elle rend, d'abord, indissociables la production de l'événement lui-même et la mémoire de l'événement, son retour dans le présent. Ainsi, Claude Lanzmann peut-il dire : "Shoah n'est pas un film sur l'Holocauste […] mais un événement originaire. […Il] ne fait pas seulement partie de l'événement de la Shoah : il contribue à la constituer comme événement." Ensuite, parce que l'événement a lieu à la fois au présent et au passé, nous en devenons les contemporains, c'est-à-dire les témoins légataires, collectivement responsables de ce passé pour le présent. Enfin, c'est par l'expérience indissociablement esthétique (au sens d'aisthesis) et politique à laquelle nous confrontent les deux films que se construit un "partage d'imaginaires", que se recompose un "penser ensemble" (rejoignant donc l'autre versant de la pensée godardienne : "le cinéma est fait pour penser l'impensable.")


La poétique des deux films va donc procéder de deux positions "paradoxales" : la mise en question du visible et celle du temps ordonné chronologiquement. Or, la mise en question du "visible" au profit de "l'imaginable" suppose d'abord la mise en jeu d'un voir différent. Claude Lanzmann va ainsi récuser les images d'archives parce qu'elles se veulent les preuves attestant un réel qui leur échappe. Or, parce que du dedans comme du dehors, les camps d'extermination sont restés invisibles, parce que, comme le dit Shoshana Felman, "l'Holocauste fut une attaque historique contre l'acte de vision", il faut construire une autre visibilité, imaginer un autre type d'images : non celles de la suppression des Juifs, mais celle de l'effacement des traces de leur suppression. D'où le caractère hallucinatoire du silence qui accompagne la répétition lancinante des travellings-avant sur la rampe d'Auschwitz ou les panoramiques sur les pierres qui se dressent à l'emplacement du camp détruit de Treblinka. D'où l'omniprésence des grincements de freins, sifflets et bruits d'essieu qui rend quasi palpable l'innombrable cohorte des trains de déportés. C'est donc la figure insistante du vide et du manque qui rend "imaginable" le point aveugle du film : six millions de morts.


La position de Rithy Panh à l'égard des archives est très différente. Plus exactement, deux "postures" possibles sont mises en scène dans S 21. Le prologue du film fait des images tournées par le régime khmer rouge comme par les journalistes étrangers, lors de la chute de Phnom Penh, un usage documentaire "classique", en rupture totale avec la suite du film. En effet, les images fragmentaires, juxtaposées affichent d'abord le manque de lien entre elles, comme entre le passé et le présent. En outre, qu'il s'agisse du premier panoramique en couleurs, en plongée sur les rues de la ville d'aujourd'hui, ou des prises de vues de propagande d'autrefois, il manque un point de vue humain, localisé, individualisé, à "hauteur d'homme". C'est ce regard que le film va s'efforcer de construire. Tandis que les images d'archives du prologue attestent une "mémoire en lambeaux", une mémoire morte car inarticulable, le corps même du film va, au contraire, faire des archives du centre de détention – photographies des détenus torturés puis assassinés, confessions extorquées, circulaires du pouvoir – le point de départ d'un "voir" nouveau. L'archive y redevient archê, point où s'origine une parole inouïe.


De la même manière, les deux films vont mettre en question le modèle d'intelligibilité "narratif" de l'événement sur lequel se fonde l'historiographie positiviste, dont le récit prétend restituer un enchaînement logique/chronologique des causes et des conséquences. Dans Shoah, c'est le raisonnement de Raül Hilberg qui est invalidé par la parole des survivants. Son patient labeur pour recomposer le trajet des "trains spéciaux" et même le financement de leur propre déportation par les juifs bute sur le "ça" qui vient rompre la parole de Simon Srebnik : "On ne peut pas raconter ça. […] Et personne ne peut comprendre ça". La comparaison entre S 21, dans sa forme définitive, avec les matériaux tournés (et publiés dans le livre qui accompagne le film) montre un choix similaire de la part de Rithy Panh. En sont écartés tous les éléments qui auraient pu "éclairer" la machine de mort khmère rouge, replacer les tortures et assassinats dont furent victimes les détenus de S 21 dans une stratégie du pouvoir totalitaire.


Au modèle d'intelligibilité narratif et/ou discursif, les deux films choisissent, en effet, de substituer un dispositif de "transmissibilité" du passé fondé sur son retour au présent, donc sur l'anachronisme. Nous voyons ainsi se reproduire, sous nos yeux, la mise à mort du Juif, dans la séquence de l'église de Chelmno, où Simon Srebnik retrouve les villageois polonais qui l'ont connu enfant, prisonnier des Nazis. De même, nous voyons se remettre en route la machine d'obéissance lorsque Peuv, le gardien de S 21, reproduit les gestes d'autrefois.


Toutefois, si ce "retour" n'est pas de l'ordre de l'hallucination, mais bien d'un dédoublement du "voir", c'est que se maintient toujours un écart entre le visible et l'imaginable. De cet écart, on peut donner deux exemples. Le regard des survivants, victimes dans Shoah ou tortionnaires dans S 21, est toujours dirigé vers un hors-champ sans contrechamp, qui ne met donc pas en communication deux espaces, mais deux temps. De même, le "plein" de la parole des témoins, victimes ou tortionnaires, s'oppose toujours violemment au vide des lieux de l'extermination. C'est en ce sens que l'on peut dire que les deux films substituent au régime de "l'image-preuve", fondée sur l'identité entre l'image et son référent, un régime d' "image-témoin" (comme on parle de "témoin" apposé sur la fissure d'un mur), fondée sur l'écart non comblable avec l'événement.
Encore faut-il voir que s'ils peuvent ainsi, "témoigner du différend", inscrire "l'ininscriptible", c'est en mobilisant la puissance de répétition et d'arrêt du cinéma, pour parler comme Agamben. En effet, si le cinéma a pu apparaître comme "l'appareil d'émancipation par excellence", comme le note J.-L. Déotte, c'est-à-dire comme "désensorcellement" tant à l'égard du "continuisme" de l'historiographie positiviste qu'à l'égard de la répétition et du ressassement circulaire, c'est parce qu'il possède cette double polarité.


La répétition et l'arrêt

Si j'ai recours ici aux deux catégories à partir desquelles Agamben analyse la temporalité spécifique du cinéma, catégories qu'il emprunte à la philosophie de l'histoire benjaminienne, c'est qu'elles permettent d'éclairer la temporalité à l'œuvre dans les deux films.


Répéter, en effet, c'est rendre à nouveau possible. Toutefois, restituer au passé sa "possibilité", ce n'est pas faire revenir l'événement passé au présent, mais s'ouvrir à la présence de l'événement passé. Autrement dit, le passé n'accède à la visibilité qu'à la condition de son "incorporation" au présent : dans sa "présentation" (et non sa "re-présentation").


C'est pourquoi le corps du témoin se trouve au cœur d'un dispositif qui, selon Gertrud Koch, fait de la mémoire un mode d'action "spatialisant le passé". Penser en termes d' "incorporation" ou de "réincarnation", c'est, en effet, faire du corps même du témoin le lieu de surgissement de l'événement non inscrit. D'où, chez Rithy Panh comme chez Claude Lanzmann, la nécessité d'un retour sur les lieux du génocide et d'une remise en scène des "gestes du travail". Claude Lanzmann va ainsi louer une ancienne locomotive pour que Gawkowski, le cheminot polonais, puisse refaire le trajet vers le camp de Treblinka, comme il loue un salon de coiffure à Tel-Aviv pour Abraham Bomba, le coiffeur membre des Sonderkommandos, qui officiait à l'entrée des chambres à gaz. De même, Rithy Panh va-t-il demander à Peuv, le gardien, de refaire les gestes qu'il faisait à l'époque où S 21 était une prison.


La comparaison des deux scènes de Shoah fait immédiatement surgir les contours de la question que pose ce que j'appellerai la "mémoire du corps " du témoin. C'est spontanément que Henrik Gawkowski se retourne vers les wagons absents du train qu'il conduit, au moment où il atteint la garde de Treblinka : dans une violente contraction des temps, lui revient alors le geste infiniment répété, par lequel il annonçait aux Juifs du convoi la mort qui les attendait. Toutefois, dans cette répétition du geste (comme dans les mouvements quasi-automatiques des ciseaux, pour Bomba), il n'y pas encore remémoration. Ce qui surgit, à ce moment, n'est pas encore accessible au témoin : il faudra la médiation du langage pour que le témoin accède à la connaissance de ce qu'il répète.


Dans le salon de coiffure, on assiste bien, en revanche, au passage de la "mémoire du corps" à la parole, de l' "acting out" à la remémoration. Mais c'est qu'ici l'écart créé par la mise en scène est très accusé par la présence des miroirs qui dédoublent la scène (et sur lesquels Claude Lanzmann attire l'attention de Bomba) ; par celle, aussi, des "autres" : "faux" clients et "faux" collègues de travail - ce qui souligne l'artifice tout en plaçant le témoin sous le regard des vivants ; par celle, enfin, de la voix de Lanzmann, hors champ, qui rappelle le témoin à son "devoir" (devoir commun et non solitaire puisque Lanzmann dit : "nous" devons). Cet écart maintenu, rappelé est la condition essentielle pour que la répétition ne répète pas mais libère du nouveau : une parole enfouie, inouïe.


La mise en scène des corps des gardiens au travail me paraît poser des questions autrement plus complexes dans S 21. Dans la scène où Peuv refait devant la caméra les gestes qui étaient les siens en les accompagnant des insultes dont il abreuvait les détenus, la présence muette du cinéaste semble, en effet, rééditer la relation des petits fonctionnaires du régime Khmer rouge avec l'Angkar omnivoyant mais toujours "hors champ". En tout état de cause, tout se passe comme si surgissait, sous nos yeux, une "mémoire d'obéissance" : un "corps-archive" (au sens foucaldien d'une "archive sans sujet") qui garde l'empreinte de l'obéissance et peut la reproduire, mais dont la répétition n'historicise pas le vécu. Pire, non seulement la répétition mise en scène, en remettant en jeu le corps, ne semble pas rendre au gardien la liberté qu'il avait déjà, autrefois, de dire non (ce qui constitue le postulat sartrien de la mise en scène dans Shoah), mais tout se passe comme si la présence de la caméra était l'instrument d'un scénario pervers libérant des pulsions sadiques.


S 21 nous conduit donc à poser autrement la question : à distinguer le "corps-témoin" de l'ancien tortionnaire du "corps-témoin" du film. En effet, si le corps peut devenir ce matériau dans lequel s'est imprimé l'événement, c'est que le film nous propose de le lire comme surface d'inscription. C'est donc la reproduction qui fait du corps une archive, ce qu'il n'est pas par "nature" : c'est le corps en tant qu'il est filmé qui devient surface d'inscription. Autrement dit, la reproduction, consubstantielle à l'appareil cinématographique – c'est-à-dire, à la fois, l'enregistrement de la trace sur la pellicule et la reproductibilité de la projection - est ce par quoi la répétition sans distance s'ouvre à l'apparition de l'événement non inscrit. L'écriture filmique qui fait du corps une archive transmissible est donc indissociable de la projection qui transforme le vécu immédiat du gardien ("Erlebnis") en véritable expérience pour le spectateur ("Erfahrung").


Il faut, de la même manière, distinguer deux niveaux dans l'expérience du suspens que nous fait faire le film. Du suspens, chez Lyotard, Gérald Sfez dit, en effet : "il ne distingue pas seulement ce qui, en souffrance, attend sa phrase, il est ce qui demeure, […] l'interruption qui n'intercède pas même en creux." Or, le suspens ou "l'arrêt" (selon le terme d'Agamben) qui, dans la succession des images et des paroles, creuse l'intervalle, ouvrant le corps des deux films au "différend", présente deux aspects : celui de la "phrase-affect" du témoin, ininscriptible, originairement sans destinateur ni destinataire et celui de son inscription dans l'écriture filmique qui, par là-même, la "destine" secondairement au spectateur, faisant ainsi de la projection le lieu d'un "transfert" des affects.


Ces deux faces du suspens - l'inarticulable du témoin s'inscrivant dans l'écriture du "film-témoin" – prend au demeurant dans Shoah et S 21 des formes assez différentes. Dans Shoah, c'est sur la scène du dire qu'il apparaît fugitivement : au moment où Abraham Bomba s'interrompt puis, avant de reprendre, toujours en anglais, le récit de ce qu'il a vécu autrefois, prend appui sur un fragment de phrase, non traduit, en yiddish. C'est ici l'écart entre la fonction qu'a ce lambeau de phrase, pour le témoin, d'une part, et son rôle dans le film, d'autre part, qui devient signifiant. Pour Bomba, la "phrase-affect" dans la langue assassinée, exclue de la communication en anglais avec Lanzmann, est ce qui, après un très long silence, lui permet de reprendre voix. Le choix de Lanzmann est tout autre : faire du yiddish la langue sans traduction possible lui confère le statut d'une non-langue, d'un "hors la langue", à la manière de l'idiome incompréhensible de "l'enfant-sans-nom" d'Auschwitz, analysé par Agamben.


Dans S 21, la césure dans le mouvement de la pensée, le "saut" benjaminien par lequel le présent s'ouvre à l'ininscrit relève, en revanche, du "désenchaînement" des images. Alors que dans tout le film, les photographies des détenus assassinés sont systématiquement reliées au présent par le récit ou le commentaire dont les gardiens accompagnent leur apparition, à cinq reprises, comme ici, apparaît l'image d'une jeune fille dont on ne saura rien. La taille de la photographie, plus grande que les autres, sa disposition qui nous place absolument dans l'axe de son regard, "regard dissymétrique, dit Derrida, […] échangé au-delà de tout échange possible", confère à cette figure récurrente le statut lancinant d'une image errante, sans inscription possible.


A d'autres moments, c'est le frottement entre régimes sémiotiques différents qui crée la syncope. Dans une des dernières séquences du film, Houy, le gardien, regarde et commente une immense photographie de Choeung Ek, le lieu où étaient exécutés les détenus, étalée à même le sol. Désignant un espace vide dans l'image, Houy trace du doigt dans la poussière qui recouvre la photographie la silhouette de la cabane disparue où étaient regroupés les prisonniers. Son geste, alors, comme celui du peintre, s'efface devant le représenté. Il en va tout autrement ensuite quand, se déplaçant au bord du cadre photographique, son corps mime le trajet effectué par les prisonniers de la cabane à la fosse. Si son mouvement crée, alors, une violente césure dans la continuité du plan, c'est que son corps, à ce moment, suture le hors-champ de la photographie et le champ du cadre filmique, suturant par là-même deux temporalités hétérogènes. Son mouvement semble ainsi ouvrir dans le présent du film une brèche par laquelle s'engouffrent les corps disparus.

De l'esthétique du tort à la reconstruction d'un "commun"

Si l'on peut parler d'une ouverture de l'esthétique des deux films au champ du politique, c'est donc à la condition d'admette un déplacement du politique lui-même : une sortie, plus exactement, du lien politique par le logos, au profit d'une "communauté des affects", ou plutôt d'une "communicabilité ou d'[une] transitivité des affects", ce qui, comme le note Lyotard, "ne fait pas une communauté proprement dite." Cette "esthétique du tort" est en effet une esthétique du choc provoqué par le suspens et la césure dans le mouvement de la pensée, choc qui substitue ainsi la "transmissibilité" de l'ininscrit à la transmission impossible d'une "expérience" de la catastrophe.


Encore faut-il voir, au-delà des similitudes entre les deux "films-témoins", ce qui les sépare radicalement : la façon dont chacun d'eux pense le "temps d'après" le génocide et la possibilité d'un nouvel "être-ensemble", l'un et l'autre découlant de la construction même des films.


Le "temps posthume" de Shoah est le corrélat de la seule communauté qui s'y dessine, celle qui, selon les termes d'Elie Wiesel, "unit le langage des hommes au silence des morts." Ou, comme le dit encore Claude Lanzmann, "nous sommes nés d'eux et n'en finissons jamais de naître et de renaître d'eux. […] Nous sommes ancrés à (et dans) l'Holocauste." L'assemblée des témoins survivants du film dessine en effet une communauté spectrale : d'abord parce qu'ils hantent des lieux où il n'y a plus rien à voir ; ensuite parce qu'il ne forment une "communauté" que pour nous, la succession des points de vue fragmentaires, toujours singuliers ayant pour effet de dévier l'empathie du spectateur vers le point aveugle du film : l'agonie d'un peuple ; enfin parce que chaque témoignage reconduit un face à face entre le spectateur et le témoin singulier, revenu d'entre les morts, Claude Lanzmann ayant, seul, la possibilité de franchir le seuil entre le non-lieu où apparaissent les revenants et l'espace qui nous est commun.


Se dessinent ainsi les contours d'une communauté humaine spectrale, imposant désormais une définition temporelle et non plus spatiale du politique, comme le suggère Jean-Louis Déotte, à la suite de Derrida. C'est pourquoi, me semble-t-il, tout le film semble pouvoir s'inscrire dans ce que Alexis Nouss, à propos de la poésie de Celan, a désigné sous le terme de "temps posthume" : 'Le posthume comme temps d'Auschwitz. […] Dire Auschwitz et dire le temps d'Auschwitz dans le temps d'Auschwitz, a posteriori car en lui-même, là-bas, il ne pouvait être dit."


Sur ces deux plans, de la temporalité et du "commun" proposé par le film, S 21 s'écarte radicalement de Shoah et, d'abord, parce que les témoins rassemblés ne sont pas une "collection" de singularités mais une assemblée d'interlocuteurs où s'affrontent ex-gardiens et survivants, dans un même lieu, à égale distance de la caméra. Cela suppose aussi une autonomie des deux espaces, celui du survivant-enquêteur Vann Nath qui affronte les anciens tortionnaires étant séparé de celui qu'occupent le réalisateur et le spectateur. Enfin, la présence des morts ne relève pas ici de leur seule absence "adressée" au spectateur, mais des traces de leur existence où s'origine la parole neuve des anciens gardiens et que relie aux vivants le mouvement continu de la caméra.


Cet espace de dialogue, noué par la double volonté du cinéaste et de Vann Nath, définit les contours d'une communauté à venir dont la construction impose un double mouvement: séparer les bourreaux de la "machine" à laquelle ils ont obéi et les distinguer les uns des autres. Tandis que dans Shoah chaque témoignage singulier avait valeur d'universel, pour Rithy Panh "l'être-ensemble" ne peut se construire qu'à une double condition : la reconnaissance de chaque singularité et la reconnaissance de la part d'inhumanité et d'humanité cohabitant en chaque homme (cohabitation qui définit la possibilité même du choix).


La temporalité du film est donc à penser comme celle d'un processus relevant d'une pragmatique. Le film propose, ainsi, une pratique de la réconciliation, fondée sur la remise en mouvement de leur empathie avec les victimes, chez les bourreaux, donc sur le lien d'humanité que les Khmers rouges avaient rompu. Comme le montre, en effet, Patrice Loraux, c'est en rendant les bourreaux "impassibles" que la machine d'extermination a pu fonctionner. C'est donc en leur rendant leur "passibilité", en les réinscrivant dans la communauté humaine, fondée sur la "compassion", que la "machine" peut être bloquée et leur place rendue parmi les hommes aux victimes. Se perçoit donc le double mouvement du film : restaurer une communauté rompue par le totalitarisme et reconstruire un espace de vie en commun fondé sur la mémoire du passé non inscrit.


Bien que le projet des deux films diffère, l'un et l'autre font de nous des "témoins indirects", c'est-à-dire des témoins à l'endroit où, pour chacun de nous, l'événement fait sens pour nous tous. Comme le dit Catherine Coquio, se restaure alors "une communauté humaine nouée dans l'expérience énoncée de l'inhumain, c'est-à-dire dans une diction possible de l'humain." Or, ce n'est pas le moindre des paradoxes ou, plutôt, des "retournements", puisque ce dont témoigne le témoin, c'est précisément "l'effondrement de ce lien du commun qu'est l'imagination du semblable, lien du commun qui soutient l'humanité et donc la communauté politique."


Dans le cas d'un "film-témoin" comme S 21, tout se passe comme si ce "retournement" résultait d'une poétique qui mettrait au jour la "réversibilité" des positions dont, selon Benjamin, tout spectateur de cinéma fait l'expérience. La réversibilité est à son comble, lorsque nous découvrons que les anciens tortionnaires de S 21 nous touchent là où nous leur ressemblons : dans ces "corps-archives" qui toujours débordent le "sujet" du témoignage, dans la fragilité du passage, toujours fragmentaire et fragmenté, à la parole. Ce "reste", pour parler comme Agamben, qui "témoigne d'un temps où [le témoin] ne parlait pas encore" est ce lieu où, chaque témoin, dans sa singularité nous ressemble.


Toutefois, si l'expérience de la projection rend transmissible "l'événement sans témoin", c'est aussi que l'événement de mémoire est traité, dans les deux "films-témoins" comme un passé-présent dont le spectateur est le contemporain. C'est peut-être là que se situe l'invention proprement politique des deux films. En effet, comme le montre Jean-Louis Déotte, la pensée arendtienne du politique comme "l'espace-qui-est-entre-les hommes", bien qu'elle ait le mérite de "réintroduire la dimension du spectacle comme condition de l'être-ensemble", souffre de puiser son modèle dans le théâtre à l'italienne de la Renaissance. Si le cinéma – du moins chez Lanzmann ou Rithy Panh – peut modifier cette image du politique, c'est qu'il y introduit une dimension temporelle : l'être-ensemble est aussi un être-avec les morts, un être-avec l'inhumain. A la multiplicité horizontale de l'entr'exposition des singularités, l'appareil cinématographique aurait le pouvoir d'ajouter une pluralité "verticale" : le différentiel de temps qui habite chacun de nous comme le différentiel de temps qui nous sépare des autres.

Sylvie Rollet
Maître de conférences en Etudes Cinématographiques
Université Paris III

 

(texte publié sans son appareil de notes, nous vous renvoyons à sa version imprimée.)