[ Accueil du site ]

 

Le génocide rwandais devant la justice internationale

Par Joseph NGARAMBE, Expert consultant au TPIR, Bureau du Procureur.

Création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR)

Le génocide rwandais a été reconnu officiellement le 28 juin 1994 par la Commission des Droits de l'Homme et, pour le réprimer, une juridiction ad hoc, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, est créée le 8 novembre par le Conseil de Sécurité, dans sa résolution 955.
Cette mesure visait aussi à contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région. Par sa résolution 977 (1995) du 22 février1995, le Conseil de sécurité a décidé que le siège du Tribunal serait à Arusha en République-Unie de Tanzanie(1).
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été créé pour juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations du droit international commis sur le territoire d'États voisins entre le 1 er janvier et le 31 décembre 1994.

Composition

Le TPIR est composé de trois organes (2).

Les Chambres de première instance et la Chambre d'appel : trois Chambres de première instance et une Chambre d'appel au sein desquelles siègent les juges. Les juges sont élus par l'Assemblée générale des Nations Unies sur une liste proposée par le Conseil de sécurité. Ils sont initialement sélectionnés sur une liste de candidats proposés par les États membres de l'Organisation des Nations Unies. Les nominations doivent tenir compte des principaux systèmes juridiques du monde. Les juges sont élus pour un mandat de quatre ans. Ils sont rééligibles.
Ces Chambres sont composées de 16 juges indépendants, ressortissants d'États différents. Trois juges siègent dans chacune des Chambres de première instance et cinq siègent à la Chambre d'appel. La Chambre d'appel est commune aux deux Tribunaux internationaux, pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie.

Le Bureau du Procureur, chargé des enquêtes et des poursuites :
Le Procureur pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda est Madame Carla Del Ponte (Suisse). Elle a été nommée le 11 août 1999 par le Conseil de sécurité. Le Bureau du Procureur est situé à La Haye aux Pays-Bas. Un Procureur adjoint chargé du Rwanda, est installé à Kigali au Rwanda.

Le Bureau du Procureur comprend deux Sections:

- La Section des enquêtes est composée d'équipes chargées de réunir les preuves retenues contre les personnes impliquées dans les crimes commis, au Rwanda en 1994, qui relèvent de la compétence du Tribunal. Cette section est basée au Rwanda (Kigali).
- La Section des poursuites est composée d'avocats généraux responsables de la conduite de toutes les affaires devant le Tribunal et de conseillers juridiques pour les enquêtes et les poursuites. Aujourd'hui, elle est basée à Arusha (Tanzanie).
Une unité d'information et des éléments de preuve est placée directement sous l'autorité du Procureur adjoint, lequel est aujourd'hui basé à Arusha (3).

Le Greffe est le troisième organe du TPIR. Il est responsable de l'administration et de la gestion du Tribunal. Le Greffe est dirigé par un Greffier. Celui-ci apporte son concours aux Chambres et au Procureur.Il remplit aussi les fonctions qui lui sont assignées dans le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, et est chargé de toute communication émanant du Tribunal ou adressée à celui-ci.

Le Greffe se compose de deux principales divisions, la Division des Services juridique et judiciaire et la Division de l'Administration. Le Greffe est dirigé par Monsieur Adama Dieng du Sénégal représentant le Secrétaire général. Il a été nommé le 1 mars 2001 par le Secrétaire général après consultation avec le Président du Tribunal.

Compétence du TPIR (4)

· Compétence ratione materiae: le génocide, les crimes contre l'humanité, les violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II sont poursuivis;
· Compétence ratione temporis: les crimes commis entre le 1 er janvier et le 31 décembre 1994;
· Compétence ratione personae et ratione loci : les crimes commis par des rwandais sur le territoire du Rwanda et sur le territoire d'États voisins ainsi que les citoyens non-rwandais pour les crimes commis au Rwanda.
Budget et ressources humaines
Pour l'année 2002-2003, l'Assemblée générale a alloué au TPIR un montant total de 177,739.400 dollars et 872 postes. Plus de 80 nationalités sont actuellement représentées au Tribunal.

Le Bilan du TPIR en l'an 2002

Bilan du TPIR, selon le TPIR :

Sur le site du TPIR, le lien " Les succès du Tribunal " énumère élogieusement les accomplissements du Tribunal :

- le 28 novembre 1995, soit un an après sa création, le TPIR a émis le premier acte d'accusation contre 8 suspects ;

- depuis ce jour, ''le Tribunal a réalisé des progrès constants dans l'accomplissement de son mandat et a notamment contribué au développement de la justice pénale internationale'';

- à ce jour, plus de 70 personnes ont été accusées dont 60 arrêtées et transférées;

- 10 affaires parmi celles des appréhendés, ont été jugées donnant lieu à neuf condamnations et un acquittement;

- la Chambre d'appel a confirmé 7 condamnations, et un appel est toujours en instance;

- 8 procès impliquant 20 accusés sont en cours.

Conclusion du bilan quantitatif dressé par le TPIR : ''en conséquence, le nombre total des affaires jugées et des procès en cours concerne presque la moitié des personnes arrêtées.''
La condamnation de Jean Kambanda, premier ministre du gouvernement rwandais durant le génocide est particulièrement souligné par le TPIR comme étant une réalisation majeure. Selon ce tribunal, c'et la première condamnation d'un chef de gouvernement pour crime de génocide.
Sa condamnation, constate le TPIR, a fait comprendre que le droit pénal international s'appliquait aux plus hautes autorités et a favorisé la création des conditions permettant de traduire en justice les anciens chefs d'Etat, le Général Augusto Pinochet du Chile, Hussein Habré du Tchad, et Slobodan Milosevic de Serbie.

Parmi les détenus, le TPIR compte 14 ministres du gouvernement Kambanda, plusieurs haut-gradés de l'armée et de la gendarmerie (dont 3 officiers généraux), de hauts fonctionnaires de l'administration centrale et régionale, des hommes d'affaires importants, des responsables religieux, des journalistes, des intellectuels et d'autres personnes influentes.
Pour réaliser ces arrestations, le TPIR a bénéficié de la coopération de 19 pays, dont 12 africains.

D'autres pays ont aussi collaboré avec le TPIR sous diverses formes: en facilitant les déplacements de témoins, en offrant leurs installations pénitentiaires pour l'exécution des peines d'emprisonnement de personnes condamnées par le Tribunal et en apportant des dons au Fonds judiciaire du Tribunal.

Afin de maintenir en détention les personnes dont les procès sont en instance, un centre de détention a été spécialement conçu par le Tribunal dans l'enceinte de la prison tanzanienne à Arusha. Ce centre de haute sécurité construit suivant les normes internationales est un des premiers centres construits et gérés par les Nations Unies. Il est régulièrement inspecté et les détenus reçoivent la visite du Comité international de la Croix rouge qui a eu à en recommander les normes à appliquer.

Les procès sont devenus extrêmement complexes, à cause du besoin de faire venir du monde entier des conseils de la défense, des témoins, et de l'obligation de traduire et d'interpréter les textes dans les deux langues du Tribunal ainsi que dans le Kinyarwanda, qui est la langue des accusés et de la plupart des témoins. Cela étant, plus que huit cents témoins ont été à ce jour entendus dans plusieurs causes.

La majorité des témoins, à charge ou à décharge, ont besoin de mesures de protection afin de pouvoir témoigner dans l'anonymat et éviter ainsi les représailles. Le Tribunal a donc mis en place un programme de protection des témoins sophistiqué et unique en Afrique. Ce programme permet au Tribunal de faire venir des témoins du Rwanda ou d'ailleurs pour témoigner, et de les ramener en toute sécurité ou, lorsque cela s'avère nécessaire, de prendre des dispositions pour les installer ailleurs sous une nouvelle identité.

Les jugements prononcés par les Chambres de première instance et la Chambre d'appel ne mesurent pas à elles seules les résultats obtenus par le Tribunal. Depuis sa création, plus de mille trois cents décisions ont été rendues sur des questions juridiques de compétence, de procédure et de preuve. La communauté d'experts a fait l'éloge de l'excellence des décisions et la plupart de celles rendues par les Chambres de première instance ont été confirmées lors des recours.

Ces décisions mettent en place une base solide de jurisprudence, déjà utilisée par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et par les juridictions nationales dans le monde entier. Ainsi la cour pénale internationale sera dotée d'une base solide de travail lorsqu'elle verra le jour. Pour ne prendre qu'un exemple, le jugement mémorable rendu dans l'affaire Akayesu a innové la définition du viol en droit international et a considéré que le viol pouvait constituer un crime de génocide.

Non seulement la jurisprudence mais aussi la capacité grandissante du Tribunal à traiter le nombre des affaires, gérer le programme de protection des témoins, diriger le centre de détention et répondre aux divers besoins nécessités des conseils de la défense seront sources d'inspiration, puisque ce sont des problèmes qui seront soulevés lors de la mise en place de la Cour pénale internationale.

De par son travail, le Tribunal pour le Rwanda a contribué et continue à contribuer au remplacement d'une culture de l'impunité par une culture de la responsabilité. Un nouveau courant d'opinion concernant l'efficacité du droit humanitaire international a émergé grâce aux réalisations visibles et concrètes des deux tribunaux ad hoc. Une preuve supplémentaire en est que la création de tels Tribunaux est aussitôt réclamée dès qu'une situation conflictuelle éclate, aussi loin soit-elle, au Sierra Leone, au Cambodge et au Timor oriental. En effet, il a été soulevé que les responsables d'autres conflits en Afrique devraient être traduits devant le Tribunal d'Arusha. Une disposition à cet effet a été prévue dans les accords de Lusaka afin de mettre fin au conflit en République démocratique du Congo.


Le bilan du TPIR, selon certains observateurs extérieurs :


Si, en terme de symbolique, le TPIR est indéniablement une grande référence, son bilan quantitatif fait l'objet de fortes critiques.

Ainsi, dans l'article du 18 janvier 2002 de ''Diplomatie judiciaire'', le journaliste Thierry Cruvellier met en évidence la maigreur du bilan du TPIR, 5 ans après le démarrage des procès (janvier 1997): 9 accusés ayant reçu un jugement, dont 7 ayant leur procédure d'appel achevée.
Pour ce journaliste, un tel bilan tend à prouver que l'essentiel du travail de cette juridiction est encore très largement devant elle, chose d'autant plus inquiétante que les bailleurs de fonds lui ont fixé l'échéance de l'an 2008 pour l'exécution de tout son programme. Soulignant la lenteur des procès en cours, le journaliste dit que pour respecter l'échéance 2008, il va falloir que, pour 5 des 7 procès en cours, ''les jugements des chambres de première instance soient rendus cette année'' [2002]. Et de citer les cinq procès (5) : Semanza, Kamuhanda, Ntakirutimana, Cyangugu et Kajelijeli.

Pour montrer davantage que le TPIR aura du mal à respecter cette échéance de l'an 2008, il présente la situation des deux autres affaires en cours : celle des Médias et celle de Butare :

"Le procès des Médias, qui rassemble trois accusés dont un boycotte les audiences, a débuté en octobre 2000. Or, il est loin d'avoir terminé la seule phase d'accusation. Du coup, chacun s'attend désormais à ce que les débats dans cette affaire durent au moins jusqu'en décembre 2002. Le procès aura alors duré plus de deux ans. Un délai qui ne saurait être compatible avec le lourd cahier des charges du Tribunal (6) . L'affaire Butare (7) , qui compte deux fois plus d'accusés, est encore plus inquiétante. Au cours de l'année 2001, elle s'est pratiquement déroulée au rythme d'un témoin toutes les deux semaines. Certains esprits, aussi froidement mathématiques que séduits par l'absurde, ont calculé qu'à ce pas, il faudrait dix ans à l'accusation pour achever la présentation de sa preuve dans ce dossier. Il s'agit là de mathématique pure. Mais même en calcul pratique, cela n'est pas non plus compatible avec le cahier des charges."

L'article de ''Diplomatie Judiciaire'' évoque également l'affaire dite des Militaires, regroupant 4 inculpés, dont le colonel Théoneste Bagosora. Selon cet article, l'annonce des débats au 12 avril 2002 est peu réaliste :

"Il est cependant à craindre que son démarrage soit symbolique et que les débats au fond ne débutent que plusieurs mois plus tard." (8)

Plus inquiétant encore pour les bailleurs de fonds est, selon l'article, le plan du procureur Carla Del Ponte bouclé en janvier 2001 et qui prévoit 136 mises en accusations supplémentaires, soit selon le parquet, 45 nouveaux procès potentiels. (9)

Il apparaît de plus en plus évident que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda aura du mal à honorer son engagement de boucler ses procès avant la fin de l'an 2008; ce, en dépit d'un renfort toujours attendu des juges interimaires, et de démarches entreprises pour obtenir que certains procès soient menés par des juridictions nationales, y compris le Rwanda (à la condition que ce pays supprime la peine de mort).

Parmi les raisons de la lenteur des procès, on a toujours pointé du doigt la lourdeur et la complexité des procédures. Cependant, il y a lieu de noter que le Tribunal a procédé à quelques aménagements tendant à alléger la procédure. Mais, malgré ces efforts, les gains escomptés risquent d'être réduits à néant si les relations avec le gouvernement rwandais continuent à se détériorer.

Les relations chaotiques entre le TPIR et le gouvernement rwandais et la problématique de l'indépendance du Tribunal :

L'année 2002 aura connu une grave détérioration des relations entre le TPIR et le gouvernement rwandais d'une part, et entre le TPIR et les associations des rescapés du génocide d'autre part. Les reproches formulées officiellement datent de plusieurs années.

En effet, déjà en octobre 1999, le représentant du gouvernement rwandais auprès du TPIR, monsieur Martin Ngoga, déclarait à son arrivée à Arusha (10) : [au départ,] "les relations entre le gouvernement rwandais et le TPIR avaient été mauvaises". Il justifiait les critiques de Kigali en invoquant les performances "décourageantes" du Tribunal.

Définissant d'emblée son rôle, le représentant du gouvernement rwandais ajoutait : "Mais le Tribunal a accompli des progrès remarquables, et c'est là une des raisons à l'origine de ma nomination"… Nous pensons toujours qu'il y a des domaines à améliorer et qu'ils peuvent être mieux améliorés si nous travaillons côte - à - côte; et ainsi nous avons décidé de rejoindre le Tribunal et d'opérer à partir de l'intérieur ".

Enfin, le délégué rwandais avait estimé, lors de ce point de presse, qu'il était "trop tôt" pour pointer du doigt ces domaines à améliorer. Si, à travers ces déclarations, on pouvait percevoir la satisfaction du gouvernement rwandais et les promesses de relations meilleures dans le futur, la venue de monsieur Ngoga suscita de vives réactions chez les avocats de la Défense. Dans une lettre (11) adressée au greffier du TPIR le 26 octobre par quatorze avocats, les signataires notaient qu'il leur paraissait "tout à fait curieux que le TPIR, n'étant pas une entité étatique, puisse accepter auprès de lui l'accréditation d'un représentant officiel d'un pays". Les avocats affirmaient qu' "aucune disposition du statut du TPIR n'autorise pareille possibilité".

"L'accréditation de ce représentant du gouvernement rwandais auprès du TPIR, est assurément de nature à porter atteinte au crédit dont jouit ladite institution, et à justifier puis aggraver les inquiétudes et les doutes que nombre de personnes et Etats ressentent par rapport à son impartialité et à sa capacité à rendre équitablement justice", poursuivaient les signataires de la lettre. Les avocats faisaient en outre valoir que "les membres du Front patriotique rwandais actuellement au pouvoir au Rwanda, étant conformément aux dispositions du statut du Tribunal, des justiciables potentiels de ladite juridiction, nous voyons mal dans quelle mesure ce gouvernement peut être représenté auprès du TPIR ".

Les signataires affirmaient par ailleurs que cette nomination tendait à "entraîner un sabotage de l'organisation de la défense des accusés". "Les avocats et leurs équipes de défense ont toujours été conscients des risques qui planent en permanence sur leur vie et leur sécurité dans le cadre de leur travail.[..], ces risques viennent d'être matérialisés et aggravés à Arusha", écrivent-ils. "Le plus grave", soulignent-ils, "c'est que dès l'annonce de la nouvelle, un vent de panique générale s'est emparé de la plupart des témoins potentiels de la défense qui ont commencé à exprimer clairement leurs réticences ainsi que leurs intentions de ne plus déposer devant le TPIR tant que ce représentant du Rwanda y sera présent".

Deux semaines plus tôt, vingt-neuf détenus avaient manifesté les mêmes inquiétudes, à travers une lettre adressée à la présidente du TPIR, la juge sud-africaine Navanethem Pillay (12) . "Notre principal souci est que la juridiction que vous présidez garde son indépendance dans les procès qu'elle doit conduire et juger, or les dirigeants actuels du régime rwandais sont des justiciables potentiels du TPIR", avaient-ils écrit.

Réagissant à ce mouvement d'inquiétude exprimé à travers les lettres des avocats et des détenus, le porte-parole du TPIR, le Nigérian Kingsley Moghalu, avait indiqué à l'agence Hirondelle que "ces préoccupations sont compréhensibles mais un peu déplacées". Il avait ajouté que "le Tribunal n'acceptera aucune situation dans laquelle son indépendance serait compromise". "Le Tribunal, plus que quiconque d'autre, a un intérêt direct dans le maintien de son indépendance judiciaire", avait poursuivi Kingsley Moghalu.

Le porte-parole du TPIR avait en outre expliqué que n'importe quel pays membre des Nations unies avait le droit d'envoyer un observateur au TPIR. "N'importe quel gouvernement ou Etat peut avoir un observateur officiel. Pourvu qu'il prenne en charge les coûts", avait-t-il conclu.
Cette nomination du représentant rwandais auprès de la juridiction internationale fut suivie d'une visite des juges du TPIR au Rwanda, saluée chaleureusement par le gouvernement rwandais.
Mais un coup de tonnerre devrait aussitôt déchirer ce ciel de bonnes intentions : la libération de l'accusé Jean-Bosco Barayagwiza, ordonnée dans une décision rendue le 3 novembre par la chambre d'appel du TPIR, avec effet immédiat et instuction au greffier de prendre des mesures nécessaires pour qu'il soit remis aux autorités du Cameroun, pays d'où il avait été transféré le 19 novembre 1997.

Considéré par le parquet comme l'idéologue du parti anti-tutsi, la Coalition pour la Défense de la République (CDR), membre du comité d'initiative de la radio extrémiste des Mille Collines, Jean-Bosco Barayagwiza répondait de sept chefs de génocide, d'entente en vue de commettre le génocide, d'incitation directe et publique à commettre le génocide et de crimes contre l'humanité comprenant des pillages. La Chambre d'appel avait déclaré nul l'acte d'accusation établi contre lui.

La réaction du gouvernement ne se fit pas attendre. Il condamna énergiquement cette libération et menaça le TPIR de suspendre sa collaboration. Tout en reconnaissant à la Chambre d'appel le droit de punir les irrégularités du Parquet constatées dans le processus judiciaire pendant sa détention au Cameroun et après son transfert au Tribunal d'Arusha, le représentant du gouvernement rwandais soulignait que la Chambre d'appel n'avait pas tenu compte de la lourdeur des faits dont Barayagwiza était accusé.

Dans la foulée, le procureur général Gérard Gahima annonça la suspension de la coopération du gouvernement rwandais avec le TPIR. Le procureur général soulignait que "Tout préjudice qu'aurait subi Barayagwiza dans les prisons camerounaises est négligeable comparé à ce qu'ont enduré ses victimes".

Même réaction de Human Rights Watch, l'organisation de défense des droits humains, basée à New York, qui déplora "l'incompétence du parquet du TPIR qui est à l'origine de la libération d'un suspect de haut rang accusé d'avoir organisé le génocide au Rwanda".
"Cette décision de la chambre d'appel du TPIR devrait secouer le parquet et la communauté internationale en général, en rappelant à chacun le besoin d'une justice rapide et exemplaire", avait notamment déclaré la spécialiste du Rwanda au sein de Human Rights Watch, Alison Des Forges.

Dans ce climat empoisonné, la nouvelle procureur Carla Del Ponte put néanmoins obtenir son visa pour visiter ses bureau à Kigali. Mais les autorités rwandaises avaient prévenu : elle ne devait pas les rencontrer avant que la Chambre d'Appel ne revienne sur sa décision. Elle ne sera pas effectivemnt reçue par une quelconque autorité rwandaise durant sa visite de cinq jours à Kigali, début décembre 1999. C'est à son deuxième déplacement, début février 2000, qu 'elle sera reçue par le vice-président et homme fort de Kigali, Paul Kagame, après la révision du jugement de la Chambre d'Appel.

L'année 2000 ne connaîtra qu'un incident mineur : la publication par le journal canadien d'un article en relation avec le mémorendum sur la mort du président Habyarimana, mémorendum rédigé par un ancien enquêteur du TPIR.

Pour le reste le TPIR, s'emploiera tout le long de l'année aux actions visant à redorer son blason au Rwanda. Parmi ces actions : visite de 20 magistrats rwandais au TPIR, ouverture à Kigali par le TPIR d'un centre d'information, lancement par cette juridiction international d'un programme d'aide aux victimes du génocide.

En janvier 2001, le gouvernement américain propose une prime de capture pour quelques personnalités rwandaises poursuivies pour génocide, décision saluée par le gouvernement rwandais.

Mais dès le mois de mars, le représentant du gouvernement rwandais déclarera avoir la conviction que les détenus du TPIR contribuaient au financement dela guerre. Plus tard, en décembre, le même représentant rwandais critiquera le mode de recrutement des enquêteurs du TPIR : "Nos enquêtes ont révélé que la majorité des enquêteurs au TPIR sont des suspects de génocide," dit Ngoga, "et nous ne sommes pas prêts à tolérer ceci l'année prochaine".
Toujours en décembre 2001, le représentant du Rwanda réitère le souhait de son gouvernement de rapatrier le TPIR à Kigali, reprenant les souhaits exprimés par le ministre rwandais de la Justice, monsieur Jean-de-Dieu Mucyo, devant le Conseil de Sécurité de l'ONU, lors d'un débat consacré au TPIR.

A la même période, un collectif d'associations de femmes rwandaises " Profemmes Twese Hamwe " publie un communiqué radiodiffusé demandant des sanctions exemplaires contre les juges d'une chambre chargée de juger le groupe de Butare, pour harcèlement de témoins. Le représentant du gouvernement déclare à cette occasion que le gouvernement rwandais partage l'inquiétude de ces associations.


La situation s'envenime en janvier 2002, lorsque l'association des veuves du génocide AVEGA, de concert avec IBUKA, collectif des associations de rescapés, annoncent la suspension de leur collaboration avec le TPIR. Parmi les reproches au TPIR, AVEGA et IBUKA énumèrent :

- l'engagement comme enquêteurs du TPIR de personnes impliquées directement dans le génocide, et l'engagement comme enquêteurs de la défense de personnes ayant des relations familiales et parentales directes avec les présumés auteurs du génocide,

- la sécurité des témoins à charge à Arusha et après leur témoignage, qui laisse encore à désirer,

- la persécution et le harcèlement des témoins à charge, principalement les femmes, en provenance du Rwanda,

- l'incrimination de l'association IBUKA et de ses associations membres et leur qualification de groupements de délateurs par des avocats de la défense, en présence des juges du tribunal, la non-représentativité des rescapés devant le cour à Arusha, alors que ce droit est reconnu aux présumés auteurs du génocide.


Plusieurs observateurs verront dans cette réaction une manipulation du gouvernement de Kigali qui, dans le souci de contrôler le TPIR, et ne voulait plus rater l'exploitation d'un moindre faux-pas. Parmi les raisons de cette volonté de contrôler la juridiction internationale, ces observateurs relevaient la proclamation par le Procureur de son intention d'inculper les éléments de l'armée du Front Patriotique Rwandais (le FPR) pour crimes contre l'humanité. En d'autres termes, ils affirmaient que le gouvernement rwandais montrait par là qu'il n'entendait pas accepter ces poursuites que le président Kagame avait pourtant promises à Madame Del Ponte quelques mois plus tôt (13) .

Les efforts du Greffier pour amener les associations rwandaises à revenir sur leurs décisions n'auront aucun effet. Par ailleurs, une commission mixte mise en place par le Greffier pour examiner les récriminations de ces associations n'entrera jamais en fonction.
En juin 2002, le gouvernement rwandais introduit une nouvelle difficulté en imposant de nouvelles mesures d'octroi des documents de voyage. Jugeant que les nouvelles mesures entravent la venue des témoins à Arusha et entraînent l'impossiblité pour la chambre de poursuivre son travail, le TPIR ordonne au gouvernement rwandais de faciliter le voyage des témoins en provenance de son territoire.

En réponse au haussement du ton par le TPIR, les associations de victimes du génocide organisent une manifestation pour protester contre le mauvais fonctionnement du TPIR. L'agence Hirondelle rapporte le contenu des pancartes des manifestants :

"Le TPIR est manipulé par la France, pas de place pour les génocidaires au TPIR, le TPIR a failli à sa mission, nous décrions les procès inéquitables du TPIR, le TPIR torpille nos efforts de réconciliation et de reconstruction nationale, que le TPIR cesse de divulguer le secret des témoins, nous dénonçons le traitement humiliant et dégradant infligé aux témoins à charge, le TPIR bascule dans le négationnisme et le révisionnisme, pas de justice sans réparation, halte aux manœuvres dilatoires du TPIR, que le TPIR s'occupe de la sécurité des témoins, pourquoi le TPIR ne vient-il pas siéger sur les lieux du génocide?, pourquoi les rescapés ne sont-ils pas représentés au TPIR ?"

Les extraits d'une pétition lancée par ces associations semble prouver cette manipulation par le gouvernement rwandais. L'agence Hirondella rapporte :

"Dans une pétition adressée au TPIR, le collectif des associations des rescapés du génocide Ibuka estime que "huit procès achevés en huit ans, avec un budget colossal de six cent millions de dollars, est une honte, une parodie de justice". Ibuka reproche au Tribunal de "faire de plus en plus une amalgame entre les victimes et les bourreaux, et de semer la confusion dans les esprits. Comme tout négationniste, le Tribunal s'oriente vers l'idée de "double génocide" au Rwanda. C'est une tentative consciente et délibérée de torpiller les efforts de reconstruction du pays et de réconciliation du peuple rwandais". Selon Ibuka, "il apparaît de plus en plus que le Tribunal d'Arusha a un mandat caché de déstabiliser notre pays et ses institutions. Avec de telles visées, il est clair que le tribunal, à son tour, ne méritera plus la confiance du peuple rwandais".

Pendant ce temps, le TPIR a modifie certaines de ses règles, ouvrant ainsi la voie à la possibilité de se dessaisir de certains dossiers et d'organiser des procès notamment au Rwanda. Mais rien ne semble infléchir une volonté manifeste d'étouffer les activités du Tribunal.
Alors, début août 2002, la présidente du TPIR, la juge sud-africaine Navanethem Pillay, saisit le Conseil de sécurité de l'ONU au sujet du "manque de coopération" du gouvernement rwandais avec la juridiction internationale.

La lettre de la juge Pillay vient à la suite des plaintes exprimées quelques jours plus tôt devant le Conseil de sécurité par le procureur en chef du TPIR, la Suissesse Carla del Ponte, et par le Haut commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme, l'Irlandaise Mary Robinson (14) .

Dans un rapport publié le 1er août, l'ONG basée à Bruxelles, International Crisis Group, (ICG), conclut que les rapports entre le Tribunal international et les autorités rwandaises représentent un des facteurs de fragilisation de l'institution. "Les mois qui s'annoncent sont à haut risque. Le Rwanda doit être fermement rappelé à son obligation de coopérer avec le TPIR. Il doit renoncer à toute forme de chantage, comme le blocage de l'accès aux témoins.", suggère ICG.


Fin novembre 2002, dans son allocution aux parlementaires britanniques, Carla Del Ponte confirme sans équivoque les suppositions de nombreux analystes qui jugeaient que le véritable point de friction entre les deux parties concernait les éventuelles poursuites, par le procureur du TPIR, de l'APR pour crimes de guerre :

"Comme je l'ai déjà indiqué au Conseil de sécurité, nous avons de bonnes raisons de croire que des éléments puissants au Rwanda s'opposent fortement à l'investigation, dans le cadre de l'exécution du mandat du TPIR, des crimes qu'auraient commis des membres de l'Armée Patriotique Rwandaise en 1994" (15). Et d'ajouter :

"malgré les assurances qui m'ont été données dans le passé, aucune assistance concrète n'a été fournie en réponse aux demandes répétées concernant ces investigations. Il n'y a aucune volonté politique réelle de la part des autorités rwandaises d'octroyer l'assistance dans un domaine de travail qu'elles interprètent comme étant politique dans sa nature".
Peu avant ces déclarations de la Procureur en chef du TPIR, le gouvernement rwandais avait publié un communiqué virulent reprochant à Carla Del Ponte d'avoir rencontré à La Haye des représentants du FDLR/ALIR. " Le FDLR/ALIR/Interahamwe est une organisation terroriste bien connue, qui estime que le génocide est inachevé " disait le communiqué, le gouvernement s'estimant " choqué " par une telle rencontre (16).

La Procureur avait répondu en rappelant son indépendance et le devoir des autorités de ne pas faire entrave à la justice :

"Sans faire de commentaires sur mes droits et devoirs en tant que procureur indépendant, je voudrais exprimer ma déception. Pour moi, une victime est une victime, un crime relevant de mon mandat en tant que procureur du TPIR est un crime, indépendamment de l'identité, de l'ethnie ou des idées politiques de la personne qui a commis ledit crime. La justice ne s'accommode pas d'opportunisme politique. Personne ne doit rester à l'abri des poursuites pour les pires crimes…

Les leaders politiques et militaires du Rwanda devraient accepter de répondre aux allégations de crimes qui pourraient avoir été commis de son côté. S'ils sont réellement prêts à favoriser la paix et la réconciliation dans leur pays et dans la région des grands lacs, ils devraient coopérer avec le TPIR de manière totale et sans conditions" (17).


Peu avant la fin de l'année 2002, une lettre du Conseil de Sécurité est venue rappeler au gouvernement rwandais ses obligations de coopérer avec le TPIR. La coopération a alors repris avec l'envoi des témoins.

Les fêtes de Noël et de Nouvel An semblent avoir été bénéfiques pour les deux parties car, en ce début d'année, des visites jugées positives vienntent d'être effectuées par la Procureur, puis par le Greffier.

En conclusion

En plus de son problème organisationnel qui présage toutes sortes de difficultés à respecter l'échéance de 2008 fixée par le Conseil de Sécurité, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda se heurte à une pression de plus en plus forte d'un gouvernement rwandais qui, de l'avis de bon nombre d'observateurs, est soucieux avant tout d'éviter le jugement des crimes commis par les militaires du Front Patriotique Rwandais (FPR).
Si l'année a commencé avec un calme relatif, nul ne pourrait donc pronostiquer sur la sérénité des relations entre le TPIR et le gouvernement rwandais dans les mois à venir.

 

NOTES

  1. Source : site du TPIR.
  2. Source : site du TPIR.
  3. Le procureur-adjoint qui, comme le procureur, dispose d'un bureau dans la section de Kigali, vit à Arusha. Ce que n'apprécient pas les autorités de Kigali.
  4. Source : site du TPIR.
  5. En ce mois de mars 2003, seul le jugement de Ntakirutimana (père et fils) a été prononcé en février 2002. Les procès Kamuhanda, Cyangugu et Kajelijeli sont encore en cours, tandis que l'affaire Semanza est en délébéré.
  6. Le procès des Médias se poursuit encore en ce mois de mars 2003, avec l'audition des témoins et des experts-témoins de la défense. Selon certaines prévisions, il pourrait être clôturé à la fin du mois de mai.
  7. L'affaire de Butare se poursuit au petit rythme, avec environ un témoin par semaine. Le 13 mars 2003 comparaissait le 21ème témoin à charge.
    "Diplomatie judiciaire ne s'est effectivement pas trompé. Après un démarrage au 2ème semestre de l'année 2002, avec l'expert-témoin Alison Des Forges, et l'audition de quelques témoins à charges, le procès a été reporté au mois d'avril 2003.
  8. Selon certaines sources, ce plan aurait connu une révision draconienne à la baisse, en raison de l'hostilité manifeste des bailleurs de fonds.
  9. Source: le site Internet de l'agence Hirondelle.
  10. Ibid.
  11. Source: le site Internet de l'agence Hirondelle.
  12. Lors de ma conférence à La Sorbonne, j'avais prédit cette crise consécutive à cette déclaration de la Procureure du TPIR.
  13. Source: site Internet de l'agence Hirondelle.
  14. Ibid.
  15. Ibid.
  16. Source: le site Internet de l'agence Hirondelle.