Création
du Tribunal Pénal International pour le Rwanda
(TPIR)
Le génocide rwandais a été reconnu officiellement
le 28 juin 1994 par la Commission des Droits de l'Homme et,
pour le réprimer, une juridiction ad hoc, le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda, est créée
le 8 novembre par le Conseil de Sécurité, dans
sa résolution 955.
Cette mesure visait aussi à contribuer au processus
de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien
de la paix dans la région. Par sa résolution
977 (1995) du 22 février1995, le Conseil de sécurité
a décidé que le siège du Tribunal serait
à Arusha en République-Unie de Tanzanie(1).
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été
créé pour juger les personnes présumées
responsables d'actes de génocide et d'autres violations
graves du droit international humanitaire commises sur le
territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés
responsables de tels actes ou violations du droit international
commis sur le territoire d'États voisins entre le
1 er janvier et le 31 décembre 1994.
Composition
Le TPIR est composé de trois organes (2).
Les Chambres de première instance et la Chambre
d'appel : trois Chambres de première instance et une
Chambre d'appel au sein desquelles siègent les juges.
Les juges sont élus par l'Assemblée générale
des Nations Unies sur une liste proposée par le Conseil
de sécurité. Ils sont initialement sélectionnés
sur une liste de candidats proposés par les États
membres de l'Organisation des Nations Unies. Les nominations
doivent tenir compte des principaux systèmes juridiques
du monde. Les juges sont élus pour un mandat de quatre
ans. Ils sont rééligibles.
Ces Chambres sont composées de 16 juges indépendants,
ressortissants d'États différents. Trois juges
siègent dans chacune des Chambres de première
instance et cinq siègent à la Chambre d'appel.
La Chambre d'appel est commune aux deux Tribunaux internationaux,
pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie.
Le Bureau du Procureur, chargé des
enquêtes et des poursuites :
Le Procureur pour le Tribunal pénal international
pour le Rwanda est Madame Carla Del Ponte (Suisse). Elle
a été
nommée le 11 août 1999 par le Conseil de sécurité.
Le Bureau du Procureur est situé à La Haye
aux Pays-Bas. Un Procureur adjoint chargé du Rwanda,
est installé à Kigali au Rwanda.
Le Bureau du Procureur comprend deux Sections:
- La Section des enquêtes est composée d'équipes
chargées de réunir les preuves retenues contre
les personnes impliquées dans les crimes commis, au
Rwanda en 1994, qui relèvent de la compétence
du Tribunal. Cette section est basée au Rwanda (Kigali).
- La Section des poursuites est composée d'avocats
généraux responsables de la conduite de toutes
les affaires devant le Tribunal et de conseillers juridiques
pour les enquêtes et les poursuites. Aujourd'hui, elle
est basée à
Arusha (Tanzanie).
Une unité d'information et des éléments
de preuve est placée directement sous l'autorité
du Procureur adjoint, lequel est aujourd'hui basé à
Arusha (3).
Le Greffe est le troisième organe
du TPIR. Il est responsable de l'administration
et de la gestion du Tribunal. Le Greffe est dirigé par
un Greffier. Celui-ci apporte son concours aux
Chambres et au Procureur.Il remplit aussi les fonctions
qui lui sont assignées dans le Règlement
de procédure et de preuve du Tribunal, et
est chargé
de toute communication émanant du Tribunal ou adressée
à celui-ci.
Le Greffe se compose de deux principales divisions, la Division
des Services juridique et judiciaire et la Division de l'Administration.
Le Greffe est dirigé par Monsieur Adama Dieng du Sénégal
représentant le Secrétaire général.
Il a été nommé le 1 mars 2001 par le
Secrétaire général après consultation
avec le Président du Tribunal.
Compétence
du TPIR (4)
· Compétence ratione materiae: le génocide,
les crimes contre l'humanité, les violations de l'article
3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole
additionnel II sont poursuivis;
· Compétence ratione temporis: les crimes commis
entre le 1 er janvier et le 31 décembre 1994;
· Compétence ratione personae et ratione loci
: les crimes commis par des rwandais sur le territoire du
Rwanda et sur le territoire d'États voisins ainsi
que les citoyens non-rwandais pour les crimes commis au Rwanda.
Budget et ressources humaines
Pour l'année 2002-2003, l'Assemblée générale
a alloué au TPIR un montant total de 177,739.400 dollars
et 872 postes. Plus de 80 nationalités sont actuellement
représentées au Tribunal.
Le Bilan du
TPIR en l'an 2002
Bilan du TPIR, selon le
TPIR :
Sur le site du TPIR, le lien " Les succès du
Tribunal
" énumère élogieusement les accomplissements
du Tribunal :
- le 28 novembre 1995, soit un an après sa création,
le TPIR a émis le premier acte d'accusation contre
8 suspects ;
- depuis ce jour, ''le Tribunal a réalisé des
progrès constants dans l'accomplissement de son mandat
et a notamment contribué au développement de
la justice pénale internationale'';
- à ce jour, plus de 70 personnes ont été
accusées dont 60 arrêtées et transférées;
- 10 affaires parmi celles des appréhendés,
ont
été jugées donnant lieu à neuf
condamnations et un acquittement;
- la Chambre d'appel a confirmé 7 condamnations, et
un appel est toujours en instance;
- 8 procès impliquant 20 accusés sont en cours.
Conclusion du bilan quantitatif dressé par le TPIR
: ''en conséquence, le nombre total des affaires jugées
et des procès en cours concerne presque la moitié
des personnes arrêtées.''
La condamnation de Jean Kambanda, premier ministre du gouvernement
rwandais durant le génocide est particulièrement
souligné par le TPIR comme étant une réalisation
majeure. Selon ce tribunal, c'et la première condamnation
d'un chef de gouvernement pour crime de génocide.
Sa condamnation, constate le TPIR, a fait comprendre que
le droit pénal international s'appliquait aux plus
hautes autorités et a favorisé la création
des conditions permettant de traduire en justice les anciens
chefs d'Etat, le Général Augusto Pinochet du
Chile, Hussein Habré du Tchad, et Slobodan Milosevic
de Serbie.
Parmi les détenus, le TPIR compte 14 ministres du
gouvernement Kambanda, plusieurs haut-gradés de l'armée
et de la gendarmerie (dont 3 officiers généraux),
de hauts fonctionnaires de l'administration centrale et régionale,
des hommes d'affaires importants, des responsables religieux,
des journalistes, des intellectuels et d'autres personnes
influentes.
Pour réaliser ces arrestations, le TPIR a bénéficié
de la coopération de 19 pays, dont 12 africains.
D'autres pays ont aussi collaboré avec le TPIR sous
diverses formes: en facilitant les déplacements de
témoins, en offrant leurs installations pénitentiaires
pour l'exécution des peines d'emprisonnement de personnes
condamnées par le Tribunal et en apportant des dons
au Fonds judiciaire du Tribunal.
Afin de maintenir en détention les personnes dont
les procès sont en instance, un centre de détention
a été spécialement conçu par
le Tribunal dans l'enceinte de la prison tanzanienne à Arusha.
Ce centre de haute sécurité construit suivant
les normes internationales est un des premiers centres construits
et gérés par les Nations Unies. Il est régulièrement
inspecté et les détenus reçoivent la
visite du Comité international de la Croix rouge qui
a eu à
en recommander les normes à appliquer.
Les procès sont devenus extrêmement complexes,
à cause du besoin de faire venir du monde entier des
conseils de la défense, des témoins, et de
l'obligation de traduire et d'interpréter les textes
dans les deux langues du Tribunal ainsi que dans le Kinyarwanda,
qui est la langue des accusés et de la plupart des
témoins. Cela étant, plus que huit cents témoins
ont été
à ce jour entendus dans plusieurs causes.
La majorité des témoins, à charge ou à
décharge, ont besoin de mesures de protection afin
de pouvoir témoigner dans l'anonymat et éviter
ainsi les représailles. Le Tribunal a donc mis en
place un programme de protection des témoins sophistiqué
et unique en Afrique. Ce programme permet au Tribunal de
faire venir des témoins du Rwanda ou d'ailleurs pour
témoigner, et de les ramener en toute sécurité ou,
lorsque cela s'avère nécessaire, de prendre
des dispositions pour les installer ailleurs sous une nouvelle
identité.
Les jugements prononcés par les Chambres de première
instance et la Chambre d'appel ne mesurent pas à elles
seules les résultats obtenus par le Tribunal. Depuis
sa création, plus de mille trois cents décisions
ont été rendues sur des questions juridiques
de compétence, de procédure et de preuve. La
communauté
d'experts a fait l'éloge de l'excellence des décisions
et la plupart de celles rendues par les Chambres de première
instance ont été confirmées lors des
recours.
Ces décisions mettent en place une base solide de
jurisprudence, déjà utilisée par le
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
et par les juridictions nationales dans le monde entier.
Ainsi la cour pénale internationale sera dotée
d'une base solide de travail lorsqu'elle verra le jour. Pour
ne prendre qu'un exemple, le jugement mémorable rendu
dans l'affaire Akayesu a innové
la définition du viol en droit international et a
considéré
que le viol pouvait constituer un crime de génocide.
Non seulement la jurisprudence mais aussi la capacité
grandissante du Tribunal à traiter le nombre des affaires,
gérer le programme de protection des témoins,
diriger le centre de détention et répondre
aux divers besoins nécessités des conseils
de la défense seront sources d'inspiration, puisque
ce sont des problèmes qui seront soulevés lors
de la mise en place de la Cour pénale internationale.
De par son travail, le Tribunal pour le Rwanda a contribué
et continue à contribuer au remplacement d'une culture
de l'impunité par une culture de la responsabilité.
Un nouveau courant d'opinion concernant l'efficacité
du droit humanitaire international a émergé grâce
aux réalisations visibles et concrètes des
deux tribunaux ad hoc. Une preuve supplémentaire en
est que la création de tels Tribunaux est aussitôt
réclamée dès qu'une situation conflictuelle éclate,
aussi loin soit-elle, au Sierra Leone, au Cambodge et au
Timor oriental. En effet, il a été soulevé que
les responsables d'autres conflits en Afrique devraient être
traduits devant le Tribunal d'Arusha. Une disposition à cet
effet a été
prévue dans les accords de Lusaka afin de mettre fin
au conflit en République démocratique du Congo.
Le bilan du TPIR, selon certains observateurs
extérieurs :
Si, en terme de symbolique, le TPIR est indéniablement
une grande référence, son bilan quantitatif
fait l'objet de fortes critiques.
Ainsi, dans l'article du 18 janvier 2002 de ''Diplomatie
judiciaire'', le journaliste Thierry Cruvellier met en évidence
la maigreur du bilan du TPIR, 5 ans après le démarrage
des procès (janvier 1997): 9 accusés ayant
reçu un jugement, dont 7 ayant leur procédure
d'appel achevée.
Pour ce journaliste, un tel bilan tend à prouver que
l'essentiel du travail de cette juridiction est encore très
largement devant elle, chose d'autant plus inquiétante
que les bailleurs de fonds lui ont fixé l'échéance
de l'an 2008 pour l'exécution de tout son programme.
Soulignant la lenteur des procès en cours, le journaliste
dit que pour respecter l'échéance 2008, il
va falloir que, pour 5 des 7 procès en cours, ''les
jugements des chambres de première instance soient
rendus cette année'' [2002]. Et de citer les cinq
procès (5) :
Semanza, Kamuhanda, Ntakirutimana, Cyangugu et Kajelijeli.
Pour montrer davantage que le TPIR aura du mal à respecter
cette échéance de l'an 2008, il présente
la situation des deux autres affaires en cours : celle des
Médias et celle de Butare :
"Le procès des Médias, qui rassemble trois
accusés dont un boycotte les audiences, a débuté
en octobre 2000. Or, il est loin d'avoir terminé la
seule phase d'accusation. Du coup, chacun s'attend désormais
à ce que les débats dans cette affaire durent
au moins jusqu'en décembre 2002. Le procès
aura alors duré plus de deux ans. Un délai
qui ne saurait
être compatible avec le lourd cahier des charges du
Tribunal (6) .
L'affaire Butare (7) ,
qui compte deux fois plus d'accusés, est encore plus
inquiétante. Au cours de l'année 2001, elle
s'est pratiquement déroulée au rythme d'un
témoin toutes les deux semaines. Certains esprits,
aussi froidement mathématiques que séduits
par l'absurde, ont calculé qu'à ce pas, il
faudrait dix ans à l'accusation pour achever la présentation
de sa preuve dans ce dossier. Il s'agit là de mathématique
pure. Mais même en calcul pratique, cela n'est pas
non plus compatible avec le cahier des charges."
L'article de ''Diplomatie Judiciaire'' évoque également
l'affaire dite des Militaires, regroupant 4 inculpés,
dont le colonel Théoneste Bagosora. Selon cet article,
l'annonce des débats au 12 avril 2002 est peu réaliste
:
"Il est cependant à craindre que son démarrage
soit symbolique et que les débats au fond ne débutent
que plusieurs mois plus tard." (8)
Plus inquiétant encore pour les bailleurs de fonds
est, selon l'article, le plan du procureur Carla Del Ponte bouclé
en janvier 2001 et qui prévoit 136 mises en accusations
supplémentaires, soit selon le parquet, 45 nouveaux
procès potentiels. (9)
Il apparaît de plus en plus évident que le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda aura du mal à
honorer son engagement de boucler ses procès avant
la fin de l'an 2008; ce, en dépit d'un renfort toujours
attendu des juges interimaires, et de démarches entreprises
pour obtenir que certains procès soient menés
par des juridictions nationales, y compris le Rwanda (à
la condition que ce pays supprime la peine de mort).
Parmi les raisons de la lenteur des procès, on a toujours
pointé du doigt la lourdeur et la complexité des
procédures. Cependant, il y a lieu de noter que le
Tribunal a procédé à quelques aménagements
tendant à alléger la procédure. Mais,
malgré
ces efforts, les gains escomptés risquent d'être
réduits à néant si les relations avec
le gouvernement rwandais continuent à se détériorer.
Les relations
chaotiques entre le TPIR et le gouvernement rwandais
et la problématique de l'indépendance du
Tribunal :
L'année 2002 aura connu une grave détérioration
des relations entre le TPIR et le gouvernement rwandais d'une
part, et entre le TPIR et les associations des rescapés
du génocide d'autre part. Les reproches formulées
officiellement datent de plusieurs années.
En effet, déjà en octobre 1999, le représentant
du gouvernement rwandais auprès du TPIR, monsieur
Martin Ngoga, déclarait à son arrivée à
Arusha (10) :
[au départ,] "les relations entre le gouvernement
rwandais et le TPIR avaient été mauvaises".
Il justifiait les critiques de Kigali en invoquant les performances
"décourageantes" du Tribunal.
Définissant d'emblée son rôle, le représentant
du gouvernement rwandais ajoutait : "Mais le Tribunal
a accompli des progrès remarquables, et c'est là
une des raisons à l'origine de ma nomination"
Nous pensons toujours qu'il y a des domaines à améliorer
et qu'ils peuvent être mieux améliorés
si nous travaillons côte - à - côte; et
ainsi nous avons décidé de rejoindre le Tribunal
et d'opérer à partir de l'intérieur ".
Enfin, le délégué rwandais avait estimé,
lors de ce point de presse, qu'il était "trop
tôt"
pour pointer du doigt ces domaines à améliorer.
Si, à travers ces déclarations, on pouvait
percevoir la satisfaction du gouvernement rwandais et les
promesses de relations meilleures dans le futur, la venue
de monsieur Ngoga suscita de vives réactions chez
les avocats de la Défense. Dans une lettre (11) adressée
au greffier du TPIR le 26 octobre par quatorze avocats, les
signataires notaient qu'il leur paraissait "tout
à fait curieux que le TPIR, n'étant pas une
entité
étatique, puisse accepter auprès de lui l'accréditation
d'un représentant officiel d'un pays". Les avocats
affirmaient qu' "aucune disposition du statut du TPIR
n'autorise pareille possibilité".
"L'accréditation de ce représentant du
gouvernement rwandais auprès du TPIR, est assurément
de nature
à porter atteinte au crédit dont jouit ladite
institution, et à justifier puis aggraver les inquiétudes
et les doutes que nombre de personnes et Etats ressentent
par rapport à son impartialité et à sa
capacité
à rendre équitablement justice", poursuivaient
les signataires de la lettre. Les avocats faisaient en outre
valoir que "les membres du Front patriotique rwandais
actuellement au pouvoir au Rwanda, étant conformément
aux dispositions du statut du Tribunal, des justiciables
potentiels de ladite juridiction, nous voyons mal dans quelle
mesure ce gouvernement peut être représenté auprès
du TPIR
".
Les signataires affirmaient par ailleurs que cette nomination
tendait à "entraîner un sabotage de l'organisation
de la défense des accusés". "Les
avocats et leurs équipes de défense ont toujours été
conscients des risques qui planent en permanence sur leur
vie et leur sécurité dans le cadre de leur
travail.[..], ces risques viennent d'être matérialisés
et aggravés à Arusha", écrivent-ils.
"Le plus grave", soulignent-ils, "c'est que
dès l'annonce de la nouvelle, un vent de panique générale
s'est emparé de la plupart des témoins potentiels
de la défense qui ont commencé à exprimer
clairement leurs réticences ainsi que leurs intentions
de ne plus déposer devant le TPIR tant que ce représentant
du Rwanda y sera présent".
Deux semaines plus tôt, vingt-neuf détenus avaient
manifesté les mêmes inquiétudes, à
travers une lettre adressée à la présidente
du TPIR, la juge sud-africaine Navanethem Pillay (12) . "Notre
principal souci est que la juridiction que vous présidez
garde son indépendance dans les procès qu'elle
doit conduire et juger, or les dirigeants actuels du régime
rwandais sont des justiciables potentiels du TPIR",
avaient-ils écrit.
Réagissant à ce mouvement d'inquiétude
exprimé à travers les lettres des avocats et
des détenus, le porte-parole du TPIR, le Nigérian
Kingsley Moghalu, avait indiqué à l'agence
Hirondelle que "ces préoccupations sont compréhensibles
mais un peu déplacées". Il avait ajouté
que "le Tribunal n'acceptera aucune situation dans laquelle
son indépendance serait compromise". "Le
Tribunal, plus que quiconque d'autre, a un intérêt
direct dans le maintien de son indépendance judiciaire",
avait poursuivi Kingsley Moghalu.
Le porte-parole du TPIR avait en outre expliqué que
n'importe quel pays membre des Nations unies avait le droit
d'envoyer un observateur au TPIR. "N'importe quel gouvernement
ou Etat peut avoir un observateur officiel. Pourvu qu'il
prenne en charge les coûts", avait-t-il conclu.
Cette nomination du représentant rwandais auprès
de la juridiction internationale fut suivie d'une visite
des juges du TPIR au Rwanda, saluée chaleureusement
par le gouvernement rwandais.
Mais un coup de tonnerre devrait aussitôt déchirer
ce ciel de bonnes intentions : la libération de l'accusé
Jean-Bosco Barayagwiza, ordonnée dans une décision
rendue le 3 novembre par la chambre d'appel du TPIR, avec
effet immédiat et instuction au greffier de prendre
des mesures nécessaires pour qu'il soit remis aux
autorités du Cameroun, pays d'où il avait été transféré
le 19 novembre 1997.
Considéré par le parquet comme l'idéologue
du parti anti-tutsi, la Coalition pour la Défense
de la République (CDR), membre du comité d'initiative
de la radio extrémiste des Mille Collines, Jean-Bosco
Barayagwiza répondait de sept chefs de génocide,
d'entente en vue de commettre le génocide, d'incitation
directe et publique à commettre le génocide
et de crimes contre l'humanité comprenant des pillages.
La Chambre d'appel avait déclaré nul l'acte
d'accusation
établi contre lui.
La réaction du gouvernement ne se fit pas attendre.
Il condamna énergiquement cette libération
et menaça le TPIR de suspendre sa collaboration. Tout
en reconnaissant
à la Chambre d'appel le droit de punir les irrégularités
du Parquet constatées dans le processus judiciaire
pendant sa détention au Cameroun et après son
transfert au Tribunal d'Arusha, le représentant du
gouvernement rwandais soulignait que la Chambre d'appel n'avait
pas tenu compte de la lourdeur des faits dont Barayagwiza était
accusé.
Dans la foulée, le procureur général
Gérard Gahima annonça la suspension de la coopération
du gouvernement rwandais avec le TPIR. Le procureur général
soulignait que "Tout préjudice qu'aurait subi
Barayagwiza dans les prisons camerounaises est négligeable
comparé
à ce qu'ont enduré ses victimes".
Même réaction de Human Rights Watch, l'organisation
de défense des droits humains, basée à
New York, qui déplora "l'incompétence
du parquet du TPIR qui est à l'origine de la libération
d'un suspect de haut rang accusé d'avoir organisé
le génocide au Rwanda".
"Cette décision de la chambre d'appel du TPIR
devrait secouer le parquet et la communauté internationale
en général, en rappelant à chacun le
besoin d'une justice rapide et exemplaire", avait notamment
déclaré
la spécialiste du Rwanda au sein de Human Rights Watch,
Alison Des Forges.
Dans ce climat empoisonné, la nouvelle procureur Carla
Del Ponte put néanmoins obtenir son visa pour visiter
ses bureau à Kigali. Mais les autorités rwandaises
avaient prévenu : elle ne devait pas les rencontrer
avant que la Chambre d'Appel ne revienne sur sa décision.
Elle ne sera pas effectivemnt reçue par une quelconque
autorité
rwandaise durant sa visite de cinq jours à Kigali,
début décembre 1999. C'est à son deuxième
déplacement, début février 2000, qu
'elle sera reçue par le vice-président et homme
fort de Kigali, Paul Kagame, après la révision
du jugement de la Chambre d'Appel.
L'année 2000 ne connaîtra qu'un incident mineur
: la publication par le journal canadien d'un article en
relation avec le mémorendum sur la mort du président
Habyarimana, mémorendum rédigé par un
ancien enquêteur du TPIR.
Pour le reste le TPIR, s'emploiera tout le long de l'année
aux actions visant à redorer son blason au Rwanda.
Parmi ces actions : visite de 20 magistrats rwandais au TPIR,
ouverture
à Kigali par le TPIR d'un centre d'information, lancement
par cette juridiction international d'un programme d'aide
aux victimes du génocide.
En janvier 2001, le gouvernement américain propose
une prime de capture pour quelques personnalités rwandaises
poursuivies pour génocide, décision saluée
par le gouvernement rwandais.
Mais dès le mois de mars, le représentant du
gouvernement rwandais déclarera avoir la conviction
que les détenus du TPIR contribuaient au financement
dela guerre. Plus tard, en décembre, le même
représentant rwandais critiquera le mode de recrutement
des enquêteurs du TPIR : "Nos enquêtes ont
révélé que la majorité des enquêteurs
au TPIR sont des suspects de génocide," dit Ngoga, "et
nous ne sommes pas prêts à tolérer ceci
l'année prochaine".
Toujours en décembre 2001, le représentant
du Rwanda réitère le souhait de son gouvernement
de rapatrier le TPIR à Kigali, reprenant les souhaits
exprimés par le ministre rwandais de la Justice, monsieur
Jean-de-Dieu Mucyo, devant le Conseil de Sécurité
de l'ONU, lors d'un débat consacré au TPIR.
A la même période, un collectif d'associations
de femmes rwandaises " Profemmes Twese Hamwe " publie
un communiqué radiodiffusé demandant des sanctions
exemplaires contre les juges d'une chambre chargée
de juger le groupe de Butare, pour harcèlement de
témoins. Le représentant du gouvernement déclare à
cette occasion que le gouvernement rwandais partage l'inquiétude
de ces associations.
La situation s'envenime en janvier 2002, lorsque l'association
des veuves du génocide AVEGA, de concert avec IBUKA,
collectif des associations de rescapés, annoncent
la suspension de leur collaboration avec le TPIR. Parmi les
reproches au TPIR, AVEGA et IBUKA énumèrent
:
- l'engagement comme enquêteurs du TPIR de personnes
impliquées directement dans le génocide, et
l'engagement comme enquêteurs de la défense
de personnes ayant des relations familiales et parentales
directes avec les présumés auteurs du génocide,
- la sécurité des témoins à charge
à Arusha et après leur témoignage, qui
laisse encore à désirer,
- la persécution et le harcèlement des témoins
à charge, principalement les femmes, en provenance
du Rwanda,
- l'incrimination de l'association IBUKA et de ses associations
membres et leur qualification de groupements de délateurs
par des avocats de la défense, en présence
des juges du tribunal, la non-représentativité des
rescapés devant le cour à Arusha, alors que
ce droit est reconnu aux présumés auteurs du
génocide.
Plusieurs observateurs verront dans cette réaction
une manipulation du gouvernement de Kigali qui, dans le souci
de contrôler le TPIR, et ne voulait plus rater l'exploitation
d'un moindre faux-pas. Parmi les raisons de cette volonté
de contrôler la juridiction internationale, ces observateurs
relevaient la proclamation par le Procureur de son intention
d'inculper les éléments de l'armée du
Front Patriotique Rwandais (le FPR) pour crimes contre l'humanité.
En d'autres termes, ils affirmaient que le gouvernement rwandais
montrait par là qu'il n'entendait pas accepter ces
poursuites que le président Kagame avait pourtant
promises à
Madame Del Ponte quelques mois plus tôt (13) .
Les efforts du Greffier pour amener les associations rwandaises
à revenir sur leurs décisions n'auront aucun
effet. Par ailleurs, une commission mixte mise en place par
le Greffier pour examiner les récriminations de ces
associations n'entrera jamais en fonction.
En juin 2002, le gouvernement rwandais introduit une nouvelle
difficulté en imposant de nouvelles mesures d'octroi
des documents de voyage. Jugeant que les nouvelles mesures
entravent la venue des témoins à Arusha et
entraînent l'impossiblité pour la chambre de
poursuivre son travail, le TPIR ordonne au gouvernement rwandais
de faciliter le voyage des témoins en provenance de
son territoire.
En réponse au haussement du ton par le TPIR, les associations
de victimes du génocide organisent une manifestation
pour protester contre le mauvais fonctionnement du TPIR.
L'agence Hirondelle rapporte le contenu des pancartes des
manifestants :
"Le TPIR est manipulé par la France, pas de place
pour les génocidaires au TPIR, le TPIR a failli à
sa mission, nous décrions les procès inéquitables
du TPIR, le TPIR torpille nos efforts de réconciliation
et de reconstruction nationale, que le TPIR cesse de divulguer
le secret des témoins, nous dénonçons
le traitement humiliant et dégradant infligé aux
témoins à charge, le TPIR bascule dans le négationnisme
et le révisionnisme, pas de justice sans réparation,
halte aux manuvres dilatoires du TPIR, que le TPIR
s'occupe de la sécurité des témoins,
pourquoi le TPIR ne vient-il pas siéger sur les lieux
du génocide?, pourquoi les rescapés ne sont-ils
pas représentés au TPIR ?"
Les extraits d'une pétition lancée par ces
associations semble prouver cette manipulation par le gouvernement
rwandais. L'agence Hirondella rapporte :
"Dans une pétition adressée au TPIR, le
collectif des associations des rescapés du génocide
Ibuka estime que "huit procès achevés
en huit ans, avec un budget colossal de six cent millions
de dollars, est une honte, une parodie de justice".
Ibuka reproche au Tribunal de "faire de plus en plus
une amalgame entre les victimes et les bourreaux, et de semer
la confusion dans les esprits. Comme tout négationniste,
le Tribunal s'oriente vers l'idée de "double
génocide" au Rwanda. C'est une tentative consciente
et délibérée de torpiller les efforts
de reconstruction du pays et de réconciliation du
peuple rwandais". Selon Ibuka, "il apparaît
de plus en plus que le Tribunal d'Arusha a un mandat caché
de déstabiliser notre pays et ses institutions. Avec
de telles visées, il est clair que le tribunal, à
son tour, ne méritera plus la confiance du peuple
rwandais".
Pendant ce temps, le TPIR a modifie certaines de ses règles,
ouvrant ainsi la voie à la possibilité de se
dessaisir de certains dossiers et d'organiser des procès
notamment au Rwanda. Mais rien ne semble infléchir
une volonté
manifeste d'étouffer les activités du Tribunal.
Alors, début août 2002, la présidente
du TPIR, la juge sud-africaine Navanethem Pillay, saisit
le Conseil de sécurité de l'ONU au sujet du "manque
de coopération" du gouvernement rwandais avec
la juridiction internationale.
La lettre de la juge Pillay vient à la suite des plaintes
exprimées quelques jours plus tôt devant le
Conseil de sécurité par le procureur en chef
du TPIR, la Suissesse Carla del Ponte, et par le Haut commissaire
de l'ONU pour les droits de l'homme, l'Irlandaise Mary Robinson (14) .
Dans un rapport publié le 1er août, l'ONG basée
à Bruxelles, International Crisis Group, (ICG), conclut
que les rapports entre le Tribunal international et les autorités
rwandaises représentent un des facteurs de fragilisation
de l'institution. "Les mois qui s'annoncent sont à
haut risque. Le Rwanda doit être fermement rappelé
à son obligation de coopérer avec le TPIR.
Il doit renoncer à toute forme de chantage, comme
le blocage de l'accès aux témoins.", suggère
ICG.
Fin novembre 2002, dans son allocution aux parlementaires
britanniques, Carla Del Ponte confirme sans équivoque
les suppositions de nombreux analystes qui jugeaient que
le véritable point de friction entre les deux parties
concernait les éventuelles poursuites, par le procureur
du TPIR, de l'APR pour crimes de guerre :
"Comme je l'ai déjà indiqué au
Conseil de sécurité, nous avons de bonnes raisons
de croire que des éléments puissants au Rwanda
s'opposent fortement à l'investigation, dans le cadre
de l'exécution du mandat du TPIR, des crimes qu'auraient
commis des membres de l'Armée Patriotique Rwandaise
en 1994" (15).
Et d'ajouter :
"malgré les assurances qui m'ont été
données dans le passé, aucune assistance concrète
n'a été fournie en réponse aux demandes
répétées concernant ces investigations.
Il n'y a aucune volonté politique réelle de
la part des autorités rwandaises d'octroyer l'assistance
dans un domaine de travail qu'elles interprètent comme
étant politique dans sa nature".
Peu avant ces déclarations de la Procureur en chef
du TPIR, le gouvernement rwandais avait publié un
communiqué
virulent reprochant à Carla Del Ponte d'avoir rencontré
à La Haye des représentants du FDLR/ALIR. "
Le FDLR/ALIR/Interahamwe est une organisation terroriste
bien connue, qui estime que le génocide est inachevé
" disait le communiqué, le gouvernement s'estimant
" choqué " par une telle rencontre (16).
La Procureur avait répondu en rappelant son indépendance
et le devoir des autorités de ne pas faire entrave à
la justice :
"Sans faire de commentaires sur mes droits et devoirs
en tant que procureur indépendant, je voudrais exprimer
ma déception. Pour moi, une victime est une victime,
un crime relevant de mon mandat en tant que procureur du
TPIR est un crime, indépendamment de l'identité,
de l'ethnie ou des idées politiques de la personne
qui a commis ledit crime. La justice ne s'accommode pas d'opportunisme
politique. Personne ne doit rester à l'abri des poursuites
pour les pires crimes
Les leaders politiques et militaires du Rwanda devraient
accepter de répondre aux allégations de crimes
qui pourraient avoir été commis de son côté.
S'ils sont réellement prêts à favoriser
la paix et la réconciliation dans leur pays et dans
la région des grands lacs, ils devraient coopérer
avec le TPIR de manière totale et sans conditions" (17).
Peu avant la fin de l'année 2002, une lettre du Conseil
de Sécurité est venue rappeler au gouvernement
rwandais ses obligations de coopérer avec le TPIR.
La coopération a alors repris avec l'envoi des témoins.
Les fêtes de Noël et de Nouvel An semblent avoir
été bénéfiques pour les deux
parties car, en ce début d'année, des visites
jugées positives vienntent d'être effectuées
par la Procureur, puis par le Greffier.
En conclusion
En plus de son problème organisationnel qui
présage toutes sortes de difficultés à respecter
l'échéance de 2008 fixée par le Conseil
de Sécurité, le Tribunal Pénal International
pour le Rwanda se heurte
à une pression de plus en plus forte d'un gouvernement
rwandais qui, de l'avis de bon nombre d'observateurs, est
soucieux avant tout d'éviter le jugement des crimes
commis par les militaires du Front Patriotique Rwandais (FPR).
Si l'année a commencé avec un calme relatif,
nul ne pourrait donc pronostiquer sur la sérénité
des relations entre le TPIR et le gouvernement rwandais dans
les mois à venir.
NOTES
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Source : site du TPIR.
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Source : site du TPIR.
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Le procureur-adjoint
qui, comme le procureur, dispose d'un bureau dans la
section de Kigali, vit à Arusha. Ce que n'apprécient
pas les autorités de Kigali.
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Source : site du TPIR.
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En ce mois de mars
2003, seul le jugement de Ntakirutimana (père
et fils) a
été prononcé en février 2002.
Les procès Kamuhanda, Cyangugu et Kajelijeli sont
encore en cours, tandis que l'affaire Semanza est en
délébéré.
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Le procès des
Médias se poursuit encore en ce mois de mars 2003,
avec l'audition des témoins et des experts-témoins
de la défense. Selon certaines prévisions,
il pourrait être clôturé à la
fin du mois de mai.
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L'affaire de Butare
se poursuit au petit rythme, avec environ un témoin
par semaine. Le 13 mars 2003 comparaissait le 21ème
témoin
à charge.
"Diplomatie judiciaire ne s'est effectivement pas
trompé. Après un démarrage au 2ème
semestre de l'année 2002, avec l'expert-témoin
Alison Des Forges, et l'audition de quelques témoins à
charges, le procès a été reporté
au mois d'avril 2003.
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Selon certaines sources,
ce plan aurait connu une révision draconienne à
la baisse, en raison de l'hostilité manifeste
des bailleurs de fonds.
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Source: le site Internet
de l'agence Hirondelle.
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Ibid.
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Source: le site Internet
de l'agence Hirondelle.
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Lors de ma conférence
à La Sorbonne, j'avais prédit cette crise
consécutive
à cette déclaration de la Procureure du
TPIR.
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Source: site Internet
de l'agence Hirondelle.
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Ibid.
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Ibid.
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Source: le site Internet
de l'agence Hirondelle.