Introduction
:
Les organisateurs m'ont demandé de parler de
la justice rwandaise et de la Gacaca, précisément
des juridictions gacaca. Le sujet est passionnant dans tous
les sens du terme. Car les juridictions gacaca sont un pari
sur l'avenir du Rwanda, au sens où ces juridictions
entreprennent d'épuiser le contentieux du génocide,
alors que les chambres spécialisées créées
pour juger les auteurs présumés du génocide
ont du mal à faire diminuer le nombre de prisonniers
toujours vertigineux. Ces juridictions constituent un pari
car elles visent également la réconciliation
entre les Rwandais.
Le sujet est aussi délicat, car les
juridictions gacaca n'ont pas provoqué un consensus
autour d'elles dans le public, qu'il soit rwandais ou étranger.
Je constate qu'une partie de la diaspora rwandaise a du mal
à accepter que Gacaca constitue l'alternative à
la justice classique, incapable de juger les auteurs du génocide
dans un délai raisonnable.
Pour certains, les juridictions gacaca constituent une sorte
d'amnistie déguisée. Ils estiment que les Hutu,
toujours majoritaires sur les collines, ne vont pas favoriser
l'émergence de la vérité. Pour d'autres,
ce sont des juridictions populaires que va contrôler
le pouvoir, et qui seront utilisées pour culpabiliser
tous les Hutu.
J'interviens quant à moi ici à titre personnel
sans engager l'ONG dans laquelle je travaille ou les associations
dont je suis membre (1).
Les juridictions gacaca créées
par la loi organique du 26 janvier 2001 sont le fruit d'un
long cheminement, d'une longue réflexion, de longs
débats. Des Rwandais de différentes sensibilités
politiques parlent de gacaca depuis 1996 ou même avant.
Personnellement, dans un article très critique sur
le fonctionnement de la justice intitulé "Justice
au Rwanda. Mission Impossible " publié dans le
Magazine d'action pour le développement Défis-Sud
d'avril 1997, j'écrivais : " Le grand nombre
de prévenus du génocide détenus dans
les prisons rwandaises devrait inciter à
penser une autre alternative " Certains mécanismes
de la justice traditionnelle devraient être repensés
et appliqués aux personnes n'ayant pas commis de crimes
de sang". Quatre ans après, je suis heureux de
la création de ces juridictions.
Quels sont, pour le législateur rwandais,
les objectifs des juridictions gacaca? Quelles sont les catégories
de prévenus justiciables de ces juridictions, et enfin
comment les Rwandais voient-ils ces juridictions? Il est
clair que les réponses aux deux premières questions
se trouvent dans la loi même.
Les objectifs
des juridictions gacaca
Le premier objectif de toute loi pénale est la répression
des infractions. Comme toute loi pénale, les juridictions
gacaca visent le jugement des auteurs du génocide
et vont dans le sens de la lutte contre l'impunité,
devenue une culture politique au Rwanda.
Mais les juridictions gacaca ont une originalité
que nous ne trouvons pas dans les législations pénales
ordinaires. Les objectifs spécifiques des juridictions
gacaca sont bien précisés dans l'avant-dernier
paragraphe du préambule de la loi organique du 26
janvier 2001 créant les juridictions gacaca, et dans
les différents articles de cette loi organique. Cet
alinéa mérite d'être lu :
"Considérant la nécessité,
pour parvenir à la réconciliation nationale
et
à la justice au Rwanda, d'éradiquer à jamais
la culture de l'impunité et d'adopter les dispositions
permettant d'assurer les poursuites et le jugement des auteurs
et des complices sans viser seulement la simple répression,
mais aussi la réhabilitation de la société
rwandaise mise en décomposition par les mauvais dirigeants
qui ont incité la population à exterminer une
partie de cette société".
Il se dégage de ce paragraphe et
de l'analyse des différentes dispositions de cette
loi organique, que les objectifs des juridictions gacaca
peuvent se résumer en trois principales missions ; à savoir
: - la recherche de la vérité ; - la récolte
d'informations sur chaque accusé et la catégorisation
des accusés en termes de responsabilité ; -
le jugement des accusés.
A. La
recherche de la vérité
La première mission des juridictions gacaca est de
faire
émerger la vérité de ce qui s'est passé
au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre
1994. En effet, la loi stipule que l'Assemblée générale
de la juridiction gacaca de "cellule" recueille
des informations sur des :
- personnes décédées dans la cellule
;
- des parties civiles de chaque ménage qui résidait
dans la cellule et qui a subi un dommage ;
- des personnes ayant participé au génocide
dans la cellule.
La deuxième mission des juridictions gacaca est de
rassembler le plus grand nombre d'informations sur cette
période tragique de l'Histoire du Rwanda et de mettre
chaque auteur dans la catégorie qui lui revient.
B. La récolte
des informations sur chaque accusé et la catégorisation
des accusés
Quid des catégories ? La loi organique
créant les juridictions gacaca reprend
les catégories de la loi organique du
30 août 1996 sur l'organisation des poursuites
des infractions constitutives du crime de génocide
ou de crimes contre l'humanité. Ces catégories
sont au nombre de quatre (article 51) :
1ère catégorie :
- les personnes que les actes criminels ou de participation
criminelle rangent parmi les planificateurs, les organisateurs,
les incitateurs, les superviseurs et les encadreurs du crime
de génocide ou de crimes contre l'humanité ;
- les personnes qui, agissant en position d'autorité
au niveau national, provincial ou du district, au sein des
partis politiques, de l'armée, des confessions religieuses
ou des milices, ont commis ces infractions ou encouragé
les autres à les commettre ;
- le meurtrier de grand renom qui s'est distingué dans
le milieu où il résidait ou partout où
il passait, à cause du zèle qui l'a caractérisé
dans les tueries ou la méchanceté excessive
avec laquelle elles ont été exécutées
;
- la personne qui a commis l'infraction de viol ou les actes
de tortures sexuelles.
2ème catégorie :
- la personne que les actes criminels ou de participation
criminelle rangent parmi les auteurs, coauteurs ou complices
d'homicides volontaires ou d'atteintes graves contre les
personnes ayant entraîné la mort.
- La personne qui, dans l'intention de donner la mort, a
causé
des blessures ou commis d'autres violences graves mais auxquelles
les victimes n'ont pas succombé.
3ème catégorie :
- la personne ayant commis des actes criminels ou de participation
criminelle la rendant coupable d'autres atteintes graves à
la personne sans l'intention de donner la mort.
4ème catégorie :
- la personne ayant commis des infractions contre les biens.
Les juridictions gacaca doivent récolter
toutes les informations utiles et nécessaires pour
le jugement des accusés. Cette récolte d'informations
se fait au niveau de la cellule. Avec ces informations le
siège de la juridiction gacaca de cellule classe les
accusés dans les quatre catégories citées.
La dernière mission des juridictions gacaca est le
jugement des auteurs présumés.
C. Le
jugement des accusés
Le jugement des auteurs présumés du génocide
se passera comme suit devant les juridictions gacaca :
- les juridictions gacaca de cellule connaîtront
des prévenus appartenant à la quatrième
catégorie, c'est-à-dire les personnes ayant
commis des infractions portant sur les biens. Et la loi précise
que si l'auteur de ces infractions, à la date d'entrée
en vigueur de la loi organique a convenu soit avec la victime
soit devant l'autorité publique ou en arbitrage, d'un
règlement à l'amiable, il ne peut plus être
poursuivi pour les mêmes faits.
- Les juridictions gacaca de secteur connaîtront des
jugements des personnes classées dans la troisième
catégorie (actes criminels sans intention de donner
la mort) ;
- Les juridictions gacaca de district connaîtront des
jugements des prévenus classés dans la deuxième
catégorie (homicides volontaires, actes criminels
visant la mort de la victime même si cette dernière
n'est pas morte).
Les auteurs présumés du génocide
appartenant à la première catégorie
continueront
à être justiciables devant les tribunaux de
première instance, donc par la justice dite classique.
Je disais au début que les défis des juridictions
gacaca sont nombreux. La recherche de la vérité
est le plus important. La loi organique créant les
juridictions gacaca prévoit une procédure qu'elle
estime capable de favoriser la recherche de la vérité et
la réconciliation nationale. Il s'agit de l'aveu.
La sagesse des peuples dit que celui qui avoue est à
moitié pardonné. La loi organique sur les juridictions
gacaca privilégie cette procédure en donnant
aux auteurs qui y recourent une réduction sensible
de la peine. Mais pour bénéficier de la réduction
de la peine, l'aveu doit être fait dans les deux ans
après la publication au Journal officiel de la République
de la loi sur les juridictions gacaca, c'est-à-dire
avant le 15 mars 2003 puisque la loi a été publiée
le 15 mars 2001 ! Personnellement je regrette cette limite
car l'aveu est aussi un processus psychologique. Il faut
donner le temps au bourreau de faire son "entrée
intérieure". L'intention du législateur
est claire. L'aveu favorise la réconciliation mais
l'intérêt premier de l'aveu reste l'accélération
des procès (2). Cet
aveu est un exercice important car il libère la parole.
En effet, lors des jugements gacaca les aveux seront lus
publiquement et toutes les personnes présentes, y
compris l'accusé
lui-même, seront appelées à réagir.
La procédure d'aveu va marquer les jugements devant
les Gacaca. En effet, les prévenus de la 4ème
catégorie qui auront avoué ne seront pas sanctionnés,
alors que le code pénal rwandais est sévère
pour cette infraction (3).
Les accusés de la 3ème catégorie qui
auront avoué avant de figurer sur la liste des accusés
pourront être condamnés d'une année à
trois ans de prison. Si l'aveu est fait après que
le nom de l'accusé ait figuré sur la liste
des accusés, la peine sera de 3 ans à 5 ans.
S'il n'y a pas d'aveu la peine est de 5 à 7 ans.
Les accusés de la 2ème catégorie
seront punis de 7 à 12 ans d'enfermement si l'aveu
a
été fait avant la constitution de la liste
des accusés. Seule la moitié de la peine sera
passée en prison tandis que le reste sera commué en
prestation de travaux d'intérêt général.
Cette peine sera de 12 ans à 15 ans si l'aveu est
fait après la confection de la liste des accusés.
S'il n'y a pas d'aveu ou si l'aveu est rejeté, la
peine sera de 25 ans d'emprisonnement à la perpétuité.
Les juridictions gacaca ne seront pas qu'un exercice judiciaire.
Elles représenteront également un exercice
de démocratie. En s'appropriant la justice du génocide,
la population rwandaise prendra également conscience
de sa responsabilité dans cette tragédie mais
également de son rôle dans la reconstruction
surtout morale du pays. En effet, lors des jugements devant
les juridictions gacaca toute la population intéressée
pourra participer, prendre la parole. Il ne s'agira pas seulement
des juges élus mais de l'ensemble de la population.
Enfin, les juridictions gacaca donnent une
place importante à la mémoire des victimes,
car le premier devoir de l'assemblée générale
de la juridiction gacaca de cellule est l'identification
des personnes tuées dans la cellule pendant le génocide.
Ce travail de mémoire est important car les victimes
du génocide sont toujours réduites au chiffre.
Les survivants souhaitent qu'il y ait une liste nominative
de toutes les victimes du génocide. Ce travail sera
enfin fait par les juridictions gacaca.
Comment les
Rwandais voient-ils le processus gacaca ?
J'ai effleuré la question en disant que les juridictions
gacaca n'ont pas encore suscité un consensus. Certains
y voient une justice populaire aveugle ; d'autres une amnistie
déguisée. Certains rescapés estiment
que le nombre d'assassins en liberté est plus important
que celui de ceux qui sont en prison. Rappelons que les prisons
rwandaises comptent plus de 100.000 personnes. Pour ces rescapés,
les assassins en liberté vont empêcher l'émergence
de la vérité lors des procès gacaca (4). Une
des organisations politiques de l'opposition rwandaise dit
que le Front Patriotique Rwandais a instauré une justice
de vainqueurs sur le vaincu en instaurant le système
judiciaire gacaca qu'il est parvenu à vendre à
certains pays occidentaux. Un autre mouvement intitulé
"Un groupe d'associations" écrit : "Le
retour à la juridiction de 'GACACA' est une prétention
de défi à la modernité, une façon
de priver les Rwandais des acquis de la modernité dans
l'exercice de la justice donc un non-respect du droit inaliénable
de la personne humaine et une preuve tangible d'absence de
démocratie" (5) .
Mais cette organisation politique (RDR), tout comme d'autres
qui s'opposent aux juridictions gacaca, ne propose pas une
autre alternative.
Il est remarquable que la majorité des prisonniers
- qui sont les parties les plus concernées par ces
juridictions - aient confiance dans le système. Cela
se voit à
travers certaines initiatives du parquet de présenter
des prisonniers à la population.
Une autre inquiétude légitime ressentie au
sein de la diaspora rwandaise concerne les crimes qui ne
sont pas le génocide, à savoir les violations
aux conventions de Genève ou plus simplement les crimes
de guerre. On sait que les militaires du Front Patriotique
Rwandais ont tué
des populations civiles dans certains endroits du Rwanda
durant la période couverte par les juridictions gacaca
et même au-delà. Les militaires des ex-Forces
Armées Rwandaises sont également concernés,
avec la particularité
que ceux qui sont prévenus de crimes de guerre le
sont
également pour le génocide. Les militaires
appartenant aux trois catégories justiciables devant
les juridictions gacaca seront-ils jugés par ces juridictions
? L'article 47 de la loi organique instituant les juridictions
gacaca stipule que les dossiers instruits par les auditorats
militaires sont transmis aux juridictions gacaca de la Cellule.
L'article 96 de cette loi complète l'article 47 en
stipulant que :
"Les Chambres spécialisées des Tribunaux
de Première instance et les juridictions militaires
ainsi que les Parquets prévus par la loi organique
n¡08/96 du 30 août 1996 sur l'organisation des
poursuites des infractions constitutives du crime de génocide
ou de crimes contre l'humanité, commises à partir
du 1er octobre 1990 sont supprimés". L'article
48 est plus explicite : "Les dossiers instruits par
les parquets et les auditorats militaires et non encore transmis
aux juridictions compétentes à la date d'entrée
en vigueur de la présente loi organique, doivent être
immédiatement transmis aux 'Juridictions Gacaca' des
Cellules aux fins de la catégorisation "
Donc les militaires des deux camps au conflit entre le 1er
octobre 1990 (début de la guerre civile) et le 31
décembre 1994 seront justiciables devant les juridictions
gacaca si ces militaires appartiennent aux catégories
2, 3 et 4. Ceux qui parlent toujours de justice des vainqueurs
devront accepter que cette vieille chanson n'a pas vraiment
de place. Les vaincus et les vainqueurs coupables de crimes
les classant dans les 2ème, 3ème et 4ème
catégories seront justiciables devant les juridictions
gacaca. C'est ainsi que j'interprète les articles
47 et 48 que je trouve d'ailleurs fondés. Le Rwanda
a besoin d'une justice pour toutes les victimes et doit rompre
avec la culture de l'impunité
dont ont toujours joui ceux qui disposaient du pouvoir, donc
de la force. Mais leur jugement dépendra du courage
de la population et de l'attitude des autorités. Ce
sera un des signes de l'indépendance de ces juges
et de l'espoir pour le Rwanda de sortir de cette culture
de l'impunité.
Les défis des juridictions gacaca
sont nombreux : la recherche de la vérité,
la cohabitation des souffrances (6),
la cohésion sociale et la problématique des
réparations. Ces défis passent par l'éveil
de la population
à cette responsabilité de juger, et par sa
capacité
d'indépendance propre à tout système
judiciaire, vis-à-vis des autres pouvoirs et de ses
propres liens de solidarité ! C'est à mon avis
le grand défi des juridictions gacaca.
Conclusion
Ma confiance dans les juridictions gacaca ne relève
pas de l'aveuglement ou de l'exaltation. Un certain nombre
d'éléments contextuels risquent d'avoir un
impact sur le déroulement des procès devant
les juridictions gacaca. Le succès de ces jugements
dépendra du degré d'indépendance des
juges élus. Dans la phase préparatoire de sensibilisation,
l'autorité politique et administrative a dû être
active pour convaincre la population qu'elle doit s'approprier
cette justice; mais elle doit être moins visible pendant
les jugements, pour que les juges remplissent leur mission
en toute indépendance. Or la classe politique rwandaise
est toujours marquée par des tensions. Espérons
qu'elle ne voudra pas régler ses comptes à travers
ces jugements dont dépend en quelque sorte l'avenir
du pays. La Communauté internationale devrait aider
le gouvernement rwandais financièrement et matériellement
car ces jugements vont demander une logistique énorme
; mais elle devra être également vigilante et être
capable de réagir en cas de dérapages (7).
NOTES
-
Voir www.rcn-ong.be.
-
C'est la loi de 1996
qui a introduit la procédure d'aveu. Dans certains
endroits l'aveu a accéléré les procédures
mais dans d'autres non. Certaines personnes pensent que
les personnes qui n'ont pas avoué huit ans après
le génocide n'avoueront jamais mais qui sait !
Il faut laisser le temps au bourreau; entre temps on
jugera ceux qui ont avoué et â qui la loi
offre des avantages importants en terme de réduction
de la peine.
-
Le vol commis sans violence
est puni par le code pénal rwandais d'une peine
d'un emprisonnement de 5 ans au maximum et d'une amende
qui ne dépasse pas dix mille francs ou de l'une
de ces peines seulement (article 399). La destruction
de biens est punie de 3 mois â un an d'emprisonnement
(voir l'article 445 du Code pénal et suivants)
-
Cet argument est véhiculé
par des rescapés qui, aveuglés par leur
douleur, soupçonnent tous les Hutu de complicité de
génocide, et par une partie de la diaspora hutu
qui a quitté
le Rwanda après le génocide. Cette dernière
accuse certains militaires du Front patriotique rwandais
de
"travailler" avec des génocidaires en
liberté
pour dénoncer des Hutu innocents que l'on oblige â
quitter le pays et abandonner leurs biens Pour ces Rwandais
qui ont quitté récemment le Rwanda, il
y aurait des assassins en liberté et qui le sont
par la complicité
de ceux qui ont la mission de les arrêter. Mon
propos, là encore, n'est pas de dire que telles
ou telles critiques sont fondées ou non, mais
de rappeler une fois de plus que Gacaca est le lieu idéal
pour confronter toutes ces contradictions, toutes ces
vérités multiples desquelles se dégagera
la Vérité.
-
Un groupement d'association
dénonce, "Y aura-t-il une fin au drame rwandais
? La justice, la paix, la réconciliation, la démocratie,
le développement, où en est le Rwanda en
2001?", Buzet, 4 avril 2001.
-
La coexistence des souffrances
au Rwanda après le génocide est très
compliquée. Il y a des rescapés du génocide
(veufs, veuves, orphelins), mais également des
rescapés Hutu des massacres qui ont accompagné le
génocide (des Hutu ont été tués
par des extrémistes Hutu ; d'autres par des militaires
du FPR), des gens dont les leurs ont été massacrés
dans les camps de réfugiés dans l'ex-Zaïre,
sans oublier les veuves dont les maris sont morts dans
les prisons avant les jugements. Toutes ces personnes
se retrouvent face
â face lors des procès gacaca.
Il serait bien qu'au sein des juridictions de la cellule,
les membres de l'assemblée générale
pensent
â parler des "Justes", ceux qui ont sauvé
les gens, qui ont refusé de participer au génocide
et dont beaucoup l'ont payé de leur vie. Le Gouvernement
rwandais en identifié quelques uns. Mais est-ce
son travail ? Certaines associations en parlent, mais
est-ce leur rôle? On a vu que dans certains procès,
des rescapés ont parlé de ceux qui les
ont sauvés, mais que d'autres considéraient
comme des assassins. Il est exact que certains bourreaux
ont sauvé des gens mais qu'ils en ont assassiné d'autres.
Personnellement, je pense que la juridiction Gacaca de
cellule est l'endroit légitime pour parler de
ces héros qui "gênent", parce
qu'ils ont montré que pendant le génocide
il y avait un choix pour ceux qui n'étaient pas
menacés. Tout en reconnaissant la coexistence
des souffrances, tout en réclamant la réparation
pour toutes les victimes, je crois que l'avenir du Rwanda
doit se reconstruire sur ces actes positifs, et non sur
une victimisation de toute la Communauté
rwandaise â laquelle je ne prétends pas échapper.
-
Des organisations non
gouvernementales internationales et nationales se sont
impliquées aux côtés du Ministère
rwandais de la justice dans ce processus. Cet appui est
légitime, mais il faudrait que les Organisations
de défense des droits de l'homme s'impliquent également.
Les enjeux des juridictions gacaca sont énormes
et dépassent les frontières du Rwanda.
Si les juridictions gacaca réussissent, cette
expérience pourrait s'appliquer dans d'autres
pays africains qui connaissent des violations graves
et massives du droit international humanitaire.