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L'intervention française au Rwanda : information et décision politique

Par J.-F. Dupaquier. Publié dans Des crimes contre l'humanité en République française, L'Harmattan, 2006. J. F. Dupaquier est journaliste et président de l'association Mémorial International. Ce texte est publié dans Des crimes contre l'humanité en République française C. Coquio/C. Guillaume éd., L'Harmattan, coll. "Questions contemporaines", 2006.

« La France a trempé ses mains aussi loin que possible dans le sang des Rwandais »  résumait l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop (1) . Nous ne reviendrons pas ici sur la question des responsabilités de l’État français dans le soutien à l’État criminel rwandais entre 1990 et 1994 et même plus tard, lorsque ce soutien s’est exercé au profit de l’organisation génocidaire réfugiée au Zaïre, ou encore dans l’animosité sournoise et constante manifestée par divers organes de l’État français après 1994 pour entraver toute chance de construction d’un État rwandais démocratique. Cela reviendrait à répéter une fois encore des évidences. Il nous paraît ici plus important d’examiner les processus de fabrication de la décision politique et de l’intervention militaire française qui conduisent progressivement à ce que le génocide de 1994 apparaisse, à l’issue de dérives successives, comme « l’intérêt de la France » au Rwanda. On pourrait s’interroger sur les raisons de l’absence de contre-pouvoir, le rôle du Parlement, de la presse, de l’opinion publique…

À cet égard, les auditions de la mission d’information parlementaire conduite en 1998 par Paul Quilès (2) , ancien ministre de la Défense, constituent une source documentaire d’un grand intérêt malgré certaines lacunes du travail des parlementaires, ces lacunes et ces insuffisances étant elles-mêmes souvent révélatrices des pesanteurs et des dysfonctionnements de ce qu’il est convenu d’appeler la « politique africaine de la France ». Les ouvrages de François-Xavier Verschave ont par ailleurs excellemment démontré les causes et les mécanismes de ces dérives.

La décision de l’intervention française au Rwanda et les conditions de cette décision méritent que nous nous y arrêtions, car tout le drame se noue alors pour les quatre années 1990 à 1993.

L’origine de l’intervention française au Rwanda

La déclaration de Maurice Schmitt, chef d’état-major des armées jusqu’au 23 avril 1991, et à ce titre responsable de la mise en place de l’opération Noroît, est particulièrement éclairante. Selon lui, cette opération répondait à« des informations du colonel René Galinié, selon lesquelles des affrontements entre Hutu et Tutsi à Kigali, qui faisaient suite à une attaque du FPR, pouvaient mettre en danger la vie de ressortissants étrangers, et en particulier de ressortissants français ». Maurice Schmitt précise que le 3 octobre 1990, il participait à un voyage de François Mitterrand au Moyen-Orient avec Jean-Pierre Chevènement, Roland Dumas et Hubert Védrine, ainsi que l’amiral Jacques Lanxade. Le 4 octobre, un déjeuner est prévu avec avec le roi Fahd d’Arabie. Juste avant, deux messages arrivent de l’Élysée et de l’état-major aux armées, « ces messages précisant que des risques graves d’exactions existaient à Kigali et que le président Habyarimana demandait l’intervention de l’armée française », affirme Maurice Schmitt.
Le général Schmitt précise :

« Un mini conseil de défense très bref s’est tenu sur l’heure à Ryad, sous la présidence du président de la République, à la suite duquel l’ordre a été donné d’envoyer au plus vite deux compagnies à Kigali avec la mission de protéger les Européens, les installations françaises, et de contrôler l’aérodrome et d’assurer l’évacuation des Français et des étrangers qui le demandent. Ces troupes ne devaient en aucun cas se mêler des questions de maintien de l’ordre, qui étaient du ressort du gouvernement rwandais. »

Réflexion rapide, suite rapide. Le général Schmitt précise encore que ces deux compagnies, parties de Bouar, étaient arrivées le soir même à Kigali.
On se demande sur quelles informations une décision d’une telle importance a été prise aussi rapidement, la DGSE n’ayant à cette date guère d’informations sur le Rwanda, et l’avis de l’attaché de Défense étant, on le découvrira à l’occasion de son audition, beaucoup plus réservé sur la nécessité de cette opération militaire que ne l’affirme, huit ans plus tard, le général Schmitt.

Autre singularité, le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, n’a pas été consulté ni même informé de la décision d’intervention militaire. C’est ce qu’il déclare à la mission parlementaire, précisant qu’il a appris par la presse la décision présidentielle (un mode de fonctionnement de l’État français que l’on croyait l’apanage des républiques bananières).
Il semble que les membres du gouvernement et les Premiers ministres qui se sont succédés entre 1990 et 1994 aient fait preuve d’une médiocre curiosité sur le dossier des interventions françaises au Rwanda, au nom du « domaine réservé ». Le manque d’informations est patent à l’audition des ministres et Premiers ministres concernés. Interrogé le 21 avril, l’ancien Premier ministre Édouard Balladur « souhaite avoir accès aux documents officiels qui portent la trace de l’ensemble des décisions qui regardent cette période ». Que ne l’avait-il demandé en exerçant ses responsabilités à Matignon…

Un autre ancien Premier ministre français, Pierre Messmer, analyse ce mode très particulier de fonctionnement des institutions, (à peine entamé par les règles de la « cohabitation ») dans un ouvrage très intéressant, Les Blancs s’en vont, récits de décolonisation (3) . Selon lui, il s’agit d’un archaïsme lié à la gestion très particulière de la politique africaine de la France concernant ce qu’on appelle « les pays du champ ». Il y porte une appréciation personnelle sur l’attitude du chef de l’État français concernant cette zone : « Je disais et je maintiens que François Mitterrand était un maniaque de la gesticulation militaire en Afrique. » Et Pierre Messmer ajoute : « Un homme d’État doit être jugé sur les résultats de sa politique […]. L’idée qu’il se faisait de l’Afrique était complètement dépassée ».

Quelle était donc cette idée, et sur quelles informations reposait la décision prise dans les conditions que rapporte le général Schmitt, et qui allait aboutir, au terme de dérapages successifs, à un appui direct à une dictature préparant le génocide de 1994 ?
En d’autres termes, quelle est l’étendue et quelle est la pertinence des informations qui permettent au président de la République et au gouvernement de trouver les fondements de décisions d’interventions militaires dans un pays lointain et peu connu ? Pays peu connu à la fois par le personnel politique, par la presse et par l’opinion publique.

Rappelons que les informations des autorités politiques françaises peuvent provenir de quatre sources principales :
– Contacts directs à l’occasion de rencontres en France ou au Rwanda avec les autorités politiques de ce pays.
– Renseignements glanés auprès des africanistes, des journalistes, des ONG, des défenseurs des droits de l’homme, etc.
– Rapports des ambassadeurs et chargés de missions.
– Rapports des services de renseignements civils (DGSE) ou militaires (DRM).

Tout ceci n’évacue pas la force des préjugés, des souvenirs scolaires et livresques plus ou moins vagues, des idées toutes faites, des racontars, des fantasmes, qui constituent un ensemble de représentations de l’Afrique particulièrement prévalants, y compris chez les élites politiques.
L’analyse des auditions de la Mission permet de constater que certaines sources d’information seront pratiquement toujours écartées, comme si elles émanaient de personnalités perçues comme « hostiles à la France », dans un contexte où l’État français devait se considérer en situation de guerre. De nombreux acteurs de la politique française entendus par la Mission d’information (certains même siégeant parmi les membres de la Mission !) semblent considérer que les émetteurs de messages sur le Rwanda peuvent être catalogués en deux « camps », d’une part celui des amis et d’autre part celui des adversaires de la France. Cette vision purement manichéenne et manipulatrice évacue évidemment le contenu de l’information en instrumentalisant ses porteurs.

Durant toute l’opération Noroît, les télégrammes militaires examinés par la Mission décrivent le FPR comme l’ennemi. Il y a lieu de penser que cette vision exclusivement militaire et antagoniste a pesé sur l’orientation du Renseignement, mais également sur le comportement des militaires (parfois les mêmes, notamment au niveau de commandement) engagés dans les opérations Noroît, Amaryllis et Turquoise.
Les avis des journalistes et des ONG sur le risque de génocide au Rwanda ont été délibérément écartés. Les avertissements des défenseurs des droits de l’Homme, en particulier de la mission conduite par la FIDH au début de 1993, ont été ignorés, voire même traités avec ironie et suspicion.

L’audition du général Jean-Pierre Huchon, chef de la mission militaire de coopération au moment du génocide, confirme la permanence de cette attitude. Alors que le 13 mai 1994, le Premier ministre Alain Juppé emploie pour la première fois le mot de génocide, le général Huchon déclare « qu’il avait communication d’informations à travers la presse, et surtout à travers les organisations humanitaires, mais il s’est interrogé sur le degré de fiabilité de celles-ci. » Quelle perspicacité, plus d’un mois après le début des massacres massifs…

Pour des raisons culturellement et historiquement compréhensibles, sinon toujours justifiables, les services français de Renseignement militaire considèrent avec méfiance ou hostilité les avis et informations des organisations de défense des droits de l’Homme. Mais cette prévention est à l’évidence partagée par les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs directs du président de la République concernés par le dossier Rwanda durant la période 1990-1994 et plus tard. Les voix divergentes sont écartées ou réduites au silence. Les réponses des intéressés lors des auditions de la Mission d’information sont loin de faire la lumière sur ce problème. Le caractère insuffisant, partial ou gravement erroné, des informations communiquées aux autorités, apparaît de façon criante au fil des dépositions devant la mission d’information parlementaire.

L’un des épisodes les plus caractéristiques de ces lacunes est la gestion de la fausse attaque de Kigali par le FPR dans la nuit du 4 au 5octobre 1990. Je rappelle qu’il s’agit, et ce n’est évidemment pas un hasard, de la nuit qui suit l’arrivée des premiers soldats français de l’opération Noroît. Des coups de feu ont été tirés durant plusieurs heures dans la capitale, y compris sur la façade de bâtiments diplomatiques français, sans qu’on relève le lendemain un seul mort ou blessé. Dès le 5 octobre, il apparaîtra clairement qu’il s’agissait d’une provocation du gouvernement rwandais, encouragé par la présence des militaires français, pour légitimer l’arrestation massive des Tutsi de la capitale. Christophe Mfizi, alors directeur de l’Office rwandais d’information (auditionné par la Mission), est le premier convaincu que les militaires français ont été l’objet d’un montage. Pourtant, huit ans plus tard, l’amiral Lanxade (chef d’état major particulier du président de la République à cette époque, puis chef d’état-major des armées) reconnaît seulement devant la Mission d’information que « l’on pouvait avoir un doute sur la nature et l’origine des incidents dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990». Il est le seul à avoir ce qu’il appelle « un doute ». Au contraire, tous les acteurs officiels français du dossier Rwanda, à commencer par les militaires, s’évertueront durant la crise à défendre la thèse du régime Habyarimana de l’attaque contre Kigali. Ce faisant, ils adhèrent à un complot dont leur pays n’est pas forcément bénéficiaire et dont le chef de l’État français sera plus ou moins dupe.

En 1998, devant la mission d’information parlementaire, les services français du Renseignement militaire affirmaient encore n’avoir pas d’avis sur la fausse attaque du 5 octobre. On constate d’ailleurs que de 1990 à 1994, les militaires français montrent une grande difficulté à porter un regard critique sur les informations fournies par le gouvernement rwandais. Il semble impossible que cette attitude contraire à l’évidence et à toutes les règles du renseignement ne soit pas dictée par de solides intérêts. Rappelons à cet égard que la solde d’un militaire français en opération au Rwanda est multipliée par quatre à cinq, comme c’est le cas en Bosnie, mais que la part dépassant le niveau en France n’est pas soumise à impôt sur le revenu. Ainsi un colonel touche-t-il mensuellement environ 80000 F, mais il ne paye l’impôt sur le revenu que pour 20000 à 25000 F. De nombreux autres avantages de résidence, de promotion, de retraite, etc, sont liés à ce type d’opération. Confier à l’armée française et à son service de renseignement militaire le soin d’informer l’État français sur la nécessité de l’opération Noroît et sur la nécessité de maintenir sur place des militaires français ne peut évidemment manquer de susciter des conflits entre les intérêts catégoriels des militaires et l’intérêt supérieur de l’État. C’est ce que l’on pourrait appeler la primauté d’une logique d’intérêts matériels sur l’idéologie, si l’idéologie n’était pas la mise en forme d’intérêts…

Au fil des dépositions des responsables militaires français qui étaient présents au Rwanda, leur manque de pragmatisme en matière de renseignement ne manque pas de surprendre. Il semble fortement encouragé par la réceptivité des autorités politiques françaises à tout message justifiant l’intervention armée de la France au Rwanda. Certaines remarques de personnes auditionnées conduisent à penser que le « domaine réservé » de la politique africaine permet aussi à des acteurs civils non politiques de se livrer à un « jeu de guerre » en filtrant systématiquement les informations qui risqueraient de limiter leur marge de manœuvre. Pour justifier ce jeu, ils survalorisent la guerre d’influence entre la France et « le monde anglo-saxon » en Afrique. Pour le petit monde de la « Françafrique » qui a fait du syndrôme de Fachoda son fond de commerce, contenir les anglophones, défendre la francophonie reste le meilleur rideau de fumée élevé devant l’accumulation de prébendes et la mise en coupe réglée des jeunes nations africaines.

Le refus d’entendre les voix discordantes

Le témoignage du général Jean Varret, ancien chef de la Mission militaire de Coopération (octobre 1990 à avril 1993) et attaché de Défense, provoque de nombreuses interrogations sur les causes et les conditions de son limogeage en 1993. Résumé de la Mission : « le général Jean Varret a expliqué qu’il avait donné des instructions au DAMI, à la suite de quoi on lui avait indiqué que ses instructions n’étaient pas les bonnes et on lui avait retiré son commandement. »
À la question : qui est ce « on », il répond « mon ministre ».
Cet épisode est important et mérite de retenir l’attention. Le général Jean Varret aurait à cette époque reçu des informations signalant la participation directe de militaires français aux opérations contre le FPR (ces militaires français se seraient vantés de leur participation aux combats). Le général Varret aurait alors rappelé au DAMI sa détermination à sanctionner tout manquement « à la stricte définition de sa mission. »
Suite du résumé de l’audition du général Varret : « À son retour à Paris, le ministère lui a demandé de ne plus s’occuper de cette affaire ». Notons que la mission du général Varret s’achevait en principe en juillet-août 1993. Quelle urgence nécessitait un désaveu public (auparavant, il avait été question qu’il accomplisse une quatrième année, à la demande de l’amiral Lanxade) ?

Le procès-verbal d’audition du général Jean Varret provoque de nombreuses questions sur l’existence d’un lobby au sein de l’armée française, poussant à un engagement accru au Rwanda et fermant délibérément les yeux sur les dérives autoritaires du régime rwandais, comme sur certains dérapages sémantiques (le général Rwagafilita appelait ouvertement les Tutsi « la cinquième colonne »).

Le colonel René Galinié évoque devant la Mission d’information parlementaire « la menace de massacre de Tutsis qui planait en permanence, comme l’indiquent les messages envoyés à l’époque. » Il précise qu’il avait déjà fait état,  « en janvier 1990, dans son rapport d’attaché de Défense, de ce risque d’élimination physique et de massacres. » Pourquoi ses successeurs n’évoquent-ils plus cette menace, alors qu’elle n’a cessé de s’accentuer ?

Le préfet Claude Silberzahn, alors chef de la DGSE, soulève des interrogations sur l’existence d’un lobby qui aurait filtré les informations sur la situation au Rwanda, afin d’inciter les autorités françaises à poursuivre plus avant l’engagement militaire de notre pays. Les services de la DGSE « avaient regretté, dès 1991, l’engagement croissant de l’appareil militaire français dans l’affaire du Rwanda, les services de la DGSE avaient préconisé par écrit et par oral, dès 1992, le désengagement militaire de la France et prévu, dès cette même année, le retour victorieux des émigrés de l’Ouganda. Si elle avait fait entendre sa voix, la DGSE n’avait pas véritablement été entendue […] M. Claude Silberzahn a estimé que la DGSE ne saurait porter la responsabilité de ce qu’il a qualifié de ‘bavure d’ingérence’, essentiellement due, selon lui, à un appareil militaire français présomptueux sur ses moyens, décalé par rapport à la réalité, inconscient de son ignorance du terrain. »C’est l’ancien patron de la DGSE qui emploie ces termes !

L’obsession d’un complot anglo-saxon contre la francophonie

Certains acteurs entendus par la Mission d’information ont mis en relief l’obsession anti-américaine du président de la République, obsession qui aurait été relayée par les différents intervenants du dossier Rwanda. Ainsi François Léotard :

« De toutes les conversations que j’ai pu avoir avec le président Mitterrand – c’est toujours délicat car le président Mitterrand n’est plus là –, la personne qui définissait avec le plus de précision les rapports de force avec les anglo-saxons et nous dans cette région, c’était le président de la République, avec un grand sens de la stratégie et de l’histoire. Le président de la République avait une conception géostratégique de cette région tout à fait précise, culturellement et historiquement étayée, qu’il exprimait sans cesse dans les conseils de défense ».

Le témoignage de l’amiral Lanxade, chef d’état-major particulier du président de la République d’avril 1989 à avril 1991, puis chef d’état-major des armées d’avril 1991 à septembre 1995, confirme cette appréciation : « Le président considérait que l’agression du FPR était une action déterminée contre une zone francophone à laquelle il convenait de s’opposer ».

Le « complot américain » ou « anglo-américain » contre la France est une obsession récurrente du débat politique français, mais qui semble avoir atteint son paroxysme avec l’intervention au Rwanda. On en trouve la trace dans divers propos privés des acteurs politiques de la crise, mais aussi dans de nombreux articles de presse « inspirés » ou dans des dérapages sémantiques délibérés, comme la qualification des combattants du FPR de « Khmers Noirs », mélangeant obsession anti-américaine et phobie anticommuniste.

Or nous ne sommes pas ici dans un jeu de rôles mais dans la préparation d’un génocide. Le caractère obsédant, et parfois presque fanatique, du thème du « complot anglo-saxon contre la France », rend illisibles les intentions et actions des acteurs locaux des conflits. Mais n’est-ce pas son but ?

Les faiblesses structurelles du Renseignement militaire français au Rwanda

Curieusement, en juin 1993, lorsque le préfet Jacques Dewatre prend ses fonctions à la tête de la DGSE, aucune autorité politique ne mentionne le Rwanda comme priorité en Afrique, alors que la France y maintient encore un détachement militaire de plusieurs centaines d’hommes. Il serait intéressant d’interroger le Premier ministre de l’époque et ses ministres, concernés sur cette lacune.

Devant la Mission d’information, un officier s’étonne encore, le 17 juin 1998, du manque d’informations des forces françaises sur la situation au Rwanda, ce qui, selon lui, fut une des raisons de l’engagement des forces spéciales, chargées d’acquérir du renseignement militaire. Lors de l’audition du colonel Didier Tauzin, chef du groupe 1 de Turquoise, est signalée l’absence de communications directes entre le DAMI et la Mission militaire de coopération (MMC). Didier Tauzin est alors auditeur à l’Institut des hautes études de Défense nationale. Il a été un acteur important de l’engagement militaire français au Rwanda comme chef de corps du 1er régiment parachutiste d’infanterie de Marine du 12 décembre 1992 au 28 juillet 1997. Il a commandé le DAMI Panda en février-mars 1993.

Le colonel Didier Tauzin a été également conseiller militaire du président Buyoya au Burundi. À tous ces titres, il est dans l’armée française l’un de meilleurs connaisseurs de l’Afrique des Grands Lacs, et particulièrement bien placé pour porter une analyse sur les dysfonctionnements de l’information et du Renseignement militaires français au Rwanda.

Interrogé par les parlementaires, le colonel Tauzin se livre à d’instructives considérations sur les effectifs et les circuits de commandement. Ses rares appréciations sur les enjeux humains prêtent cependant à discussion, par exemple quand il affirme abruptement : « Par ailleurs les Tutsi sont par nature des guerriers, ce qui n’est pas le cas des Hutu ». Cette évaluation d’une situation militaire par l’atavisme plus ou moins guerrier des divers protagonistes ne manque pas d’inquiéter de la part d’un militaire de haut rang qui a été conseiller d’un chef d’État de la région et peut-être l’un des informateurs du Renseignement militaire.

À cet égard, la déposition du général Jean Heinrich, directeur du Renseignement militaire depuis sa fondation, en juin 1992, jusqu’en décembre 1993, date de la fin de l’opération Noroît (faut-il n’y voir qu’une coïncidence ?), mérite d’être largement citée.

L’autosatisfaction du Renseignement militaire

Le général Jean Heinrich ne manque pas de déclarer que le Renseignement militaire possédait une équipe et notamment un expert africaniste de la zone de très grande qualité.
 « Les services de renseignement français s’étaient rapidement rendus compte qu’ils étaient parmi les mieux, voire les mieux informés de la situation au Rwanda, leur renseignements étaient nettement supérieurs à ceux que pouvaient avoir les Américains ou les Allemands. »

L’ex-directeur du Renseignement militaire témoigne pourtant d’une connaissance quelque peu embryonnaire de la société politique et de l’histoire rwandaises lorsqu’il est invité à analyser le génocide : 
« Quant à savoir si la direction du Renseignement militaire avait prévu les événements d’avril-mai 1994, le général Jean Heinrich a déclaré qu’elle ne les avait certainement pas prévus dans leur ampleur, l’irrationnel ne pouvant être totalement prévu (sic) mais que les prémisses de novembre 1993 étaient annonciatrices au moins d’exactions, le FPR ayant déjà à cette époque commis des actions de ce type dans la région de Ruhengeri et de Gisenyi ».

Cette explication est curieuse, le FPR n’étant pas le seul belligérant à avoir commis à cette date des exactions dans la région Est du Rwanda (le général Heinrich semble oublier que des militaires français ont été les témoins directs d’exécutions de Tutsi Bagogwe lors de la vague de massacre des Bagogwe en 1992), notamment dans l’enceinte du camp lui-même appelé Bagogwe, où est alors basé un détachement français.

Surtout, le génocide de 1994 n’a rien, au plan politique, d’un « événement irrationnel ». Suffisamment d’études ont démontré qu’il a été l’aboutissement d’un plan concerté, pour qu’il soit inutile d’y revenir. Que le directeur du Renseignement militaire qualifie cette tragédie d’ « irrationnelle » mériterait quelques explications. Au même titre que le colonel Tauzin lorsqu’il évoque l’atavisme guerrier des Tutsi.

Il apparaît clairement que le Renseignement militaire français a été tout simplement incapable d’imaginer que les autorités rwandaises puissent faire preuve de duplicité. La DRM s’est laissée gagner par une sorte de consensus sur les objectifs de la guerre et l’idéologie qui sous-tendait le régime tribaliste de Kigali. Elle a considéré le président Juvénal Habyarimana comme une autorité de même nature que celle des autorités françaises et qu’il aurait été inconvenant de suspecter. Il y a une sorte d’imprégnation politique et idéologique du corps expéditionnaire français par le régime rwandais.

Le témoignage du général Jean Varret, ancien chef de la Mission militaire de coopération, contredit en bien des points les thèses du Renseignement Militaire. Ce témoin démontre que la la dérive fascisante du régime Habyarimana et sa volonté de liquider la minorité tutsie étaient perceptibles dès le début des années 1990 (le général Varret a été en poste au Rwanda entre 1990 et 1994).

Le général Varret explique « que ses rencontres avec les militaires rwandais avaient conforté cette analyse. Ainsi le colonel Serubuga, chef d’état-major des armées à 100% hutues, l’avaient beaucoup étonné, lorsqu’il avait expliqué à propos de la démocratie que « entre militaires, vous savez ce que ça vaut. »Le colonel Serubuga lui avait d’emblée demandé d’importants renforts de gendarmerie dans la mesure où celle-ci devait enquêter sur les intrusions du FPR à l’intérieur du pays. Lors d’une autre réunion qui avait lieu avec le colonel Serubuga et ses adjoints, une situation curieuse s’était produite. Le colonel ne demandait rien, mais ses subordonnés, parmi lesquels le colonel Rwagafilita, chargé des basses œuvres du colonel Serubuga, patron de la gendarmerie, l’adjoint du colonel Serubuga, réclamaient des armements lourds, dont des canons.

Après qu’il [NDLR le général Jean Varret] lui eut lui-même répondu que la gendarmerie n’avait pas besoin de ce type d’équipement mais au plus de grenades lacrymogènes et qu’ils avaient surtout besoin d’apprendre leur travail de maintien de l’ordre, le colonel Serubuga lui avait dit en aparté qu’il avait besoin de cet armement et que le président Habyarimana était d’accord pour que la France le lui donne. Devant ses propres réticences, celui-ci avait ajouté que le problème tutsi était très simple : « Ils sont très peu nombreux et nous allons les liquider ».

On s’interroge évidemment sur le fait que les militaires français intervenant au Rwanda n’aient pas plus souvent recueilli des confidences sur la préparation du génocide, soit dans leur travail de renseignement, pour lequel ils sont supposés très qualifiés, soit par le biais de confidences entre militaires, confidences favorisées par la « fraternité d’armes ». Une lacune d’autant plus troublante que le rapport de la commission d’enquête belge a pointé quantité de documents très précis annonçant le génocide et les modalités de sa préparation. Il semble difficile de croire que les militaires français sur place étaient moins bien informés que les militaires belges déployés dans le cadre de la MINUAR à une date il est vrai plus tardive.

L’aveuglement volontaire de la DRM

Le résumé, par la Mission, de la déposition du général Heinrich est particulièrement éclairant :

« Pour la DRM, le renseignement à acquérir portait sur le FPR, sur l’Ouganda et sur l’aide que ce pays accordait au FPR, et non sur les milices ou l’armement de l’armée Rwandaise, faisant observer que la présence française auprès de l’année rwandaise justifiait cette priorité de recherche. »

Il convient de rappeler que, pour des raisons notamment d’économie, la DGSE avait laissé au Renseignement militaire le soin de suivre la situation au Rwanda. On peut s’interroger sur la pertinence de ce choix et sur la qualité des informations recueillies, limitées à une seule des parties au conflit. Cette question dépasse le cas du Rwanda et mériterait une recherche approfondie : à la lumière de la tragédie du Rwanda, le Renseignement militaire peut-il être considéré comme une source d’information fiable pour les dirigeants français dans les pays ou régions où il appuie une intervention militaire française ?

Autre source d’interrogations, le « splendide isolement » de la DRM. Claude Silberzahn, directeur de la DGSE de 1988 à 1993, reconnaît qu’en l’absence de correspondant au Rwanda, son service « s’adressait très normalement à un service  ami, notamment le service belge qui y était fortement implanté, comme il l’était également au Burundi et au Zaïre, dans le cadre de l’immense bourse d’échanges qui réunit les services entre eux. » Il ajoute qu’il existait « un marché permanent du renseignement qui fonctionnait selon le système du donnant-donnant. »

Au contraire, le général Jean Heinrich reconnaît une absence de coopération de ses services avec les Belges sur le théâtre d’opération et dans la période concernée. Ainsi qu’ « une absence de coordination avec la DGSE » :« Le général Jean Heinrich a répondu que si la collaboration entre la DRM et la DGSE est bonne, la coordination faisait malheureusement défaut ». Que signifie une bonne collaboration entre services de renseignements, en l’absence de coordination ? Comment expliquer que sur bien des points cruciaux, le directeur de la DGSE apporte la contradiction au directeur du RM (sur le risque de génocide décelé avant 1990 par la DGSE, sur le regret d’un engagement croissant de l’appareil militaire français dès 1991, sur la prévision de la victoire du FPR dès 1992, sur le camp auquel appartiennent les auteurs de l’attentat contre l’avion présidentiel) ?

L’absence de distance critique de la DRM

Rappelons que l’intervention française au Rwanda après le 4 octobre 1990 a mis en œuvre au moins deux entités :

1) Le DAMI-Panda, sous la direction du lieutenant-colonel Tauzin, avec 70 officiers, sous-officiers et spécialistes du 1er Régiment de parachutistes de l’Infanterie de Marine (RPIMA).

2) Le détachement Noroît proprement dit, composé d’unités tournantes de l’armée conventionnelle, qui sont relayées tous les quatre mois.

Mais derrière cette simplicité apparente se cachent de nombreux antagonismes et des confusions de rôles.
Le témoignage du Général Jean Varret, ancien chef de la mission militaire de coopération (octobre 1990 à avril 1993) éclaire d’un jour particulier les problèmes de commandement militaire français au Rwanda. Le général Varret était à la fois chef de la Mission d’assistance militaire (MAM) et attaché de Défense.

C’est un bon connaisseur de l’Afrique. Il a été volontaire pour le poste au Rwanda, pour lequel il a reçu l’appui de l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major particulier du président de la République. Le général Jean Varret note que le détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) était tiraillé entre les ministères de la Défense, celui des Affaires étrangères et la cellule Afrique de l’Élysée.

Le général Jean Varret se plaint notamment de ce que « en juillet 1991, une mission sur place réalisée par M. Paul Dijoud, M. Jean-Christophe Mitterrand et le colonel Jean-Pierre Huchon s’était déroulée à son insu et s’était appuyée sur l’aide du colonel René Galinié, chef de la mission d’assistance technique militaire » (son prédécesseur au Rwanda). Il a vu entre 1991 et 1993 le nombre des assistants techniques militaires et membres du DAMI au Rwanda passer de trente à cent, et l’aide directe augmenter de 20 à 44 millions de francs. Il note que l’armée rwandaise, exclusivement composée de Hutu, est passée de 15 000 à 40 000 hommes, dont 8 000 gendarmes.

En février-mars 1993, le DAMI est brièvement passé sous les ordres du colonel Delors, chef de l’opération Noroît. Après le remplacement du général Jean Varret par le colonel Cussac, ce dernier a retrouvé son autorité sur le DAMI et les AMT.

Les déclarations du général Huchon sur les relations d’autorité entre le DAMI et la MMC restent peu claires. Visiblement, des tensions existent entre les groupes et unités de militaires français au Rwanda. On ne peut exclure que ces dysfonctionnements aient altéré les processus de décision, ainsi que la capacité opérationnelle du Renseignement militaire.

En réalité, l’attaché de Défense joue à la fois un rôle de commandant des opérations et un rôle de coordinateur du Renseignement militaire. Une dualité qui ne favorise évidemment pas le recul nécessaire à l’égard des sources, mais qui tend au contraire à instrumentaliser le renseignement au gré des contingences quotidiennes.

D’autre part, en tant que conseiller de l’ambassadeur, l’attaché de Défense partage avec lui ses informations et ses appréciations sur la situation militaire. Il serait intéressant de comparer les télégrammes diplomatiques et les rapports quotidiens de l’attaché de Défense. Comme l’a relevé le préfet Claude Silberzahn, il y a identité d’analyse entre l’ambassadeur de France et la Mission militaire de Coopération, limitant d’autant la diversité des informations délivrées à l’autorité politique.

Les ambiguïtés de l’Opération Turquoise

La décision de lancer Turquoise est prise le 18 juin 1994. Elle représente 3060 hommes, dont 508 étrangers des pays suivants : Sénégal, Guinée-Bisau, Tchad, Mauritanie, Égypte, Niger, Congo-Brazzaville. Elle conduit à engager 700 véhicules et 800 tonnes de matériel.

Présentée aujourd’hui par l’effet de sa médiatisation comme une opération de bout en bout humanitaire Turquoise soulève pourtant de nombreuses questions sur les motivations de ses concepteurs et l’adéquation des moyens militaires déployés, aussi bien en spécialistes de services « action » qu’en armements de toute nature, notamment de chasseurs-bombardiers.

Dans son audition du 21 avril, Édouard Balladur évoquant différentes options qui lui auraient été présentées, indique clairement que certains dirigeants politiques envisageaient une action armée bien davantage qu’une intervention humanitaire :

 « Une intervention sous forme d’interposition, présentée par ceux qui en sont les tenants comme une manière de stopper l’avance des trouves du FPR. Elle aurait impliqué une action de guerre menée par les troupes françaises sur un sol étranger. Je m’y suis opposé. Ma conviction était que notre pays ne devait pas s’immiscer dans ce qui apparaîtrait rapidement comme une opération de type colonial. […] Notre opération fut finalement menée conformément aux principes que j’avais définis. Les soldats français désarmèrent et neutralisèrent les milices hutues et les FAR qui se trouvaient dans la zone démilitarisée ».
Alain Juppé semble confirmer l’existence de sérieuses divergences sur le sens à donner à Turquoise : « La presse a prétendu qu’il y avait eu une opposition au sein du gouvernement sur l’opération Turquoise. Je précise que j’étais pour cette opération. »


Selon l’amiral Lanxade, dans les conseils restreints, personne ne s’est opposé à l’intervention Turquoise. « Des discussions internes ont néanmoins eu lieu […] la France risquant d’être considérée comme se plaçant en situation d’interposition au profit des génocidaires. »

Il est regrettable que la Mission d’information n’ait pas cherché à identifier les partisans de l’intervention armée. Ceci permettrait de mieux comprendre quels réseaux d’influence et quelles motivations inspiraient précédemment l’action de la France au Rwanda.

François Léotard indique que « la zone humanitaire sûre a été décidée lors d’un conseil de défense avec le président de la République. Le contour en a été défini avec le chef d’état-major des armées ».

Il faut noter la déposition du général Jean-Claude Lafourcade, commandant des forces Turquoise du 22 juin au 21 août 1994. Interrogé par la Mission, il reconnaît que la zone humanitaire sûre a été décidée après-coup, « face aux événements, lorsque l’opération s’est trouvée confrontée au FPR. »Certaines auditions ou sources extérieures laissent supposer que les militaires français de Turquoise n’ont été convaincus de l’existence d’un génocide que plusieurs jours après leur déploiement, perdant ainsi l’occasion de sauver de nombreuses vies. Malheureusement, la Mission pose peu de questions pertinentes à ce sujet.


Turquoise face aux FAR et aux miliciens Interahamwe

Les discours des militaires et ceux des politiques se rejoignent dans le registre de l’autocongratulation. Pour les uns et les autres, l’action de la France a été « admirable » et contester cette thèse signalerait un complot alimenté de l’étranger. Au point d’atteindre à l’invraisemblance. Le général Lafourcade semble plus soucieux de relayer le discours officiel que de décrire la réalité lorsqu’il affirme que les FAR et les Interahamwe ont été désarmés, et qu’il évoque en 1998, quatre ans après les faits, la    « stricte neutralité »  de l’opération française Turquoise.

Alain Juppé se montre plus prudent en affirmant : « dans celle zone, les armes étaient proscrites [...] mais nous n’avons pas pu arrêter les criminels : cette opération était au-delà de nos possibilités et n ‘était pas mentionnée dans notre mandat. » Et il ajoute : « On nous reproche de ne pas avoir arrêté la RTLM. Nous n’avions pas mission de l’arrêter : nous l’avons recherchée, mais lorsque nous l’avons localisée, elle émettait depuis l’extérieur du Rwanda ».

Le général Philippe Mercier, qui fut chef d’état-major du ministre de la Défense (24 mai 1994 au 31 août 1995), indique dans sa déposition le 3 juin 1998, que c’est à partir du 20 juillet 1994 que l’opération Turquoise est « devenue à dominante humanitaire ». On peut se demander ce qu’elle était exactement avant. Et si le Renseignement militaire n’avait pas, jusqu’à cette date, volontairement négligé de prendre la mesure du génocide en privilégiant l’information sur le FPR et ses positions, tout comme avant le mois d’avril 1994 il ne s’intéressait qu’aux informations émanant de la zone FPR.

Aujourd’hui, on peut se demander si la chaîne de commandement militaire était réellement décidée à appliquer les consignes du Premier ministre Édouard Balladur, ou si elle n’avait pas le sentiment qu’une autre action, plus offensive, plus excitante, avait la caution de l’Élysée.

L’adhésion idéologique au régime Habyarimana

L’audition du général Jean-Pierre Huchon, ancien chef de la mission militaire de coopération du 20 mai 1993 au 30 septembre 1995, après avoir été chargé auprès de l’état-major particulier du président de la République des affaires africaines, est révélatrice de ce qu’il est difficile de ne pas qualifier d’animosité aveugle de certains acteurs français à l’encontre du FPR, et au contraire d’adhésion irréfléchie aux thèses et à l’idéologie du pouvoir rwandais.

Le général Huchon accable dans sa déposition le FPR qui tuerait systématiquement les témoins de ses exactions. Une appréciation qui contraste avec le jugement bienveillant porté sur les Forces Armées Rwandaises par l’intéressé.

Après l’attentat du 6 avril 1994 et le déclenchement des tueries, le seul véritable effort d’information reconnu par le général Huchon est la fourniture au général Bizimungu, chef d’état-major des FAR, d’un téléphone sécurisé pour communiquer avec lui, et 17 petits postes à sept fréquences « pour faciliter les communications entre les unités de la ville de Kigali (car) il est très vite apparu que personne ne contrôlait la situation. »

On peut éprouver un certain malaise en notant ce commentaire du général Huchon concernant les rencontres à Paris avec l’attaché militaire rwandais durant le génocide : « Les contacts avec l’attaché rwandais ont permis de faire passer des messages de modération, de ne pas basculer dans l’extrémisme. »

L’ancien chef d’état-major Maurice Schmitt « a estimé que l’origine du génocide pouvait se situer dans l’effroyable panique qui a saisi les Hutus à la suite de l’offensive du FPR dans le Nord du pays », résume la Mission d’information. Là encore, cette thèse est calquée sur le système de défense des « génocidaires » devant le tribunal d’Arusha.

Aussi longtemps qu’ils ont joué un rôle au Rwanda, puis dans leur défense devant la Mission d’information parlementaire, les conseillers de François Mitterrand et les militaires construisent leur action puis leurs explications sur le postulat que le génocide a été accompli dans l’intérêt de la France. Même si la majorité des Français ne partagent pas cette appréciation.

 

NOTES


(1). Boubacar Boris Diop est un des écrivains africains qui ont participé à l’initiative de Fest’Africa en 2000. Voir sur ce point le volume dirigé par C. Coquio et A. Kalisky, Rwanda : témoignages  et littérature, publié dans la revue francoallemande Lendemains, 2003 (avec un texte de Boris Diop).

(2). Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), Mission d’information commune, Assemblée Nationale, Documents d’information, rapport n°1271. Trois tomes, 4 volumes. 1998. Présidence : Paul Quilès. Rapporteurs : Pierre Brana, Bernard Cazeneuve. Les auditions, évoquées ou citées ici, de Maurice Schmitt (29 avril 1998 pp 187-196), Édouard Balladur, François Léotard, Alain Juppé, Michel Roussin (21 avril), Georges Martres, Jean-Christophe Mitterrand (22 avril), Hubert Védrine (5 mai), Jean Varret, René Galinié, Jacques Lanxade (6 mai), Robert Galley, Jean-Michel Marlaud (13 mai), Bruno Delaye, Christian Quesnot (19 mai), Philippe Mercier (3 juin), sont rassemblées dans le Volume d’Auditions III, 1. Les auditions de Pierre Joxe (9 juin), Jean-Pierre Chevènement (16 juin), Jean-Claude Lafourcade, Patrice Sartre (17 juin), Jean Heinrich (25 juin), Michel Rocard, Édith Cresson, Roland Dumas (30 juin), sont rassemblées dans le volume III, 2.

(3). Ed. Albin Michel, 1998. Sur l’implication dans les réseaux françafricains de Pierre Messmer lui-même, ancien premier ministre de Pompidou, proche de Pierre Juillet, qui fut un des initiateurs de J. Chirac à ces réseaux, on consultera le livre de F.-X.Verschave, Noir Chirac, Paris, Les Arènes, 2002, en particulier pp. 46-47.