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Le statut ambigü du génocide des Tsiganes dans l'histoire et la mémoire

Par Henriette Asséo, publié dans L'Histoire trouée, L'Atalante, 2004.

Depuis une dizaine d'années, le puissant courant en faveur des droits de l'homme qui traverse notre époque s'est emparé, à juste titre, de l'oubli dans lequel avait été plongé le sort fait aux Tsiganes sous le régime nazi, pour affirmer la volonté de reconnaissance internationale de "l'autre génocide". Mais la bataille pour le droit au Passé emploie souvent des armes importées du droit anglo-saxon qui brouillent la complexité des faits et ne favorisent pas la stabilisation de son inscription mémorielle. Si une réflexion d'ensemble sur l'écriture historique n'est pas menée à son terme, la prise de conscience collective du rôle central de l'extermination des Juifs d'Europe dans l'histoire européenne du XXe siècle sera balayée par le relativisme moral conviant la défense des opprimés de tous les temps et de tous les lieux en un unique mouvement d'affirmation victimaire.


La "marginalisation du crime commis" a pourtant connu de beaux jours depuis la fin de la guerre, et il serait nécessaire de "multiplier les angles de vue" pour donner à chacun une sépulture historique décente. En d'autres termes, deux nouveaux dangers risquent de s'ajouter aux menaces du négationnisme : d'un côté le refus de l'historicité de la Shoah au nom de "l'indicible", et de l'autre le relativisme de l'activisme judiciaire qui place les victimes en équivalence marchande, pour des "compensations" pécuniaires ou morales.


Les historiens ne devraient pas s'associer à ce marchandage de dupes. Ils sont confrontés à un défi bien plus considérable que de savoir si telle œuvre d'art spoliée sera restituée au descendant de son légitime propriétaire. Il leur faut donner à voir, à chacun d'entre nous que la question intéresse (ceci n'est pas une obligation), les territoires de l'extermination, et ce défi se pose en termes prométhéens, car il est actuellement rendu réalisable par l'immense masse de la documentation accessible.


Les historiens ont, à présent, les moyens documentaires de restituer chaque acte de mort dans sa dimension d'assassinat personnel à l'échelle d'un continent démultiplié en millions de personnes. Ce que la mémoire familiale réorganise si difficilement, avec des lambeaux de souvenirs accrochés à une photographie silencieuse, quelquefois les pièces d'archives le permettent. Ce serait donc faire injure aux victimes que de leur refuser une vie avant le génocide, sous le prétexte du nombre et de l'anonymat ; se priver de comprendre l'élaboration dans chaque famille des stratégies de survie ou d'anticipation, de résistance aussi, peut-être dérisoires, mais dignes de respect.


Dans l'investigation généalogique complexe se trouve la clé de la répétition de ce type de crime: au "plus jamais ça", répété depuis l'après-guerre comme une formule incantatoire, alors que le siècle est achevé, doit succéder la prise de conscience indiciaire du "comment ceci a-t-il eu lieu, ici, de cette façon, à propos de ces gens là, à ce moment précis"? Nous pourrons, peut-être, à ce prix, prétendre exercer une vraie vigilance sur le caractère reproductible de conduites collectives infâmes.


Notre intervention n'a pas pour objectif de dresser un tableau exhaustif du génocide des Tsiganes, mais de présenter quelques réflexions autour du régime d'inscription des Tsiganes dans l'historiographie de l'holocauste et du nazisme. La place accordée par les historiens a été marquée par une attention à éclipses, semblable en cela à l'indifférence générale, jusqu'à une période relativement récente, des études académiques à l'égard de la déportation et de l'extermination. Depuis 1990, le sort des Tsiganes sous le régime nazi est un angle d'observation à part entière dans un marché intellectuel en pleine expansion, mais les Tsiganes doivent passer une double épreuve initiatique pour être érigés définitivement au rang de "sujet" de l'Histoire : l'épreuve de l'inscription dans la mémoire professionnelle des historiens, et l'épreuve de la méthode historique.

 

L'épreuve de la mémoire historienne


La pétrification de la documentation a été voulue par deux régimes - le nazi et le soviétique - qui alliaient le mépris des hommes au fétichisme du papier. Les millions de mètres cubes d'archives produits par le siècle achevé, uniquement pour détruire son semblable, défient la raison historienne. L'impossibilité de maîtriser une masse documentaire aussi considérable renforce la tentation de classer les innombrables victimes dans une vision totalisante désincarnée. Mais l'abstraction dans la définition suggère une certaine compromission avec la langue du Troisième Reich. Or, il appartient aux historiens de donner à chacun un droit à la restauration de son existence autrement que comme "un morceau comptable".


Ces questions d'identification historique sont fort complexes. On a, en effet, coutume de considérer les Tsiganes comme un peuple, sans jamais leur conférer le crédit d'une authentique culture. L'absence supposée de tradition savante ne les apparente pas à la dispersion des Juifs, car ils ne semblent pas soudés par une religion commune, ils ne revendiquent pas de patrie d'origine et, jusqu'à une période très récente, ils n'avaient pas de revendication politique transnationale. Les Tsiganes constituent l'unique exemple d'une population européenne ayant maintenu jusqu'à nos jours une langue et une puissante identité, sans système communautaire organisé sur des bases juridiques ou même coutumières, sans territoire de référence et sans l'appui des élites. L'une des plus vieilles "nations" d'Europe, l'une des plus solides, connaît le paradoxe d'un enracinement familial pluriséculaire sans inscription nationale admise une fois pour toutes.


Les Tsiganes ne sont pas un cas d'école pour esthètes de la dissidence. Comme le décrivent admirablement Patrick William et Leonardo Piasere, ils forment des familles qui s'entre-connaissent selon des réseaux déterminés par le territoire, le système des autres familles, et les contraintes historiques. La culture est marquée par une forme de patriotisme familial et la langue romani a pu se perpétuer selon les cas et demeurer la langue maternelle, sans aucun appui académique ni transmission savante, en dépit des pressions des cultures concurrentes et de l'uniformisation des modes de vie et des habitudes de pensée. Elle est cependant dramatiquement menacée par la pression nouvelle et apparemment contradictoire entre les discours convenus sur la liberté de circulation et l'ouverture de l'Europe, et les normativités nationales exacerbées par cette période d'incertitude institutionnelle. Il est bon de rappeler que le traitement administratif imposé aux populations tsiganes en Europe anticipe toujours une évolution plus générale sur les questions sensibles de l'attribution de la citoyenneté, de la libre circulation, de l'accès aux droits sociaux. L'enjeu ne se résume pas, en effet, à l'analyse abstraite des fonctions politiques du droit des minorités nationales. Entre "enracinement et désolation", les Tsiganes d'Europe voient, à l'heure actuelle, leur existence menacée dans tous les pays d'Europe.


Cependant, la participation des dirigeants tsiganes dans l'action communautaire en Europe augure d'un effort méritoire des organisations internationales pour la reconnaissance de l'identité politique romani. Il conviendrait d'associer la reconnaissance internationale à un mouvement d'appropriation du génocide et de sa mémoire par les nations européennes. Or, il faut bien constater le peu d'empressement des pays de l'ancien bloc communiste à reconnaître la présence historique juive et tsigane sur leur sol.


Katarina Katz, une jeune Israélienne dont le père avait été déporté, observait à son tour le contraste entre la part réduite des Tsiganes dans l'historiographie de l'holocauste et le nombre de témoignages de déportés juifs, rassemblés au Yad Vashem, qui évoquaient leur présence dans les camps. Assistant à un congrès de travailleurs sociaux à Budapest, elle fut horrifiée d'entendre des propos dévalorisants, pour ne pas dire ouvertement racistes, de certains délégués des pays de l'Est. Elle découvrit la situation dramatique des communautés tsiganes dans un pays qui pourtant avait porté au plus loin l'initiative de la représentation politique des minorités par la loi de 1993. Elle a joué un rôle important dans la détermination des familles de Zamoly à quitter la Hongrie pour rejoindre Strasbourg. Au terme d'un long et difficile combat, les Roms de Zamoly devaient obtenir le premier statut de réfugiés politiques qui a été accordé par la France à des membres d'un pays européen placé sur la liste prioritaire des entrées dans la Communauté Européenne.


On mesure l'écart entre les voies d'une reconnaissance historique du génocide et l'ostracisme quotidien qui n'hésite pas à prendre les formes les plus violentes. Le 13 mai 1995, Vaclav Havel inaugurait une plaque commémorative sur l'emplacement du camp d'internement de Lety en Bohême du Sud, antichambre de la mort pour 1300 Roms tchèques de 1939 à 1945. Pourtant, de 1993 à 1995, au moins 500 délits racistes ont été officiellement enregistrés en République tchèque. C'est à Prague, en juillet 2001, que s'est tenu un congrès organisé par l'IRU, l'Union romani internationale, rassemblant les représentants des organisations tsiganes, soit plus de deux cent délégués d'une quarantaine de pays. Le président, Emil Scuka, ancien directeur de théâtre qui fit beaucoup pour l'émancipation des Roms de Tchécoslovaquie, demanda la reconnaissance internationale du génocide des Tsiganes en parlant de 500.000 morts et du chiffre de 21.000 décès à Auschwitz. Le représentant slovaque, G. Adam demandait la création d'un "musée de l'holocauste rom", dans un pays d'Europe centrale construit sur le modèle des Musées pour la Shoah.


On pourrait observer une synchronie entre l'avènement d'une parole publique romani et l'entrée à part entière des Tsiganes dans les holocaust studies. Cette même année, Le Musée de l'Holocauste organisait à Washington un symposium sur les Roma et sinti, "under-studied Victims of Nazism". La session fut ouverte par Paul Shapiro, le directeur du Musée et les conclusions furent données par Raul Hilberg. L'historien Ian Hancock, leader romani, membre du Conseil du Musée, prit la parole ainsi que les principaux historiens actuels de la question. On mesure le chemin parcouru depuis la publication en 1972 du livre pionnier de Donald Kenrick et Grattan Puxon. L'œuvre était bâtie sur un modèle de "jewish narrative", à partir d'une documentation disparate dominée par l'exceptionnelle capacité polyglotte de Donald Kenrick. Après leur arrivée en Europe à la fin du Moyen Age, les Tsiganes formaient une diaspora soumise à une longue suite de persécutions qui culminait avec l'extermination nazie. A cette époque, la comparaison entre le sort des Juifs et celui des Tsiganes n'était pas du tout de mise. Les Tsiganes appartenaient aux "forgotten victims" et rares étaient ceux qui ne se risquaient à parler de génocide racial.


Aussi les travaux de Donald Kenrick ont-ils une influence considérable, et les remarques mélancoliques de Myriam Novitch sont, à présent, fort heureusement dépassées. Mais le mouvement de reconnaissance des Tsiganes en tant que victimes raciales du nazisme demande à être situé dans une évolution de longue haleine. La publication des travaux sur les Tsiganes a suivi un parallélisme avec le développement des études sur le génocide des Juifs.


Le travail de l'historien dépend de son système d'interrogation. Ce système n'est pas un corps théorique très articulé, il s'apparente à un ensemble discontinu de questionnements sur la matière de l'enquête, influencé par un dispositif général lié au paradigme dominant. Édouard Husson et Jean Solchany ont bien montré comment l'opinion historienne se forge ce paradigme dominant qu'elle ne lâche pas facilement, même si les anomalies se multiplient. L'historien qui travaille sur le génocide des Tsiganes n'est pas en situation de proposer ses grilles d'analyse personnelle; tout se passe comme si la dévalorisation de son objet par le public académique l'obligeait à maintenir une attitude subordonnée à l'historiographie dominante. Il reste un historien en marge pour des victimes en marge. Pourtant je voudrais suggérer que les Tsiganes ne sont pas des victimes marginales de l'Etat nazi parce que les interprétations (fantasmées) que les Nazis donnaient de l'identité collective des Zigeuner, engageaient le cœur de la réflexion sur la réalisation pratique de la régénération du Volk et la requalification intégrale de la germanité de sang.


Il est normal que le récit historique soit soumis à des révisions constantes qui dépendent des effets cumulatifs du savoir, de l'arrivée de générations nouvelles, munies d'interrogations différentes, de l'ouverture par paliers de la documentation. Pour les études sur la Seconde Guerre Mondiale, le fait le plus remarquable repose sur le caractère concomitant de l'ouverture des cinquante ans et de la chute du mur de Berlin. Le silence d'après-guerre s'expliquait aussi par la coupure des deux blocs. L'action nazie avait eu une dimension territoriale européenne qui ne pouvait se concevoir qu'en englobant à nouveau l'ensemble de l'Europe.


Comment caractériser l'extermination des Tsiganes dans la mémoire professionnelle des historiens actuels ? Yehuda Bauer résume assez bien l'opinion générale. Les Tsiganes, selon lui, ont bien été des victimes raciales du Reich, mais leur extermination n'a pas été totale. Il propose donc de distinguer entre génocide et holocauste. Il réserve le mot d'Holocauste au sort des Juifs car l'entreprise allemande de liquidation a concerné tous les Juifs jusque dans les endroits les plus reculés de l'Europe, là où les communautés miséreuses ne mettaient certainement pas en péril la sécurité du Reich. Pour présenter la comparaison, il s'appuie sur les travaux de Michael Zimmermann. Mais il refuse de les articuler totalement à l'entreprise de réorganisation intellectuelle proposée par la nouvelle historiographie allemande du génocide. En particulier, il n'est pas convaincu par la thèse de Götz Aly. Ce dernier donne pourtant l'une des clés de compréhension de l'extension à l'Europe entière des mécanismes qui font passer les praticiens du génocide du remembrement ethnique, jugé impraticable, à l'extermination du seul groupe dont l'expertise pourrait être menée à grande échelle, dans l'urgence sans jamais se tromper de victimes.


La situation de l'Autriche est prise comme argument essentiel de l'ouvrage de Guenter Lewy. Cette synthèse importante conclut que la persécution des Tsiganes a bien pris la forme d'une entreprise politique systématique ; mais qu'on ne pouvait l'assimiler à l'extermination des Juifs. L'un des arguments essentiels retenu repose sur la proportion de personnes déportées et son extrême variabilité selon les régions occupées. Il explique ces variations par la nature de la persécution, la protection que les organisations catholiques ont accordée aux Tsiganes, et surtout le fait que l'information que nous avons sur le processus de sélection est sporadique. La ville de Giessen en Hesse est citée comme exemple. Giessen est le foyer de la famille Reinhardt depuis le XVIe siècle. La protection seigneuriale avait garanti à cette famille un enracinement pluriséculaire et les mariages de Tsiganes avec la population locale, comme entre familles dites sinti, étaient monnaie courante. Une expertise générale approfondie de la population du Land aurait dégagé de nombreux ancêtres tsiganes à coup sûr. On voit donc que le raisonnement généalogique n'est pas le même concernant l'ascendance tsigane et juive de la population allemande. Aussi, il importerait de considérer dans des monographies appuyées sur les archives municipales et régionales, en particulier des sources policières locales, comment l'expertise a été matériellement pratiquée sur l'ensemble de la population allemande. Car la sanction est posée en termes absolus. Les familles ou des membres d'une famille ou un individu expertisés comme Zigeuner ne sont pas, en 1943, internés dans une prison ou un camp particulier. Ils sont immédiatement transférés à Auschwitz.


Les archives locales s'ouvrent et les Tsiganes apparaissent. Or, le débat entre intentionnalistes et fonctionnalistes avait orienté l'historiographie vers les archives des dirigeants et non vers le cours concret de l'entreprise selon la méthode historique. De plus, on a confondu la doctrine de l'intention et le primat des motivations raciales. On reprocha aux fonctionnalistes, partisans de la radicalisation cumulative, de refuser de faire rentrer le génocide des Juifs dans le cadre juridique proposé par Raphaël Lemkin. Comme le dit avec justesse Michael Wildt : "La preuve que le fait a bien eu lieu et qu'il ressort d'un auteur individualisé, n'explique ni ce crime, ni son auteur". La chronologie des opérations de mort permet de repérer des sauts qualitatifs complexes qui n'ont pas grand chose à voir avec les preuves rétrospectives linéaires que demande la Justice mais tout à voir avec l'explication historique. Il ne suffit pas, en effet, de dire que la preuve judiciaire et la preuve historique ne sont pas de même nature. Il faut remarquer que l'usage judiciaire des responsabilités allemandes, établi dans le prolongement de celles qui furent affirmées après la première guerre mondiale, associées à la coupure de l'Europe, ont définitivement orienté l'historiographie du vingtième siècle européen vers des débats théoriques assez vains. Combien d'anathèmes lancés sur les alliances du fascisme et du grand capital qui ne s'inquiétaient guère d'en savoir plus sur ces universitaires munis de leur certificat "persil".


Si une logique aussi linéaire avait prévalu, il ne fait pas de doute qu'aucun Juif n'aurait survécu et que le système de la mort de masse aurait été pratiqué des 1934 sur des victimes juives exclusivement. Or, en analysant les dossiers des victimes des actions d'euthanasie, on voit bien que la motivation raciale dépasse le couple aryen-sémite. Wolfgang Wippermann a manifesté son désaccord avec les partisans du lien entre le primat exclusif de l'antisémitisme et le génocide singulier des Juifs, car il voit dans l'Etat racial allemand l'instrument d'une politique de liquidation intégrale ciblée, avant même que l'extermination des Juifs n'ait commencé. La politique anti-juive, la requalification de la citoyenneté allemande et la lutte contre les "éléments indésirables" sont liées. Mais l'étude séquentielle de l'agencement des processus séparés demeure nécessaire surtout depuis qu'une documentation considérable est accessible. Comme le fait remarquer Peter Longerich, les mesures politiques décidées entre 1933 et 1935 contre les "indésirables", "asociaux" ou "tsiganes" étaient bien plus radicales que les décisions prises contre les Juifs à la même époque. Elles envisageaient la stérilisation et l'euthanasie, la déportation ou la mort par internement pour faire disparaître la pauvreté des rues. Ces "campagnes de nettoyage", ces rafles de "vagabonds et de misérables" ont apparemment été bien acceptées par l'opinion, même si les actions d'euthanasie ont suscité plus de résistance. L'explication habituelle reprend l'argumentaire hygiéniste d'une façon douteuse. Elle laisse suggérer que l'"asocial" venait, avant même d'être réprimé, d'une population en marge peu intégrée au corps social, qui, de ce fait, ne suscitait pas de compassion particulière. Cette faiblesse de l'analyse surprend puisque l'argument de l'ampleur de la crise sociale sert à justifier les attentes du suffrage allemand à l'égard de Hitler. Le chiffre des "6 millions de chômeurs" est dans tous les manuels d'histoire constamment recopié, comme s'il suffisait à justifier les infamies du régime. Or ce nombre est doté d'une inquiétante similitude avec le chiffre des victimes du génocide. Le fétichisme du chiffre révèle ici toute son obscénité.

 

L'épreuve de la méthode historique


Aussi, les systèmes de qualification sont révélateurs des catégories mentales utilisées par les historiens pour caractériser les différents acteurs du génocide. La tentation totalisante peut conduire par un chemin trop linéaire vers Auschwitz. La reconstitution des entreprises criminelles collectives n'est pas la somme algébrique d'entreprises criminelles individuelles ; elle doit reposer sur la restitution la plus précise de la large marge d'interprétation et d'initiative qui permit à toute personne animée d'une volonté de nuire de passer aux actes avec une redoutable efficacité. Tout doit être utilisé pour identifier des catégories socioprofessionnelles, intellectuelles, locales, familiales, religieuses, régionales, selon la chronologie la plus fine, en croisant les volumineuses pièces des procès d'après-guerre (pratiquement jamais ouvertes) avec les archives locales, pour tisser les fils d'une "carrière au service du meurtre".


Le génocide fut une entreprise de liquidation interne d'Européens menée dans l'urgence par d'autres Européens au nom de la civilisation européenne. Pourtant, il n'y eut aucune erreur (ou très peu) de personnes dans le tri des "catégories indignes de vivre". Comment doit-on restituer le processus qui fit passer de l'expertise raciale et du tri social de l'ensemble de la population germanique à la seule extermination des Juifs européens menée à la périphérie du Reich ? Lorsque l'on cherche à passer du diagnostic des "races en perditions" à la mobilisation sociale intégrale, que fait-on de la notion de totalitarisme ? Les travaux récents posent de façon accrue le problème de la dynamique d'action en mettant en valeur l'implication inventive, la liberté d'initiative de toutes sortes de groupements et d'individus qui semblent dessiner une génération "des Unbedingten" selon l'expression de Michael Wiedt, adepte d'une conception moderniste du productivisme et de la supériorité raciale dans une relation totalement nouvelle à la Politique.


"La distinction entre "aryen et "non aryen" règne sur toutes choses. On pourrait faire un lexique de cette nouvelle langue", notait Victor Klemperer dans son journal du 27 mars 1933. Le premier exemple de cet éclairage primordial porte sur l'identification raciale. Celle-ci est posée en termes tautologiques comme une production de l'Etat, selon la sociologie normative et la digestion incomplète des idées de Michel Foucault par toutes sortes de praticiens des sciences sociales. Elle repose sur l'a priori que les Juifs et les Tsiganes n'étaient pas véritablement assimilés aux territoires nationaux, en quelque sorte "suspendus" dans une sphère éthérée et du coup suspecte. Or, on voit bien que les efforts entrepris pour qualifier individuellement la population "bohémienne" du Reich s'explique par la difficulté à signaler clairement la ligne de partage de la germanité de sang avec un comportement social. L'acte essentiel n'a pas été de faire porter aux Zigeuner une étoile ou un brassard par l'enregistrement, mais de les construire comme une catégorie administrative, en leur retirant leurs papiers d'identité pour en fabriquer des spécifiques. Entre la date de retrait des papiers et l'attribution des nouveaux titres discriminants, entre 1936 et 1938, se concentre l'action de différentes instances qui vont faire dévier toutes sortes de gens de l'exclusion sociale vers l'extermination. La vision "abstraite" de la mise hors de la communauté de sang ne pourrait, à leur idée, se matérialiser que dans la séparation physique, par l'internement et l'élimination de chaque individu concret, indépendamment des actes commis.


Cette mère allemande ne recevra que des réponses dilatoires pour expliquer le sort tragique de son gamin fugueur qui s'était fait ramasser par la police à Francfort, et fut assassiné par le gaz peu après son transfert à Kalmenhof. On voit donc que la politique allemande de sélection raciale prévoyait d'abord un volet de requalification interne de la germanité de sang par l'élimination des "catégories indignes de vivre". Le nettoyage social avait aussi un fondement racial, et on ne peut séparer sans artifice les deux dimensions de la pensée de cette "science de la séparation". En 1934, 500 tsiganes furent stérilisés pendant l'application de la loi de prévention de la déficience biologique. Ainsi, les recherches empiriques montrent que l'extermination des Tsiganes n'entrait pas dans une logique d'ordres venus d'en haut et appliqués ensuite avec zèle, mais qu'elle est le produit de la validation a posteriori des initiatives locales éclatées de différentes instances séparées. Les interactions cumulatives viennent du double effet des réorganisations institutionnelles et des intérêts personnels de quelques dirigeants. Himmler a validé les demandes insistantes venues d'instances très différentes. Les vecteurs directs de la dynamique d'extermination ont été, dès 1933, les conseils municipaux, les instances régionales, les bureaux de l'aide sociale, les polices municipales, les gendarmeries des Länder, et surtout la police criminelle. Les archives sont pleines de leurs récriminations et de leurs efforts constants pour obtenir des instances supérieures, l'autorisation de mettre les "Zigeuner" et tous ceux qui vivaient de cette manière dans les camps de concentration, les camps de travail, de les "pousser vers des camps clôturés". Par ailleurs, les relais de la presse qui se livrait à une surenchère sécuritaire sont bien décrits par Guenter Lewy.


Il faut donc admettre une fois pour toutes que le choix social qui fut accepté et initié par l'Allemagne de 1933 n'est pas le fruit du hasard du vote. Il correspondait à un consentement massif à la remise en ordre par la "séparation". Mettre hors de vue le désordre social, rendre invisible la pauvreté ambiante sans se soucier des conséquences humaines, participait d'une mentalité générale du génocide par omission. La majeure partie des élites allemandes était intellectuellement préparée aux conséquences de la "science de la séparation ", et cette adhésion ne venait pas du seul ancrage national de l'antisémitisme. Elle s'inscrivait dans la crainte obsidionale de la décadence de l'Allemagne et de la pollution du sang germanique par le métissage, qu'il convenait de stopper par tous les moyens avant le déclin fatal. Parce que ces élites avaient l'habitude de considérer la civilisation allemande comme une forteresse assiégée, elle avaient déjà cédé aux sirènes du mouvement pour la race avant la prise du pouvoir par Hitler. En particulier, la défaite de la Première Guerre Mondiale développa dans l'opinion un sentiment d'urgence à réaliser la "nouvelle Weltanschaung allemande".


La politique traditionnelle d'expulsion, qui avait pour objectif déclaré d'empêcher de s'installer aux abords des villes, avait pour titre apparemment paradoxal "politique de fixation". Harcèlements, brimades, amendes élevées étaient habituels. Aussi, la découverte historique récente la plus importante porte sur le caractère précoce et massif de l'internement des Tsiganes en Allemagne, puis en Autriche et en Bohême avant la guerre, entrepris à l'initiative des municipalités, sans ordres supérieurs explicites. Tandis que les experts dissertaient dans le sérail des Instituts du statut racial des Tsiganes, les municipalités étaient passées à l'acte. Dès 1933, le camp municipal, dit Zigeunerlager, devint l'instrument privilégié de concentration autoritaire des familles bohémiennes. La présence de ces camps dans toutes les grandes villes d'Allemagne était un phénomène largement occulté et oublié, que de jeunes chercheurs allemands ont pu mettre en évidence à propos de Cologne et de Düsseldorf, puis de l'ensemble du Reich.


La création de ces camps exclusivement destinés à une population qualifiée de "Zigeuner", qui pouvait être itinérante, vivant dans des roulottes, mais aussi sédentaire, louant à bail un appartement ou un local en ville, appelle des remarques importantes. Ces camps furent ouverts à partir d'initiatives locales. Leur existence montre que la marge d'autonomie des institutions municipales et régionales demeurait, après la prise du pouvoir par Hitler, considérable dans des domaines aussi sensibles que le "maintien de l'ordre" et l'exclusion sociale et raciale. Les méthodes d'internement mettent en cause l'appareil administratif et l'ensemble des organismes de l'aide sociale issue de la période de Weimar et dévoyée de son but prophylactique initial.


Les familles étaient internées à l'issue de rafles générales comme celles des soit-disant "mendiants et vagabonds", effectuée dans toute l'Allemagne, dans la semaine du 18 au 25 septembre 1933. Elles étaient aussi arrêtées sur dénonciation, en utilisant les dossiers des assistances sociales et ceux des instituteurs, et la police municipale se chargeait de conduire les familles dans ces camps dont elles restaient à jamais prisonnières. Le choix des sites par les municipalités prend valeur de symbole. D'anciennes stalles destinées à l'engraissement des porcs à Cloppenburg, une zone marécageuse près de Hanovre à l'initiative du Bureau de la race du NSDAP local ou un terrain, propriété de la ville, dans la Dieselstrasse pour Francfort. Une justification commune était donnée par les municipalités. Il fallait en ces temps troublés des "mesures d'assainissement de la ville" et une "meilleure surveillance policière". La nouveauté ne réside pas dans l'argumentation hygiéniste classiquement fin de siècle, mais dans les pratiques administratives. L'internement général et définitif de familles indésirables dans des camps spéciaux se substituait aux mesures traditionnelles d'expulsion. Par le décret du 14 décembre 1937, "décret de lutte préventive contre le crime" ou décret sur les asociaux, les Tsiganes pouvaient être transférés dans les camps de concentration, qu'ils fussent déjà internés dans un Zigeunerlager ou encore libres.


L'examen des zones géographiques à forte charge stratégique est alors essentiel. Encore faut-il reconstituer la perception symbolique et matérielle de ces zones dans l'univers mental des stratèges de la race. Ainsi, le camp pour Tsiganes le plus important fut érigé dans le Burgenland. Cette région très agricole de l'est de l'Autriche comprenait une main d'œuvre tsigane habitant, comme dans toute l'Europe centrale, des villages ou "colonies" de journaliers. La situation économique désastreuse de l'Entre-deux-guerres avait considérablement appauvri cette population. Les Tsiganes du Burgenland ne représentaient que 2,5 à 3 % de la population de cette région, soit 7000 à 8000 personnes concentrées dans la région de l'Oberwart. 3000 Tsiganes ambulants étaient enregistrés dans le reste de l'Autriche. La montée de l'hostilité populaire était orchestrée par la publication des journaux d'articles préconisant des "solutions" radicales. Cette région en crise avait fait une place de choix au parti favorable à l'annexion. En effet, en dépit de la présence d'une forte proportion de minorités non germanophones, des manifestations favorables au rattachement étaient tolérées, et l'interdiction officielle du parti pro-allemand ne changeait rien au climat.


Dès le 11 mars 1938, le Burgenland fut donc l'une des premières régions à tomber entre les mains des nationaux-socialistes. Tobias Portschy, commissaire de la région, gouverneur puis adjoint au gouverneur, était un idéologue convaincu et ses décisions furent rapides et brutales, à l'encontre des Juifs mais aussi des Tsiganes. Les lois raciales de Nuremberg entrèrent en vigueur dès mars 1938. Les Tsiganes furent nommément désignés comme des "inférieurs", de "caractère criminel et asocial". Les mesures locales comportaient toutes une gamme d'exclusion de la vie sociale, et l'application du décret d'Himmler fut très rapide. Le Commissariat de la police fédérale fut en mesure de fournir un fichier nominatif de 8000 personnes. Le transfert vers la Pologne à l'automne 1940 étant retardé, l'internement sur place fut envisagé comme une solution temporaire. Le camp de Lackenbach fut ouvert le 23 novembre 1940 comme un camp tsigane, conformément au décret du Ministre fédéral des affaires intérieures du 31 octobre 1940. Fin 1941, la menace de l'extension d'une épidémie de typhus entraîna la création de baraquements. En 1941, près de 3000 Tsiganes étaient internés dans des conditions effroyables. En décembre 1941, selon Michael Zimmermann, environ 5000 personnes venant d'Autriche et de Bohême furent transférées dans le ghetto de Lodz et les survivants furent gazés à Chelmno.


Un panneau piègé fut posé récemment dans un village du sud du Burgenland autrichien prétendant "renvoyer en Inde" des familles présentes dans les registres paroissiaux depuis de XVIIIe siècle ; ce village même de Stregersbach comprenait avant la Deuxième Guerre Mondiale 275 membres de familles bohémiennes et seulement 23 survivants en 1945. En principe, les minorités hongroise, croate et tsigane, ont, dans cette région, des droits reconnus depuis 1955 !


Ne pas voir et laisser faire. La convergence européenne de l'esprit sécuritaire ne peut pas laisser indifférent. Son étude impose de remonter à la confrontation entre les modèles nationaux et les modèles policiers proposés à partir de 1870. Sans prendre les formes extrêmes de l'Allemagne, à l'exception notable de la Croatie qui ouvrit à Jasenovac un véritable camp d'extermination, tous les Etats complices du Reich ont engagé une politique d'internement. En Italie, les camps s'ouvrirent, en particulier pour les Tsiganes de la région de Trieste que l'on accusait d'être des étrangers à la communauté, mais aussi en Italie du Sud. En Espagne, les recommandations se multiplièrent :


"Il convient de surveiller rigoureusement les Gitans, en prenant bien soin de vérifier les documents qu'ils portent, de confronter leurs signes particuliers, d'observer leurs vêtements, d'enquêter sur leur façon de vivre et sur tout ce qui peut donner une idée exacte de leurs mouvements et de leurs occupations, en s'informant de la destination de leurs voyages et de la raison exacte de leurs déplacements."

 

La France n'a guère de leçons à donner sur ce point. On nous a tant rebattu les oreilles des lieux de mémoires et de la tradition française et sa puissante mémoire nationale. Force est de constater que l'indifférence des autorités a largement présidé à la redécouverte de l'ampleur de l'internement familial des "nomades", détenteurs des carnets anthropométriques depuis la loi de 1912.


Pour les Tsiganes, la connaissance interne de leurs souffrances se complique d'un rapport très diversifié au récit personnel. Baroly Bari évoque la répugnance des rescapés à évoquer le camp parce que les transgressions morales, la promiscuité physique, la sauvagerie et la cruauté avaient souillé autant ceux qui imposaient leur code d'abjection que ceux qui le subissaient : "Le camp de concentration devient ainsi la maison des morts, même si ses occupants sont encore vivants". Parce qu'ils ont été les seules victimes d'une extermination familiale, les Juifs et les Tsiganes partagent aussi le même sentiment de l'abolition généalogique provoquée par l'assassinat des enfants, cibles principales de l'entreprise allemande de destruction familiale.


Rajko Djuric parle d'enfants qui n'auraient été âgés que de quatre ans à sa naissance en 1947 : leurs petites âmes flottantes sont nos contemporaines pour l'éternité, définitivement prisonnières du Zigeunerlager. Ce "camp de famille", au cœur de Birkenau, est le symbole par excellence de l'abjection allemande, parcouru par le docteur Mengele qui prélevait pour ses expériences les enfants frappés du cible "matériel de guerre".


"Nés à Auschwitz, morts à Auschwitz
"Rebstock Else, née le 1er janvier 1943 à 00 h 03,
"supprimée le 1er janvier 11943 à 03 h. 11.
"Weiss Herbert, né le 12 février 1943 à 05 h 11,
"supprimé le 12 février 1943 à 10 h. 23.
"Straus Joseph, né le 3 mars 1943 à 07 h 15,
"supprimé le 3 mars 1943 à 12 h 00 (.....)" .

Donald Kenrick avait identifié le souvenir de Komaron (Komarno) dans la Slovaquie occupée par la Hongrie, camp de transit pour les Juifs et de nombreux Tsiganes. "La salle du ghetto de Komaron, tous les Tsiganes la connaissent, Et ils crient à leurs familles que la salle du ghetto pue". Zaharia Stancu a décrit dans un admirable récit le calvaire des Tsiganes déportés en Transnitrie par le régime d'Antonescu. Comme le sort des Juifs, celui des Tsiganes est mieux connu depuis l'ouverture des archives, et en particulier des archives locales. Les Tsiganes constituent l'autre catégorie de citoyens roumains sur laquelle s'est abattu le fléau de la déportation en Transnistrie. La "détsiganisation" de la Roumanie, au même titre que le refus des Juifs et des Grecs, faisait partie du programme de purification nationale prôné par les idéologues légionnaires. Le professeur Ion Chelcea publiait en 1944 un ouvrage dans lequel il réclamait que certaines catégories soient enfermées dans des "réserves" et stérilisées. L'influence des travaux du docteur Ritter, qui réclamait dès 1936 la création du Centre de stérilisation générale comme "solution à la Zigeunerplague", montre assez la proximité mentale des idéologues de la purification nationaliste sur une base ethnique dans toute l'Europe. C'est d'ailleurs dans le sérail des congrès internationaux de la population que les eugénistes allemands avaient pu exposer leurs points de vue. Cependant dans l'Europe balkanique, la question du métissage et la délimitation de l'expertise raciale ne pouvaient trouver de solution statistique. Comme en Hongrie, ceci aurait conduit à passer au peigne fin toute la généalogie de l'aristocratie.


La virulence du ressentiment dépasse donc la simple hostilité populaire au vagabondage. On peut remarquer à juste titre que l'ambiguïté du discours sur les origines n'a pas disparu, et que la présence maintenue dans les provinces historiques a différé le problème. Alors que les Juifs ont émigré en masse, les Tsiganes sont restés dans le pays. Ils sont donc la cible d'un discours éliminationniste qui emprunte tous les traits visqueux de l'entre-deux guerres.


On voit que, en ces matières, la recherche d'un consensus dans l'analyse n'est pas forcément souhaitable. Mais les limites imposées par le révisionnisme, tout comme celles, induites par l'exercice du droit et de la notion de "crime contre l'humanité", contribuent aux brouillages des positions historiographiques. Tout se passe comme si l'historiographie avait le plus grand mal à abandonner les formes anciennes du débat sur la digestion du passé, tout en assurant que les termes du débat entre intentionnalistes et fonctionnalistes sont à présent dépassés. L'absence de choix clairs fait obstacle à l'appropriation collective des territoires de l'extermination. Or, le temps de l'angélisme est passé, puisque l'on assiste, à nouveau, aux prodromes d'un ébranlement massif et simultané de l'identité historique des nations constitutives de l'espace européen. Pour interpréter ces signes annonciateurs, on ne peut s'en tenir à des considérations convenues sur les "crises nationales". Ainsi, les Etats européens ont accepté de voir un de leur espace - celui de la Yougoslavie - réengager à froid une guerre intérieure féroce, sans même avoir l'alibi d'une crise sociale insurmontable. Cette guerre de proximité a été analysée comme la séquelle d'un lointain passé, mais, à aucun moment, elle n'a été évoquée comme la chronique annoncée d'une tolérance à la violence sous couvert de politique, spécifiquement européenne. Qui se soucie des Roms, "victimes absolues" du conflit yougoslave, réfugiés dans les camps sans aucun espoir de retour !


L'historicisation du génocide risque de soumettre à nouveau la conscience collective de l'événement à des enjeux d'historiographies nationales.


Ainsi, l'ouverture d'une documentation considérable qui appartient, en plusieurs langues, à différentes nations de l'Europe, dépasse largement, par la nature même de l'entreprise de requalification générale des Européens, le champ de l'histoire politique, que pourtant il conditionne. Ceci oblige les historiens à réfléchir sur les systèmes de récit qu'ils vont produire, et sur les fonctions assignées à ces récits. Le caractère systématique de l'expertise européenne des Tsiganes montre que le génocide des Tsiganes fut une affaire d'emboîtement entre la volonté liquidatrice des Etats, les nations instables issues de la Première Guerre Mondiale, le refus des systèmes traditionnels de circulation populaire, et les fantasmes politiques du remembrement ethnique. Ceci concerne, en son centre, le propos européen de demain

 

(texte sans son appareil de notes, pour lire l'article complet, nous vous renvoyons à la version imprimée)