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Primo Levi, Oeuvres. Préfacé par Catherine Coquio

Si c’est un homme – La Trêve – Le Système périodique – La Clé à molette – Maintenant ou jamais – Conversations et Entretiens. Laffont, collection "Bouquins", 2005.

Primo Levi est aujourd’hui un auteur mondialement connu, lu et étudié dans les écoles et les lycées. On sait qu’il doit cette célébrité à son témoignage majeur d’Auschwitz, Si c’est un homme, écrit au lendemain immédiat de la seconde guerre mondiale.
Pour cette contribution essentielle au « patrimoine » commun de l’humanité, son nom et son œuvre prennent de plus en plus de prix dans l’époque troublée qui reste la nôtre, et son témoignage, qu’il voyait comme un « texte à plusieurs voix », tend à devenir le modèle d’une entreprise de transmission réussie : le survivant tente de comprendre les mécanismes de la déshumanisation et dit les limites de cette compréhension ; mais il évoque aussi les manifestations d’humanité dans le camp, et appelle à la vigilance devant toute forme présente de glissement vers l’inhumain.

Et pourtant, cet auteur fameux reste mal connu. Qui sait que ce témoin attentif composa aussi des poèmes violents, d’un ton parfois prophétique ? Que cet homme qui se voulait « normal » avait rêvé, avant sa déportation, d’écrire l’histoire d’un atome de carbone ? Et qu’à la fin de sa vie il projetait d’écrire sur l’art de la cuisine et sur le commérage ? Ou encore qu’il fut l’auteur de fables de science-fiction où il rêvait d’hommes transparents, de « centaures » diluviens, de « livres à pattes » ou de « papillons-fées » ? Comment s’explique cet écart entre un si grave témoignage et de telles fantaisies littéraires?

On connaît peu, en France, les textes par lesquels Primo Levi a poursuivi son entreprise de transmission en racontant son retour du camp dans un récit picaresque d’une bouleversante drôlerie (La Trêve, 1963) ; puis, passant à la fiction romanesque, la résistance des partisans juifs de Russie, s’initiant ainsi au monde du judaïsme oriental (Maintenant ou jamais, 1981).
Devenu écrivain par son témoignage, Levi s’engagea ensuite dans la création littéraire avec une extraordinaire liberté d’invention, lui qui était de formation scientifique et exerçait parallèlement le métier de chimiste. Mais c’est précisément ce métier qui, inspirant sa manière de penser et d’écrire, fit de lui un utopiste et un étrange fabuliste, rêvant, comme son ami Calvino, d’une réconciliation entre « les deux cultures », celles des Lettres et celles des Sciences. Levi renouvelait par là le vieux rêve humaniste et prométhéen dont il se voulait l’héritier, passé au crible de l’expérience de l’inhumain.
C’est cette filiation qu’il reprend dans La Clé à molette, « divertissement linguistique » destiné à exalter le travail manuel et l’ingénosité technique sous la forme d’une épopée de la construction, curieuse conversation fictive entre l’auteur et un « monteur-régleur ».
Et c’est dans cet esprit d’utopie qu’a été composé son texte le plus autobiographique et le plus joueur, Le Système périodique. Levi y compose un récit chiffré de lui-même, de sa naissance dans un milieu de Juifs piémontais assimilés, à sa vie d’ingénieur chimiste, en passant par l’expérience d’Auschwitz à nouveau.
Son travail littéraire poursuivi par plaisir et par jeu, mais toujours à l’ombre d’Auschwitz, a fait de lui un écrivain non plus « du dimanche », comme il le disait plaisamment, mais, comme il le disait aussi, un « écrivain de l’esprit ».
Tout au long de ces années de création, Levi a donné d’innombrables interviews. Les « Conversations et entretiens », ici rassemblés, forment un surprenant autoportrait, propre à renouveler l’image qu’on se fait de lui, et à faire relire autrement son témoignage. Ils éclairent avec précision le parcours de Primo Levi, homme de parole, d’écoute et de dialogue exceptionnel, comme l’ont souligné ses interlocuteurs, Philip Roth en particulier. Ils font saisir mieux la teneur de sa pensée, précieuse aujourd’hui comme hier sur tous les sujets qu’il aborde : les bilans tirés de son expérience d’Auschwitz, qui fut son « université », puis de son expérience de témoin et d’écrivain; l’idée qu’il se fait de sa propre judéité de rescapé, mais aussi d’homme sédentaire, italien de cœur et européen dans l’âme; l’histoire du génocide et la montée du négationnisme; la course à l’armement nucléaire, la vie politique internationale, le conflit israëlo-palestinien…
Le volume rassemble ainsi, pour la première fois en France, des textes d’inspiration très diverse, qui permettent de reconstituer la figure de cet auteur à la fois célèbre et méconnu, et de saisir l’envergure et la singularité réelles de son œuvre.Ce volume est précédé d’une introduction de Catherine Coquio, Professeur en littérature comparée à l’Université de Poitiers. Au travers des textes de témoignage, de poésie et de fiction, elle retrace la cohérence de l’œuvre, met en relief cette singularité d’homme, de Juif, de penseur et d’écrivain, qui fait de cette œuvre, au-delà du « classique » qu’elle est en train de devenir, un document de vie et de création profondément étrange et précieux.

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Association Internationale de Recherches sur les Crimes contre l'Humanité et les Génocides (AIRCRIGE)