Qu'est-ce qui, dans
un tel événement,
le rend d'abord invisible, inintelligible, incompréhensible
? Comment peut-il être pensé, transmis, sinon surmonté ?
Quel rôle peuvent y jouer l'histoire, le droit, la politique,
l'art, la psychanalyse, la philosophie ?
Y a-t-il une temporalité propre à son émergence
comme événement figurable ? Quel rapport entretient-elle
avec la temporalité du massacre nié, qui suppose
une négation du temps ?
Le développement des discours de négation et le
prix croissant donné au genre du témoignage peuvent-ils
être pris comme phénomènes de civilisation,
dus aux formes de la violence politique moderne, en particulier
génocidaire ? Y aurait-il une "ère de la négation"
comme on a dit qu'on entrait dans une "ère du témoin"
(A. Wieviorka) ? Faut-il voir une contradiction, une hétérogénéité,
ou un lien fonctionnel entre les deux ?
Qu'est-ce qui est dénié ou nié exactement
? Le fait, l'événement, leur sens, leur violence,
l'histoire, la souffrance, la pensée, l'humanité ?
Quel rôle joue, au coeur de ces négations, celle
de la mort même, qui interdit le deuil et détruit
tout horizon de sens ?
Il y a des agents et organes de négation institués.
Y a-t-il un sujet du déni ? Ce sujet peut-il être
collectif ? Par quels processus (idéologiques, culturels,
politiques) se forment les "communautés de déni"
(R. Kaës ) ? Comment se défont-elles ? Quelle part
y prennent les institutions, les conflits d'interprétation,
la confusion des discours, l'inertie mentale ? Quel rôle
y jouent les pratiques culturelles et scientifiques, les modes
d'intellectualisation et d'esthétisation à l'oeuvre
jusque dans le travail de mémoire ?
Y a-t-il un mode de négation ou déni propre au
discours politique, d'Etat et de militance ? Coment interpréter
le brouillage des polarités idéologiques droite/gauche
dans les discours de la négation ? Quel est le statut
de la victime dans les discours des pouvoirs et des "contre-pouvoirs",
y compris humanitaires? Peut-on imaginer un comportement politique
attentif à la réalité du témoin,
qui ne se réduise pas au discours des droits de l'homme
?
Y a-t-il un genre particulier de violence négatrice et
de déni à l'oeuvre dans la figuration artistique
? L'art peut-il développer une réplique spécifique
à la négation ? De quelle "vérité"
parle-t-il ?
De quoi peut-on porter témoignage ? Qui peut le faire
et pour qui ? De quoi peuvent témoigner le rescapé,
le descendant, l'observateur, le tueur, son héritier ?
Qu'est-ce qu'un témoignage indirect ? Quels relais peut-on
ou doit-on opérer dans la transmission ?
Quels problèmes pose la consécration du témoignage,
forcément sélective, dans un patrimoine culturel?
Que se passe-t-il lorsqu'un témoignage devient littéraire,
lorsque la fiction joue sur le document, et lorsqu'elle prend
elle-même une valeur testimoniale? Y a-t-il antinomie entre
visée artistique et visée testimoniale? Le témoignage,
en entrant en littérature, crée-t-il un "genre"?
Y a-t-il, du fait de ses antinomies internes, une violence critique
qui lui serait propre ?
Ce livre est issu du colloque international qui a eu lieu les
15, 17, 18 et 19 septembre 2002 à l'Université
de Paris IV-Sorbonne, organisé par le centre Littérature
et savoirs à l'épreuve de la violence politique.
Génocide et transmission, et l'Association Internationale
de Recherche sur les Crimes contre l'Humanité et les Génocides.
Il a obtenu une aide du Centre National du Livre et du Conseil
Scientifique de Paris IV-Sorbonne.
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Table des matières
-
Questions en préambule.
- Catherine COQUIO. A propos d'un nihilisme contemporain. Négation,
déni, témoignage.
1. ARGUMENTS.
I. Négation et témoignage
Frédéric WORMS.
La négation comme violation du témoignage.
Marc NICHANIAN. De l'archive. La honte
Michel DEGUY. De l'incroyable.
Nicole LORAUX "Le brouillé dissimule un rêve".
(Texte précédé d'un avertissement de Patrice
Loraux).
II.
Négationnismes, révisionnismes
Enzo
TRAVERSO. Révision
et révisionnisme
Nadine FRESCO. Des illuminés imperméables : généalogie
du négationnisme.
Albert HERSKOWICZ. L'antisémitisme aujourd'hui : au-delà
de la négation.
Yves TERNON. Historien. Le spectre du négationnisme :
analyse du processus de négation des génocides
du XXe siècle.
Sévane GARIBIAN. La Loi Gayssot, ou le droit désaccordé.
III.
Formes et fonctions sociales du déni
Pierre
PACHET. Indifférence,
fabulation et négation : les franges de la parole publique.
Véronique NAHOUM-GRAPPE. Anthropologie du regard oblique
: le piège des diffractions.
Janine ALTOUNIAN. Emprise et démantèlement du déni.
L'importance des délimitations dehors/dedans.
Bernard LEMPERT Le vote et le crime.
Luiza TOSCANE. Le statut de la victime dans les ONG : une expérience
tunisienne
2. EVENEMENTS
IV. Turquie-Arménie-Kurdistan
Krikor
BELEDIAN. Le retour de la Catastrophe (sur la littérature arménienne
en 1918-1922).
Martine HOVANESSIAN. Anthropologie du témoignage et de
l'histoire orale : traversée des lieux de l'exil et désappartenance.
Hélène PIRALIAN. Rupture de généalogie
et identité perdue : du lien bourreau-victime
Mustapha OVAYOLU. Kurdistan : avis de recherches.
V.
Génocides et camps
nazis.
- Les camps et la Shoah.
Federica SOSSI. Témoigner de l'invisible.
Georges PETIT. La fin du camp de Langenstein, entre histoire
et mémoire.
Aurélia KALISKY. Refus de témoigner, ou chronique
d'une métamorphose : du témoin à l'écrivain
(Imre Kertész, Ruth Klüger)
- Le génocide des tsiganes.
Henriette ASSEO. Le statut ambigu du génocide des tsiganes
dans l'histoire et la mémoire.
Marie-Christine HUBERT et Jean-Luc POUEYTO. Génocide et
internement : histoire Gadjé et mémoires tsiganes.
VI. Aux marges de l'URSS
Jean-Louis
PANNE. La négation
de la famine en Ukraine (1932-1933).
Frosa PEJOSKA. L'écriture comme cénotaphe. A propos
de Danilo Kis.
VII.
Amérique du sud :
la disparition.
Pilar
CALVEIRO. La mémoire
comme virus. Camps de concentration et disparitions des personnes
en Argentine
Jean-Louis DEOTTE. Les paradoxes de l'événement
d'une disparition.
VIII.
Extrême-Orient.
- Japon
Claude MOUCHARD. Le poème et l'advenu : écriture,
liens, réels chez Takarabe Toriko
Mehdi CANITROT. L'écriture d'Hiroshima : un exemple de
déni culturel.
- Cambodge
Richard RECHTMAN. Produire du témoignage : à propos
du film de Rithy Panh, S.21. la machine de mort Khmer rouge.
IX.
Israël-Palestine.
Saleh
ABDEL JAWAD. Les témoignages
palestiniens entre historiographie israélienne et historiographie
arabe : le cas de 1948.
Franklin NARODETZKI. Le traitement de la réalité
: de la Bosnie à la Palestine.
X.
L'"épuration ethnique" en
ex-Yougoslavie.
Catherine
COQUIO. Violence et déni dans la littérature
: l'ultranationalisme serbe.
Sineva KATUNARIC. Dans les abris et sous les décombres
: aperçu sur une littérature croate.
XI.
Le génocide des Tutsi
du Rwanda.
Louis
BAGILISHYA. Discours de la négation, dénis et
politiques.
Jean-Pierre KAREGEYE. Rwanda. Le corps témoin et ses signes.
Speciosa MUKAYIRANGA. Sentiments de rescapés.
XII.
Afrique-Antilles : après
l'esclavage et la colonisation.
Yolande
GOVINDAMA. Déni
de l'esclavage et sa fonction dans le lien social et la dynamique
psychique (Antilles-Réunion).
Mongo BETI. Repentance (De la France et du Cameroun).
Nils ANDERSSON. Le témoignage dans le travail d'histoire
: l'exemple algérien.
Fatiha TALAHITE. L'histoire jugera... ou le procès déplacé.
François-Xavier VERSHAVE. Criminalité économique
et crimes contre l'humanité en Afrique : une synergie
occultée.