06 mai 2008

Protection des archives : pétition et communiqué

Source : Site Parlements (Textes de loi, communiqués, revue de presse etc.)

Communiqué de l'AUSPAN sur le texte adopté le 29 avril (30 avril)

L’Assemblée nationale a adopté le 29 avril en l’amendant sérieusement, le projet de loi voté par le Sénat le 8 janvier dernier sur les Archives. Dès le lendemain, le Sénat a entrepris de nouvelles auditions, auxquelles l’AUSPAN a participé, en vue d’une nouvelle délibération fixée au 15 mai prochain.

Le texte voté par l’Assemblée a rejeté une partie des amendements les plus discutables du Sénat et limité le champ des archives incommunicables, revenant partiellement donc à un texte proche du projet déposé par le gouvernement. L’Assemblée a tenu compte de la mobilisation des usagers et historiens, explicitement mentionnée à plusieurs reprises. Le texte voté par les députés est un texte de compromis, qui améliore la loi de 1979 sur divers points, mais décevra ceux qui attendaient une réelle libéralisation de la loi d’archives.

Les véritables avancées du texte adopté par l’Assemblée sont les suivantes : l’ouverture immédiate d’une masse de documents administratifs courants accessibles auparavant dans un délai de trente ans, la réduction de la plupart des délais des documents soumis à restriction qui nous rapproche (timidement) des pratiques des grandes démocraties occidentales, la limitation de la catégorie des archives incommunicables, la réaffirmation que les dérogations doivent être instruites dans un délai « raisonnable » de deux mois et la prise en compte des archives des communautés de communes dont l’importance s’est accrue avec la décentralisation (voir les amendements au texte du Sénat à l’adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0135.asp).

Demeurent dans ce texte des éléments inacceptables ou potentiellement dangereux. Il faut supprimer les premiers et éclaircir les seconds.

La catégorie d’archives incommunicables est avalisée, même si elle se limite désormais aux armes de destruction massives, bactériologiques, etc. Sur ce point, alors que la loi actuelle permet déjà de protéger à long terme ces papiers, la majorité de l’Assemblée n’a pas voulu accepter les amendements de l’opposition, reprenant une proposition venant de milieux militaires, l’établissement de délais longs et révisables (cent ans, éventuellement renouvelable par une commission spécialisée).

Le texte adopté conserve une série d’imprécisions rédactionnelles sources de futurs conflits juridiques. Le terme « d’excessif » est ainsi maintenu pour les demandes de dérogation : « L’autorisation de consultation (…) peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». De même les députés ont refusé de transformer le mot « peut être » de cet alinéa en « est », refusant du même coup de faire des dérogations un droit soumis à condition certes, mais effectif. Les dérogations restent ainsi des libéralités de l’administration. Surtout, la codification de la protection de la vie privée est définie en termes nouveaux et problématiques. Le délai de cinquante ans, qui peut encore être remis en cause par le Sénat, s’appliquera « pour les documents dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée, rend publique une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable ou fait apparaître le comportement d’une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice ».

Le débat révèle enfin un autre problème potentiel. Le recours aux services de société d’archivages privées a été légalisé et pourra être étendu. Il était clair, d’après la discussion parlementaire, que la communication d’archives publiques intermédiaires pourra être faite par ces sociétés privées. Cette décision menace plus encore, en ces temps de restrictions budgétaires, l’avenir du service public. Elle risque d’aggraver leur balkanisation.

Le texte adopté par l’Assemblée – plus libéral que celui voté par le Sénat – reste néanmoins en retrait par rapport à celui déposé par le gouvernement. Les délais d’accès aux archives notariales, aux actes de mariages, aux documents statistiques de l’INSEE et aux documents judiciaires seraent de soixante quinze ans, et non de cinquante ans comme proposé par le texte initial. Concernant les délais de communicabilité, déjà très longs par rapport à ceux en vigueur dans les autres démocraties occidentales, l’AUSPAN demande le retour au texte du gouvernement. De plus, la catégorie d’archives incommunicables doit disparaître de la loi et une définition restrictive de la vie privée doit faire l’objet d’une rédaction qui lève toutes les ambiguïtés restantes. Nous nous associons, par ailleurs, à la critique de l’Association des archivistes français qui déplore l’absence d’étude d’impact de la nouvelle loi, étude à laquelle il conviendrait d’ajouter selon nous un bilan de l’ancienne, et ce depuis le rapport Braibant de 1998.

L’AUSPAN appelle les usagers et les chercheurs à rester mobilisés. Il faut préserver, lors du vote en deuxième lecture du Sénat, les avancées proposées par l’Assemblée ce 29 avril et les élargir. Il convient aussi de convaincre les parlementaires qu’une véritable libéralisation de l’accès aux archives publiques passe par des délais plus courts de communicabilité (donc la généralisation d’un délai moyen de cinquante ans) et une définition restrictive de la vie privée, deux points qui aujourd’hui ne sont pas acquis.


Adresse à Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs

Un projet de loi d’archives voté en première lecture par le Sénat le 8 janvier 2008 va être soumis au vote de l’Assemblée Nationale le 29 avril 2008.
Ce projet de loi contient des dispositions qui portent gravement atteinte à la liberté d’écriture et à la recherche historique. Il restreint de façon arbitraire le droit d’accès des citoyens aux archives publiques contemporaines (depuis 1933).

Nous attirons plus particulièrement l’attention des Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs sur les points suivants :

1 L’article L 213-2-II crée une nouvelle catégorie d’archives, les archives incommunicables. Certaines archives pourront ne jamais être communiquées au nom de la sécurité nationale ou de la « sécurité des personnes ». D’une part, le législateur est en contradiction manifeste avec ses propres intentions : il déclare à l’art. L 213-1 que les archives publiques sont « communicables de plein droit » pour créer, à l’article suivant, la catégorie archives incommunicables. D’autre part cet article n’a aucune raison d’être : les informations concernant les armes de destruction massives sont couvertes par l’art. 213-2-I-3° et les informations de nature à compromettre la sécurité des personnes sont visées par l’art. 213-2-I-4°. Enfin cet article est contraire aux recommandations du Conseil de l’Europe précisant que « toute restriction doit être limitée dans le temps » (point 2.1.5. de la Recommandation n° R 2013).
- Nous demandons la suppression de l’article L 213-2-II.

2 Au nom d’une conception inédite « de la protection de la vie privée des personnes » le projet de loi justifie l’allongement du délai d’ouverture des archives publiques. Ainsi un carton contenant un seul document rendant public une « appréciation ou un jugement de valeur » ne pourra être consultable qu’à l’expiration d’un délai de soixante-quinze ans (art. L 213-2-I-4°). Cette expression particulièrement floue autorisera la fermeture d’archives publiques, tels les rapports de préfet. Qui décidera, et sur quels critères, de leur communicabilité ? Par ailleurs, substituer au délai de soixante ans actuellement en vigueur, un délai de soixante-quinze ans compromet les études historiques sur les années trente, et sur le régime de Vichy puisque cela revient à soumettre au privilège d’une dérogation l’étude de documents aujourd’hui librement accessibles.

- Nous demandons la suppression des expressions « appréciations et jugements de valeur » et le retour au délai de soixante ans prévu par la loi du 3 janvier 1979, art. 7-5 protégeant « les documents qui contiennent des informations mettant en cause la vie privée ».
- De plus il serait nécessaire que la possibilité d’obtention d’une dérogation (art. L. 213-3) soit explicitement mentionnée au nouvel art. 25-II.
- Enfin, les délais de réponse n’étant pas fixés, certaines dérogations se font attendre au-delà d’un temps raisonnable. Nous demandons que les réponses parviennent aux demandeurs dans le délai légal de deux mois.

3 L’article L 213-3-I instaure un nouveau régime de dérogation pour la consultation des documents avant l’expiration des délais légaux d’ouverture. Le chercheur devra désormais justifier que ses travaux ne portent pas une « atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». Comment définira-t-on « l’atteinte excessive aux intérêts de la loi » ? Le régime déjà extrêmement restrictif de la dérogation se trouve de la sorte encore réduit, au point de laisser craindre sa disparition pure et simple.
- Nous demandons le retour au régime de la dérogation prévu par l’art. 8 de la loi du 3 janvier 1979 : « Cette consultation n’est assortie d’aucune restriction, sauf disposition expresse de la décision administrative portant autorisation ».

4 Enfin, le système des protocoles, déjà en vigueur pour les Chefs d’État et dont on a constaté les dérives dans certains cas est étendu aux papiers des ministres (Art. L 213-4). Il offre à ces derniers, jusqu’à leur décès, la possibilité de traiter les archives publiques produites par eux et par leurs collaborateurs comme des archives privées jusqu’au décès des ministres.
- Nous demandons que les protocoles soient soumis à un délai maximal de cinquante ans.
Renouant avec la culture du secret – le mot est employé quatorze fois dans le texte – ce projet de loi, va à l’encontre des recommandations du Conseil de l’Europe et des pratiques et législations en vigueur dans les grandes démocraties occidentales.
Les dispositions extrêmement restrictives de ce nouveau texte sont empreintes de méfiance et sont inspirées par une vue largement fictive de ce qu'est la pratique de l'archive. Ce dont les archives françaises ont besoin en France n’est pas d’un retour déguisé au secret d’état, mais sur le modèle des législations étrangères, d’une plus large ouverture. Peut-on raisonnablement penser que la démocratie française en sortirait affaiblie ?


Pour signer l'adresse aux sénateurs et députés, merci de bien vouloir envoyer votre nom, en précisant vos qualités (doctorant, chercheur, usager, généalogiste...) et, si nécessaire, votre institution de rattachement à l'adresse suivante : auspan2008@gmail.com

Links to this post:

Créer un lien

<< Home