19 mai 2008

Réponse à Roland Hureaux sur son article "Obama, un blanc déguisé en noir"

Lettre ouverte concernant l'article "Obama, un blanc déguisé en noir" de Roland Hureaux. Par David Collin, Louise L. Lambrichs, Abdourahman Wabéri et Régine Waintrater.



Négationnisme et racisme ont de beaux jours devant eux. On a tout lieu de le croire en lisant l'article "Obama, un blanc déguisé en noir", article signé Roland Hureaux et paru sur le site de l'hebdomadaire Marianne, wwwMarianne2.fr, le 13 février 2008, ainsi que sur le site www.libertepolitique.com.

Nous avons tout lieu de le croire et nous nous indignons profondément de cette publication où l'auteur dit vouloir comprendre le phénomène Obama en se penchant sur ses origines. Premier constat: "Obama n'est pas un vrai noir" sur le plan culturel. Entendez: Hureaux sait lui ce qu'est un vrai noir et à quoi on le reconnaît1. Par exemple l'origine africaine, kenyane, d'Obama est liée à l'ethnie Luo, qui appartient à cette grande famille de pasteurs d'Afrique de l'Est dits "nilo-hamitiques", et à propos de laquelle, souligne Roland Hureaux, l'expression que de Gaulle appliqua une fois aux Juifs, "peuple sûr de lui et dominateur" est particulièrement adéquate. Une expression pour le moins controversée, qu'eut de Gaulle en 1967 à l'occasion de la guerre israélo-arabe et qui exprime une vision essentialiste des groupes humains, réduits à de grotesques catégories dont on croyait l'espèce disparue depuis la fin du dix-neuvième siècle ou, pour le moins, depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Et vouloir appliquer cette expression aux "peuples nilo-hamitiques", dénomination légendaire issue du vieux fond de l'africanisme colonial, n'est pas innocent quand la catégorie "nilo-hamitique" est ensuite attribuée aux Tutsi du Rwanda, alors que les Hutu seraient eux "bantous", peuple natif de la région voué à l'esclavage et donc "authentiquement noir" si l'on suit le raisonnement de l'auteur.

Cette idée d'une origine étrangère des Tutsi rwandais a été constamment utilisée par les idéologues génocidaires et leurs partisans, pour induire que les Tutsi étaient des conquérants, des envahisseurs, un "peuple sûr de lui et dominateur". Une origine mise à mal par les scientifiques et les historiens tels Jean-Pierre Chrétien, Gérard Prunier ou Jean-Marie Kayishema qui ont bien démontré que les Tutsi et les Hutu, sans oublier les Twa, ont les mêmes racines, qu'ils partagent les mêmes traditions et la même langue. En reprenant cette thèse, Roland Hureaux se situe donc dans le camp de ces néo-négationnistes (nombreux relativement aux récents génocides pourtant bien documentés, tant par les textes historiques que par les enquêtes, qu'il s'agisse du génocide contre les Tutsi au Rwanda ou contre les Bosniaques musulmans en Bosnie), camp auquel appartient également l'ancien rédacteur en chef adjoint de Marianne, Pierre Péan, auteur de Noires fureurs, blancs menteurs ;Péan, cité dans l'article comme "courageux journaliste", et qui nie ouvertement toute implication de la France au Rwanda - implication amplement démontrée notamment par Patrick de Saint-Exupéry dans son livre L'Inavouable, la France au Rwanda".

Le vocabulaire de Roland Hureaux est plus explicite encore. Outre le terme "nilo-hamitique", il utilise l'expression "l'armée des ci-devants" pour qualifier l'armée rebelle tutsi, autrement dit, l'armée des "anciens dominateurs" (Définition de "ci-devants": nobles dépossédés de leur titre pendant la Révolution). On retrouve là un langage qui nous est familier. De même, Roland Hureaux évoque une armée de plumitifs à la solde du régime de Kigali (pour qualifier la diaspora tutsi, les survivants du génocide et leurs soutiens journalistiques qui combattent révisionnisme et négationnisme contre le génocide), et les "agents conscients ou inconscients de l'internationale tutsi". On croit rêver. Agents: passe encore, la règle du genre veut que l'on cherche partout des complots et des manipulateurs. Mais "l'internationale tutsi" ? On ne peut lire ces mots sans frémir. Que les victimes d'un génocide s'organisent en "internationale", et que par ce moyen ils répandent de fausses informations sur un génocide qui n'aurait pas eu lieu, cela est bien davantage qu'une figure de style. C'est une citation venue d'un passé non oublié, certes, mais que l'on croyait dépassé.

Retour à l'article. Qu'en 1994 l'armée rebelle tutsi soit rentrée au pays en massacrant à tour de bras, ce qui est irrecevable, expliquerait tout du génocide lui-même, qui fut pourtant annoncé des années auparavant comme imminent par plusieurs organisations internationales, dont la MINUAR, et surtout minutieusement préparé avec importation massive de machettes, d'armes, formation et entraînement de milices, listes de Tutsi et de Hutu modérés dressées à l'avance, fosses communes préparées ; l'armée rebelle tutsi qui ayant pris de panique le pouvoir majoritaire hutu - une dictature dans les faits - l'aurait conduit à un génocide de défense, une pure réaction de survie, et donc pas vraiment ce qu'on définit comme un génocide. Roland Hureaux ne s'arrête pas en si bon chemin et fait plus que flirter avec le négationnisme quand il met en doute l'existence même d'un génocide, en écrivant que grâce à la diaspora tutsi en Europe (...) relais efficace de la propagande de Kagame, personne ne conteste le chiffre devenu "canonique" de 900 000 victimes, pourtant issu d'une source unilatérale - bien que constaté et reconnu par les ONG sur place, et par les organisations internationales sur le terrain, dont l'ONU - et que personne ne parle des massacres de Hutus par les Tutsis qui, quoique moins concentrés dans le temps, ont fait sur la longue période encore plus de victimes. On a bien lu, il s'agit d'un déni caractérisé de génocide et qui réutilise la théorie bien française du "double génocide", outrageusement négationniste, et que plusieurs hommes politiques français ainsi que nombre de négationnistes rwandais, ne se sont pas privés d'utiliser pendant et après le génocide. Cela fait partie d'un certain vocabulaire et d'une certaine façon de présenter les choses reconnaissables entre toutes. Il s'agit là, pour nous, d'un discours qui relève de l'intolérable.

Note:
1. Barack Obama avait deux ans à la séparation de ses parents. Il fut élevé par sa mère et ses grands-parents. Mais pour Hureaux, cela ne change rien puisque le sang ne ment pas, et Obama est un Luo déguisé en Africain Americain.

Sources à consulter:

Jean-Pierre Chrétien: L'Afrique des Grands Lacs, 2000 ans d'histoire, Aubier Montaigne, Collection historique, 1998.

Roméo Dallaire: J'ai serré la main du diable, la faillite de l'humanité au Rwanda, Libre Expression, 2004.

Jean Marie Kayishema: Mythes et croyances au coeur du génocide de 1994, au Rwanda, Etudes rwandaises, Université Nationale du Rwanda n°09, septembre 2005.

Faustin Rutembesa: Le discours sur le peuplement du Rwanda et la manipulation identitaire,Cahier de Centre de Gestion des conflits UNR, n°5, 2005.

Gérard Prunier: Rwanda: le génocide, Editions Dagorno, 1999.

Patrick de Saint-Exupéry: L'Inavouable, la France au Rwanda, Les Arènes, 2004.


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Article de Roland Hureaux: Obama, un blanc déguisé en noir

Comprendre le phénomène Obama nécessite de se pencher sur ses origines, et donc de prendre le temps d'un détour par l'Afrique de l'Est, ses noblesses et son histoire. Il y a quelque chose de fascinant à voir un homme politique relativement jeune ( 47 ans) et noir comme Barack Obama briguer avec quelque chance de succès l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle américaine. Autant que son audace, frappe l'aisance de ce candidat improbable dans un pays où aucun homme de couleur - à l'exception du général Colin Powell qui, sollicité par le parti républicain, déclara forfait - n'avait pu jusqu'ici envisager sérieusement d'entrer dans la course présidentielle. Une aisance qui le fait même qualifier de "nouveau Kennedy".

Le contraire d'un afro-américain
La vérité est qu'Obama n'est pas un vrai noir ! Il ne l'est que pour ceux qui pensent que la couleur de la peau a de l'importance. Sur le plan culturel, le seul qui importe, Obama est le contraire d'un noir américain. Non par sa mère blanche qui descendrait du président sudiste Jefferson Davis - mais aussi, plus classiquement, de paysans irlandais chassés par la famine de 1846: aux Etats-Unis, une goutte de sang noir suffit à vous faire "black". C'est de son père, Barack Obama Sr, homme politique kenyan de l'ethnie Luo, que le sénateur du Michigan a reçu une empreinte vraiment originale. Les Luos appartiennent à cette grande famille de peuples pasteurs d'Afrique de l'Est dits "nilo-hamitiques". Si l'expression que de Gaulle appliqua une fois aux Juifs, "peuple sûr de lui et dominateur", a un sens, c'est bien dans cette région du monde. Les Nilo-hamitiques sont le contraire d'esclaves ou de descendants d'esclaves. Ces peuples fiers et guerriers (Parmi lesquels les célèbres masaïs) dominèrent longtemps les Bantous, cultivateurs et sédentaires. Ils résistèrent avec succès aux entreprises des marchands d'esclaves arabes de la côte swahili, quand ils ne collaborèrent pas avec eux. Eux ou leur cousins sont au pouvoir au Rwanda, au Burundi, en Ouganda, en Ethiopie et au Soudan ( quoique les Nilo-Hamitiques soudains se prétendent Arabes). De grands hommes politiques de la région comme Julius Nyerere , fondateur du socialisme ujamaa ou Yoweri Museveni, actuel président de l'Ouganda, en sont. De même l'ancien archevêque de Dar-es-Salaam Lawrence Rugambwa, fait premier cardinal africain par une Eglise romaine qui s'y connait en chefs. Kabila, président du Congo est, dit-on, à moitié tutsi.

En héritage, la noblesse d'Afrique de l'Est
Se rattachent en effet aux peuple nilo-hamitiques les Tutsis du Rwanda et du Burundi: minorité "noble" pesant entre 5 et 10 % de la population, qui domina longtemps dans ces deux royaumes la majorité Hutu ( lesquels sont des bantous). Renversée au Rwanda en 1960, la minorité tutsi, aidée par l'ougandais Museveni, est revenue au pouvoir sous l'égide de Paul Kagame en 1994. L'armée des "ci-devants", exilés depuis plus de trente ans est rentrée au pays en massacrant à tour de bras. Les tenants du pouvoir majoritaire hutu, pris de panique, commencèrent alors à massacrer tous les Tutsis de l'intérieur et leurs amis réels ou supposés: ce futle grand génocide de 1994. Le pouvoir est aujourd'hui exercé dans ce pays d'une main de fer par une petite minorité de Tutsis de l'étranger - très peu nombreux du fait du massacre des Tutsis de l'intérieur: peut-être 1 % de la population.

La diaspora tutsi en Europe ( particulièrement forte en Belgique) et dans le monde est depuis lors un relais efficace de la propagande de Paul Kagame: personne ne conteste le chiffre devenu "canonique" de 900 000 victimes, pourtant issu d'une source unilatérale ; personne ne parle des massacres de Hutus par les Tutsis qui , quoique moins concentrés dans le temps, ont fait sur la longue période encore plus de victimes. Tous ceux qui contestent la version officielle propagée par le gouvernement de Kigali sont menacés, où qu'ils se trouvent, de lynchage médiatique ou internautique, ou de procès téléguidés dissuasifs: la France fut ainsi fort injustement mise au banc des accusés dans l'opération Turquoise pour complicité avec les génocidaires, jusqu'à ce que Bernard Kouchner aille à Canossa en se rendant à Kigali (au cours d'une visite dont l'incongruité fait débat). Le courageux journaliste Pierre Péan, qui a osé contester la version des vainqueurs tutsi et par là défendre l'honneur de l'armée française dans un livre remarquable (1), est depuis lors l'objet d' une persécution sans merci. Agents conscients ou inconscients de l'internationale tutsi, la plupart des journalistes français se sont déchaînés contre son livre.

SOS-Racisme a traîné son auteur devant les tribunaux pour racisme et complicité de génocide.

Accepté par l'establishment, il laisse froid les afro-américains
Au Kenya, l'ethnie dominante est au contraire une ethnie bantoue, les Kikuyus, servis par leur majorité relative, leur centralité et surtout une empreinte anglaise plus forte. L'actuel président kikuyu Mwai Kibaki, usé , s'est vu contesté lors de la dernière présidentielle par une coalition menée par le Luo Rail Odinga, fils d'Oginga Odinga, homme politique kenyan de la première génération, proche du père d'Obama. Que Kibaki n'ait été réélu qu'au moyen de fraudes massives est aux origines des graves tensions actuelles de ce pays. Même si le rôle des Tutsis du Rwanda est sujet à caution, être nilo-hamitique n'a certes rien d'infâmant, bien au contraire. On comprend cependant, au vu de cet arrière-fond, à quel point le phénomène Obama est singulier, à quel point surtout la culture du candidat démocrate est étrangère à celle du Deep South. Un chef Luo n'a rien à voir avec l'Oncle Tom, pas plus que les chants guerriers masaï avec les mélopées des cueilleurs de coton du Mississippi ! C'est ce qui explique sans doute que sa candidature pose si peu de problèmes à l'establishment américain et que, bien qu'il s'agisse, au moins formellement, d'une candidature "noire", elle paraisse aller de soi. C'est ce qui explique aussi peut-être la difficulté qu'éprouve la communauté noire américaine à se reconnaître dans ce candidat issu d'un univers si antithétique au sien. En définitive Obama ne s'en rapproche que par l'action sociale qu'il a eue dans les quartiers pauvres de Chicago et par sa femme qui est, elle, une authentique afro-américaine. Son élection éventuelle ne signifierait pas nécessairement une promotion de la communauté noire. Il faudrait plutôt l'analyser comme un phénomène sui generis.

(1) Noires fureurs, blancs menteurs, paru aux éditions Mille et Une Nuits"

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