03 mai 1999

Colloque : L'Ethnie entre Sciences humaines et crimes contre l'Humanité

Colloque : L'Ethnie entre Sciences humaines et crimes contre l'Humanité
PARIS IV-SORBONNE SALLE DES ACTES
Rue Saint Jacques, Paris 5ème

Samedi 29 MAI 1999
9h30 Accueil par M. le Président de Paris IV, Georges Molinié,
et ouverture par Catherine Coquio.

Naissance d'un mot, avatars d'une notion.

Présidence : Jean-Loup Amselle
09h45 Yves Ternon : Racisme biologique et extermination au XIXe siècle.
10h15 Dominique Franche : "Ethnie", "ethnique" : des mots ambigus.
11h Pause
11h15 Charles de Lespinay : L'anthropologie, le droit et les génocides.
11h45 Gilbert Bitti : La protection de l'"ethnie" dans l'histoire du droit international.

Fonction politique et avenir de "l'ethnie" :
Présidence : Véronique Nahoum-Grappe.
14h Denise Mendez. Aperçus et questions sur l'identité ethnique et l'écriture de l'histoire.
14h30 Paul Zawadski. Démocratie ou "ethnocratie"? Construction nationale, nationalisme, ethnicité.
15h15 Jean-Loup Amselle : la guerre des identités et l'avenir du "génocide".
16h Pause
16h15 Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda. L'ethnisme et l'Afrique des Grands lacs.
17h Philippe Koulischer : "Nettoyage ethnique" et "génocide" dans les Balkans.


Présentation des intervenants

Jean-Loup Amselle : Directeur d'études à l'Ecole des hautes études de sciences sociales. Auteur de Logiques métisses. Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990; Vers un multiculturalisme français. L'empire de la coutume, Aubier, 1996. Coéditeur de Au coeur de l'ethnie, tribalisme et Etat en Afrique, La Découverte, 1985. Rééd. 1999.
Gilbert Bitti : Chargé de mission au Ministère de la justice. Membre de la délégation française à la Conférence de Roms sur la Cour Pénale Internationale. Achève une thèse sur le statut de la Cour pénale internationale : genèse, objectifs et limites.
Jean-Pierre Chrétien : Auteur de Le Défi de l'ethnisme. Rwanda et Burundi, 1990-1996, Karthala, 1997. Editeur de Rwanda. Les médias du génocide, Karthala, 1995. Co-éditeur de Rwanda. Un génocide du XXe siècle, L'Harmattan, 1995.
Dominique Franche : Chercheur, auteur de Rwanda. Généalogie d'un génocide, Mille et une nuit, 1997. Co-éditeur de Au risque de Foucault, Ed. du Centre Georges Pompidou, 1997
Marcel Kabanda : Historien de l'Afrique orientale. Co-auteur du recueil Les Medias du génocide, dirigé par J. P. Chrétien, Karthala, 1995.
Philippe Koulischer : Fondateur à Genève de l'Association Mirna Bosna. Auteur d'articles sur "l'épuration ethnique" publiés en Suisse, ainsi qu'en espagnol et en anglais (International Viewpoint, juin 1993). A participé au recueil Pour le peuple bosniaque, Institut Nord-Sud XXI des Droits de l'Homme et des peuples, 1993, ainsi qu'au Tribunal Permanent des Peuples sur le génocide en ex-Yougoslavie (Berne et Barcelone, 1995).
Charles de Lespinay : Chercheur au centre Droit et Cultures (Paris X), auteur d'une thèse d'anthropologie du droit sur territoires et droits en Afrique noire, coorganisateur du colloque "La Reconstitution de l'Etat de droit dans l'Afrique des grands lacs : les crises politico-ethniques au Burundi et dans la région des Grands Lacs", 1-2 décembre 1997, Paris X.
Denise Mendez : Ancienne correspondante du Monde en Amérique du sud, journaliste en Afrique du nord, et collaboratrice au Monde diplomatique. A organisé à l'Unesco un Congrès des cultures noires des Amériques. A participé au cycle Le Travail de mémoire, La Villette-Autrement, 1999.
Véronique Nahoum-Grappe : Chercheur au Centre d'études transdisciplinaires – Sociologie, Anthropologie, Histoire (EHESS). Auteur de : La Culture de l'ivresse (1991), L'Ennui ordinaire (1995). A dirigé le recueil Vukovar, Sarajevo... "La guerre en ex-Yougoslavie", Esprit, 1993, préfacé R. Gutman, Bosnie : témoin du génocide (1994). Parmi les articles : "Ex-Yougoslavie. Poétique et politique: le nationalisme extrême comme système d'images", in L'Europe de l'Est après la chute du communisme, Tumultes, n°4, 1994.
Yves Ternon : Auteur de plusieurs livres sur le génocide arménien et sur le rôle de la médecine dans la politique d'extermination nazie, ainsi que de L'Etat criminel. Les Génocides au XXe siècle, Seuil, 1995.
Paul Zawadski : Maître de Conférences en Sciences politiques à Paris I. A travaillé sur le nationalisme et l'antisémitisme à l'Est. Auteur d'une thèse à paraître aux Presses de Sciences Politiques : L'invention d'une communauté imaginaire. Construction nationale et antisémitisme en Pologne.

Argument

Il s'agit d'examiner l'histoire et l'actualité de ce concept, de plus en plus massivement utilisé dans des registres dont la diversité même pose problème : sa traversée des champs scientifique, juridique, et criminel, dans le domaine des événements de nature génocidaire, et de la perception que nous en avons, provoque des confusions dangereuses.

La notion d'ethnie comporte une part d'aléatoire et d'ambiguïté due à son origine, au flottement méthodologique qui la constitue ou la fait évoluer, et à la diversité historique, culturelle, épistémologique, de ses champs d'application. Elle relaie pour une part la notion de "race", qui prétendait aussi à un statut scientifique il y a un siècle, et informe les discours les plus troubles, voire criminels – comme en ex-Yougoslavie celui de "l'épurateur" – et dès lors elle est appelée à s'installer, en réplique, dans le vocabulaire du droit international – avec la Convention de 1948 sur le génocide, mais sans que l'ethnocide, lui, n'ait d'existence juridique. Fondatrice de certaines sciences humaines – ethnographie, ethnologie, ethnopsychiatrie – elle envahit aussi des discours identitaires qui, se donnant pour scientifiques, confinent à l'idéologie voisine du discours criminel, ou sont ceux-là même qui appellent à l'extermination, comme on l'a vu pour le génocide rwandais : l'ethnie est alors une fiction décisive dont l'efficace politique est la destruction génocidaire même.

Pourtant, la fonctionnalité du concept d'ethnie ne peut se réduire à cette nocivité, et sa critique ne gagnerait rien à tomber dans un antiracisme "politiquement correct". L'espèce humaine est faite des différences et processus de différenciation entre les hommes et les groupes mouvants qu'ils constituent. Il s'agit donc de préciser les limites et les modes de signification de cette notion d'ethnie : désigner les effets pervers de son usage sauvage ou idéologique, mesurer l'historicité et les effets politiques de son statut normatif, à la fois "scientifique" et juridique, saisir les conséquences de sa rentrée dans le vocabulaire du droit, et comprendre son rôle croissant dans les discours politiques et la pensée politique à la fois.