22 mai 2009

Création du pôle canadien d'Aircrige

Rencontre à l'Université de Montréal
le 25 mai 2009 de 14 à 17h
À l’occasion de la création d'un pôle canadien de l’Association internationale de recherche contre les crimes contre l’humanité et les génocides (AIRCRIGE ) et de la parution du livre-témoignage de Berthe Kayitesi, Demain ma vie. Enfants chefs de famille dans le Rwanda d'après (Laurence Teper, 2009)

Université de Montréal 14h-17h
Pavillon Lionel-Groulx, Groupe de recherche Poexil, C-9019. 3150, rue Jean-Brillant (entre Decelles et McKenna, Métro Université de Montréal ou Côtes-des-Neiges).

Contact : Émilie Martz Kuhn : greres@lit.ulaval.ca


Programme :

14 h 00 : Accueil par Christiane Kègle (professeur, Université Laval) et Emilie Martz Kuhn, (doctorante, Université Laval / Paris III. Sorbonne Nouvelle)

14 h 15 : Aircrige-Canada.
Interventions de Catherine Coquio, présidente d'Aircrige, Muriel Paradelle et Catalina Sagarra, co-responsables du pôle canadien : présentation des travaux et projets d'AIRCRIGE, de son pôle canadien et des autres pôles qui s'ouvrent à l'étranger.

Déni de justice et impunité – Afrique, France, Canada.
Echanges avec : Aziz Fall (président du comité Thomas Sankara de lutte contre l'impunité en Afrique), Alain Deneault et Delphine Abadie (auteurs de Noir Canada), sur le combat qu'ils mènent actuellement.

15 h 30 : Le génocide de 1994
Les « orphelins chefs de ménage », la survivance, le témoignage. Animé par Eugène Nshimiyimana. Echanges autour du livre de Berthe Kayitesi, Demain ma vie. Enfants chefs de famille dans le Rwanda d’après, Préface de C. Coquio; postface de A. Dauge-Roth. Paris, Laurence Teper, 2009, 300 pages.

Avec la présence de Berthe Kayitesi, Muriel Paradelle, Catalina Sagarra, Boris Diop, Christiane Kègle, Emilie Martz Kuhn, Lucie Campos, Catherine Coquio.


Nous vous proposons de nous retrouver ensuite, à partir de 16h45, pour boire un verre ensemble à la librairie Olivieri, 5219 Chemin de la Côte-des-Neiges, avec Berthe Kayitesi, autour de son livre Demain ma vie. Enfants chefs de famille dans le Rwanda d’après.


17 mai 2009

[Parution] Mémoires du Génocide Arménien

Mémoires du génocide arménien. Héritage traumatique et travail analytique.

Varham et Janine Altounian, PUF, avril 2009.
208 pages, 32 euros.

Cet ouvrage à plusieurs voix porte sur la question de la transmission d’un héritage traumatique et de son mode d’élaboration au cours du travail analytique. Il a la particularité de comporter, en fac simile, le manuscrit original du témoignage autour duquel il s’origine et s’organise : le Journal de déportation de Vahram Altounian, traduit par Krikor Beledian, reçu et commenté par sa fille Janine Altounian, essayiste et traductrice. Il montre comment, à partir d’un écrit indéchiffrable pour tout lecteur néophyte, une expérience traumatique débutant à Boursa, petite ville d’Asie mineure, un « mercredi 10 août 1915 », passe par l’épreuve de sa traduction, celle de sa réception et de son élaboration subjective par un héritier pour se transmettre et aboutir, quasi un siècle plus tard, à la présente publication à laquelle contribuent :

- Krikor BELEDIAN, écrivain de langue arménienne, maître de conférences à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales).

- Jean-François CHIANTARETTO, psychanalyste, professeur de psychopathologie (Université de Paris 13, UTRPP).

- Manuela FRAIRE, psychanalyste, membre titulaire de la SPI (Société Italienne de Psychanalyse) et de l’IPA.

- Yolanda GAMPEL, psychanalyste, membre titulaire de la SIP (Société Israélienne de Psychanalyse), représentant pour l’Europe au Conseil de l’IPA, professeur à l’Université de Tel-Aviv.

- René KAËS, psychanalyste, professeur émérite de l’Université Louis-Lumière Lyon 2.

- Régine WAINTRATER, psychanalyste, thérapeute familiale, maître de conférences Université Paris 7 - Diderot.

05 mai 2009

"Le génocide arménien en Turquie : reconnaissance ou "réconciliation"?"

"Chers rédacteurs de L'Hebdo,

Je vous écris d'Istanbul. Votre journal a publié cette semaine un entretien avec moi, intitulé «Pour moi, l'horizon de la réconci­liation est bouché», et qui demande des rec­ti­fications importantes. J'avais de­mandé à votre estimée journaliste, Tasha Rumley, d'écrire un article en son nom à par­tir de notre con­versation, sans mettre de paroles dans ma bouche. Ce n'est pas tout à fait ce qu'elle a fait. Je ne me reconnais pas vraiment dans les propos qui me sont prêtés. Je me contenterai de trois exemples. 1) L'horizon de la ré­conciliation est-il bou­ché? Je pense au contraire qu'il est plus ouvert qu'il ne l'a jamais été, grâce aux bonnes volon­tés qui se font jour des deux côtés de l'invisible frontière et grâce au travail que la société civile entre­prend sur elle-même en Turquie. (Le 24 avril der­nier, date anniver­saire de l'arres­tation et de l'élimination des intellectuels arméniens d'Istanbul, une com­mémo­ra­tion s'est déroulée ici, dans la ville même où ces événements avaient eu lieu 94 ans au­paravant. C'était la première fois qu'une telle manifestation avait lieu dans un es­pace pu­blic.) Mais alors qu'est-ce que je dis, moi, à propos de cet «horizon de la récon­ciliation»? Une chose très simple: je veux mettre en évidence les attendus d'une telle ré­conciliation. S'agit-il d'une critique? Oui, bien sûr. Mais c'est une critique philosophique. Elle s'interroge sur ce que la réconciliation politique (qui est à la fois né­ces­saire et iné­vi­table) ne pourra jamais ré­con­cilier. 2) Mes conférences publiques à Is­tanbul ont un but: réfléchir sur l'expé­rience arménienne au XXe siècle, celle de la sujétion d'abord, puis de la Catas­trophe, en­fin de la dispersion définitive. Il s'agit de comprendre ce qui ne sau­rait être réparé, par aucune ré­conciliation et, avant cela, de se demander com­ment cet ir­répa­rable peut ve­nir au lan­gage. Je dis donc dans ces conférences exac­te­ment ce que je pense. Je n'évite rien. Je ne cache rien. J'ai un auditoire qui est prêt, je crois, à me suivre jusqu'au bout dans les méandres de cette réfle­xion. C'est la seule façon de créer l'es­pace d'un véritable dialogue, c'est-à-dire d'un dialogue fondé sur l'amitié et la compré­hension. 3) Les survi­vants, au­jourd'hui dis­persés de par le monde, ont-ils be­soin de comprendre, ont-ils besoin que les événements survenus il y a près d'un siècle re­çoivent un sens? Oui, évidemment. Mais les citoyens turcs en ont besoin tout autant. Or il se trouve que les ex­plications historicistes ne sont pas faites pour cela. Elles visent à éta­blir les faits (comme s'il en était encore be­soin), et surtout à en proposer des explications con­textuelles. Ce n'est pas là que se si­tue le sens d'un évé­ne­ment. Nous aurions besoin d'une ca­pacité d'inter­pré­tation, alors même que celle-ci a été détruite (peut-être à tout jamais) par la volonté active du perpé­tra­teur et détruite des deux côtés, c'est bien évident. Notre tâche consiste à rétablir cette ca­pacité. Il n'y a rien de plus grave et de plus urgent. Mais cette tâche a un revers: elle doit se garder de toute in­ter­prétation pré­maturée. Elle doit donc commencer par une cri­tique des inter­prétations en cours, et en particulier de toutes les interprétations nationa­listes ou racistes. Pour que cela soit parfaitement clair, il aurait fallu parler, ne serait-ce qu'en l'espace d'une ligne, de mon livre le plus récent, Le Roman de la Ca­tastrophe, à Genève. Je vous re­mercie de votre effort de compréhension.

Marc Nichanian"

Rebonds Libération 23 avril 2009

Par Cengiz Aktar professeur à l’université Bahçesehir (Istanbul).

Il se passe des choses sur le front arménien en Turquie. Le gouvernement et la société, chacun à sa façon, cherchent à briser les tabous profonds qui existent à ce sujet depuis presque un siècle. Le chef de l’Etat a effectué en septembre une visite historique à Yerevan, des pourparlers secrets entre délégations se tiennent en Suisse depuis des mois pour concrétiser l’ouverture de la frontière côté turque et l’établissement des relations diplomatiques.
Le président Barack Obama, lors de sa visite en Turquie début avril, tout en réaffirmant ses convictions, a évité le mot « génocide » afin de ne pas gêner le processus. Il a souhaité des avancées concrètes entre Arméniens et Turcs. Récemment, un mouvement inédit de reconnaissance et de pardon envers les Arméniens a vu le jour en Turquie. Lancée le 15 décembre sur Internet par quelque 350 intellectuels et leaders d’opinion (1), la campagne a réuni, à ce jour, plus de 30 000 signatures. Citoyens de Turquie de tous horizons, les signataires ont ainsi exprimé le rejet de la propagande négationniste d’Etat qui perdure depuis 1915.
La diaspora arménienne mais aussi quelques chercheurs turcs ont déploré l’omission du mot « génocide » dans ce court texte.Développé en Occident, le concept de génocide est basé sur la Shoah. Si bien que, depuis, toute politique de mémoire portant sur le déroulement d’un massacre dans l’histoire est, le plus souvent, conçue et pensée avec l’image de la Shoah pour référence. Pour les opinions publiques occidentales, le mot génocide et ce qu’il représente sont incontestables. Il est, en un sens, plus fort que le contexte, affranchi du temps et de l’espace. Pour ma part, je ne suis pas certain que le concept de génocide soit adéquat pour décrire entièrement ce qui est arrivé. Afin de sortir de l’impasse, il me paraît utile de revenir sur ces temps d’horreur à travers les descriptions que nous en donnent les Arméniens eux-mêmes.
Le terme « Grande Catastrophe », qui a été forgé et employé par les Arméniens de l’Empire ottoman à cette époque pour décrire ce qui leur arrivait et que nous avons employé dans la campagne de pardon, semble plus évocateur des événements passés. La décision du Comité d’union et progrès c’est-à-dire du gouvernement ottoman de l’époque, d’éliminer les Arméniens, l’un des groupes les plus anciens d’Anatolie, est un désastre qui a affecté de manière permanente l’avenir, non seulement des Arméniens, mais aussi de toutes les autres entités vivant sur cette même terre. Déjà déchirée par les guerres, l’Anatolie, qui a perdu ses Arméniens, Assyriens et Roums (grecs), est devenue un morceau de terre ruiné sur tous les plans : humain, économique, social, politique et culturel. Dans ce sens, le génocide arménien est une tragédie commune de l’Anatolie, qui se raconte encore dans les villages comme une catastrophe sans précédent.
Aussi ne suis-je pas certain que le concept général de « génocide » suffise ou convienne pour recouvrir l’ensemble des conséquences liées à cette décision démentielle qui fut infligée à l’Anatolie tout entière. Il est simplement impropre pour expliquer ce qui est arrivé, au-delà du génocide des Arméniens. A partir du moment où l’histoire de la tragédie arménienne a été en un sens déracinée, exportée, ranimée hors la Turquie et dans le monde entier par la diaspora, elle a perdu une part de son récit : elle ne parle pas ou plus de l’Anatolie après 1915. Le fossé qui existe entre le mot « génocide » - le montant de terreur absolue qu’il évoque - et des mots apparemment moins durs tels que çart (massacre), désastre, catastrophe, est aussi profond que celui qui s’est creusé entre cette morbide décision de l’Etat prise à Istanbul et le drame humain qui s’en est suivi en Anatolie. En fait, d’innombrables zones grises subsistent entre les victimes du génocide et les criminels. Les destins sont multiples : tant d’Arméniens ont dû changer leur identité pour survivre, tant d’autres ont sauvé des vies arméniennes, d’autres encore sont simplement restés et ont subi les conséquences du génocide.
La Grande Catastrophe concerne aussi tous ces gens. Les histoires familiales et individuelles qui ont été mises au jour par la recherche historique naissante en Turquie révèlent les dimensions de la catastrophe subie par l’Anatolie. Elles témoignent d’un désastre qui va au-delà du génocide. Dans ce sens, si la reconnaissance du « génocide » serait une punition, l’étude de ce que nous appelons la Grande Catastrophe peut, quant à elle, recouvrir, tout le champ de la souffrance et frayer, simultanément, la voie d’une nouvelle coexistence entre Arméniens et Turcs.
Les débats qui ont commencé avec la campagne de pardon offrent une immense occasion d’apprendre ce qui est arrivé aux Arméniens aussi bien qu’à leurs voisins. Cette année est le centenaire de la prise de contrôle du gouvernement jeune-turc, celui qui a pris la décision d’exterminer les Arméniens, par l’aile militaire du Comité union et progrès, dont la mentalité sévit depuis en Turquie. Presque chaque année jusqu’en 2023 [centenaire de la République de Turquie, ndlr] et même au-delà, l’occasion nous sera donnée d’apprendre, de se souvenir et de prendre conscience du tragique destin des Arméniens, ainsi que des conséquences de cette catastrophe commune à toute l’Anatolie. La justice régnera quand nous aurons pris connaissance de tous les arcanes du processus infernal initié il y a cent ans, lorsque nous saurons ce qu’il en a coûté à chacun d’entre nous.